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Le pot de terre et le pot de fer Paris Auditorium du Louvre 01/05/2005 - Robert Schumann : Quatuor avec piano, opus 47 – Märchenbilder, opus 113
Louise Farrenc : Trio avec piano n° 1, opus 33 – Sonate pour violon et piano n° 1, opus 37
Daishin Kashimoto (violon), Amihai Grosz (alto), Thomas Carroll (violoncelle), Itamar Golan (piano)
Le romantisme a décidément le vent en poupe en ce début d’année 2005: tandis que l’Orchestre de Paris et le Musée d’Orsay s’apprêtent à lancer un vaste cycle Mendelssohn, c’est à Louise Farrenc que l’Auditorium du Louvre a entrepris de rendre hommage. La mode des anniversaires aurait pourtant dû conduire à célébrer l’an dernier cette musicienne française, née en 1804, mais mieux vaut tard que jamais, d’autant que les six concerts proposés d’ici le 26 janvier ont retenu le principe d’un dialogue avec son cadet de six ans, Robert Schumann, qui, en son temps, salua en termes élogieux son Air russe varié.
La confrontation entre l’entre des plus grandes figures du romantisme allemand et celle qui, encouragée par son mari – lui-même flûtiste puis éditeur – dans sa carrière artistique, a heureusement pu échapper au statut subalterne dont ont eu à souffrir Fanny Mendelssohn, Clara Schumann ou Alma Mahler – mais que le Louvre présente bizarrement comme «sans doute la seule femme qui a choisi de vouer entièrement son existence à la musique» – constituait un défi, tant le risque était celui d’une lutte entre le pot de fer et le pot de terre. Tel ne fut cependant le cas, sachant au demeurant que les œuvres de Farrenc connaissent un retour en grâce depuis quelques années, tant au disque qu’au concert (voir ici et ici) et, si elle reste surtout connue pour sa musique de chambre (un genre qu’elle a abondamment cultivé, du duo au nonette) ou pour piano (un instrument dont elle fut une virtuose), il ne faudra pas non plus manquer sa Première symphonie, à l’affiche de l’Orchestre national d’Ile-de-France du 4 au 12 février prochain.
Pour cette première soirée, un copieux programme avait été organisé autour du pianiste Itamar Golan, familier de longue date du Louvre (et, en quelque sorte, lointain successeur de Farrenc comme professeur au Conservatoire de Paris). Plus subtil que vertigineux dans des Märchenbilder (1851) de Schumann, l’altiste Amihai Grosz tire parti d’un art délicat du phrasé et d’une sonorité fine et aérienne, parfois presque ténue, qui sied tout particulièrement à l’engourdissement progressif de la dernière de ces quatre pièces.
Des deux trios avec piano laissés par Farrenc, le Premier (1844), en mi bémol (comme le Second trio de Schubert), évoque davantage, malgré quelques modulations inattendues et brusques changements de climat, l’élan beethovénien, porté par une riche partie de piano. En quatre mouvements assez ambitieux (plus d’une demi-heure), d’un caractère souvent symphonique, il débute par une impeccable et conquérante forme sonate se concluant toutefois dans la nuance piano. D’une véhémence peut-être plus rhétorique qu’émotionnelle dans sa tonalité mineure, l’Adagio sostenuto n’en déploie pas moins une construction finement ouvragée. Entretenant ici ou là une parenté fugace avec celui du Deuxième quatuor ou celui du Septuor de Beethoven, le Minuetto laisse la place à un Trio, à nouveau en mineur, mais au moins aussi important que la partie principale. S’achevant sur une tarentelle à la fois robuste et fantasque, la partition, ici interprétée par un ensemble ad hoc, a tout pour attirer l’attention des formations constituées.
Même si le qualificatif d’«excellente facture» déjà attribué par la critique de l’époque semble toujours s’appliquer avec bonheur à cette musique, les trois mouvements de la Première sonate pour violon et piano (1848), plus intime et moins développée (vingt minutes), s’inscrivent dans un climat quelque peu différent, plus épuré, plus classique, avec un allegro de sonate précédé d’un Largo introductif et un Poco adagio central d’esprit quasi mozartien. Nul anachronisme, pour autant, la fougue de l’Allegro initial suggérant Brahms tandis que le Rondo final ouvre la voie à la musique de chambre de Saint-Saëns.
Si le Quatuor avec piano (1842) de Schumann, qui mettait le point final à ce concert, possède une palette expressive sans commune mesure, avec ses fulgurances, ses abîmes, son humour et son ironie, le contraste, encore une fois, ne disqualifie nullement Farrenc. Cela étant, Schumann pâtit ici quelque peu d’une approche marquée par un fort pathos dans l’Andante cantabile et perturbée par les crissements du tabouret du violoncelliste.
Simon Corley
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