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Doublures de luxe Paris Théâtre des Champs-Elysées 12/16/2004 - Pascal Dusapin : Exeo, solo pour orchestre n° 5 (création française)
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 2, opus 18
Maurice Ravel : Daphnis et Chloé, Première et Seconde suites
Nicholas Angelich (piano)
Chœur de Radio France, Daniel Bargier (chef de chœur invité), Orchestre national de France, Josep Pons (direction)
Emmanuel Krivine et Leif Ove Andsnes ayant successivement dû renoncer, ce sont respectivement Josep Pons et Nicholas Angelich qui les remplaçaient: la première affiche était certes prometteuse, mais ces deux «doublures» de luxe ne l’étaient pas moins, d’autant que rien n’avait été modifié dans un programme dont le moindre des attraits n’était pas la première française d’une œuvre de Pascal Dusapin.
Cinquième d’un cycle de «solos pour orchestre» qui en comptera sept (voir notamment ici) – succédant ainsi à Go (1991), Extenso (1993), Apex (1994) et Clam (1998) – Exeo (2002), dédié à la mémoire de Xenakis, résulte d’une commande de Radio France, de la Radio bavaroise (où il a été créé) et de Musica viva (Munich). D’une durée de douze minutes, la pièce fait appel à un orchestre symphonique traditionnel (bois et cuivres par trois, quatre cors, tuba) toutefois dépourvu de percussions. Sans être révolutionnaire, elle confirme l’exceptionnelle maîtrise des timbres et le sens dramatique caractéristiques de Dusapin. Consciemment ou non, sa musique semble cependant ici inhabituellement chargée de références, non pas tant à Xenakis, d’ailleurs, mais plutôt à un romantisme sombre et passionné, tenant à la fois de Berlioz pour la démesure du propos et le souci des couleurs ou de Sibelius pour la continuité du discours ou le traitement jubilatoire des vagues sonores, mais aussi de Varèse pour la manière d’opposer les registres, dans la partie centrale, où une mélodie des violons dans l’extrême aigu est simplement soutenue par les contrebasses.
De même que l’on n’attendait pas nécessairement Roger Muraro dans ce répertoire (voir ici), la prestation de Nicholas Angelich dans le Deuxième concerto pour piano (1900) de Rachmaninov soulevait une certaine curiosité. S’il cultive une approche plus souple, notamment dans la gestion des tempi (globalement assez retenus), et plus ouvertement expressive que son collègue français, le pianiste américain n’en conserve pas moins un souci constant d’articulation. Comme toujours, Angelich, dans des instants plus chambristes que concertants, n’a pas son pareil pour faire ressortir certains détails de l’écriture et, surtout, pour porter le regard sur les abîmes insoupçonnés d’une partition pourtant si râbachée. Parallèlement, de façon assez inhabituelle, Josep Pons n’entend pas cantonner l’accompagnement à un rôle secondaire et fait donc respirer amplement l’orchestre. En bis, Angelich offre une lecture exceptionnellement concentrée du Nocturne opus 55 n° 2 (1843) de Chopin.
C’est aussi par un Nocturne, premier volet de la Première suite de Daphnis et Chloé (1912) de Ravel, que s’ouvrait la seconde partie du concert: en effet, seules les deux Suites étaient interprétées pour l’occasion, soit environ la moitié de cette «symphonie chorégraphique en trois parties», mais sans sacrifier, comme on le fait souvent, la partie vocale, confiée au Chœur de Radio France. Si Josep Pons s’est fait connaître par ses enregistrements de Manuel de Falla à la tête de l’Orchestre de chambre du «Teatre lliure» qu’il avait fondé puis par son activité à l’Orchestre de la ville de Grenade, il est devenu directeur artistique et chef principal de l’Orchestre national d’Espagne depuis 2003. Prenant délibérément son temps, il privilégie les atmosphères sensuelles, moelleuses et capiteuses (Nocturne, Lever du jour), merveilleusement rendues par un Orchestre national de France décidément très à l’aise dans cette époque «Ballets russes» – impossible d’oublier en effet le bel Oiseau de feu que cette formation avait livré en mars dernier (voir ici) – et révélant des individualités remarquables (par exemple l’ensemble du pupitre de flûtes ou la clarinette de Patrick Messina). Mais le chef catalan parvient également à mettre en valeur tout ce qui, notamment dans la Danse guerrière, annonce déjà Le Sacre du printemps. Cela étant, comme à Dusapin en première partie, l’orchestre ne lui prodigue qu’un accueil réservé.
Simon Corley
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