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Raffinement et discrétion : une soirée rare

Strasbourg
Opéra National du Rhin
12/11/2004 -  
Hugo Wolf : 4 Lieder du Spanisches Liederbuch
Robert Schumann : 5 Poèmes de la Reine Marie Stuart
Hugo Wolf : 7 Goethe-Lieder
Gustav Mahler : Der Abschied

Misuko Shirai (mezzo-soprano), Hartmut Höll (piano)

Mitsuko Shirai et Hartmut Höll, couple emblématique du Lied allemand… Il y a bien longtemps que l’on court pour ces deux là, en quête de l’émotion unique qu’ils savent si bien distiller, subtilement littéraire tout en restant chaleureuse, musicale mais sans afféterie ni manières… la quintessence de ce que le Lied peut apporter d’irremplaçable, dans l’intimité, presque entre amis.

Et pourtant, on le devine au disque (où l’on capte toujours Mitsuko Shirai de très près) et c’est encore plus patent en scène : que de défauts dans cette voix ! La projection est déficiente, prise dans le masque, obligeant l’interprète à pousser de terribles sons tubés dès qu’il s’agit de dépasser le mezzo-forte. Le timbre, naturellement sombre, ne recèle qu’un jeu d’ombres et de lumière limité. Et puis l’âge, à présent, fait son œuvre, avec de perceptibles ravages dans la stabilité de la colonne d’air (le début du récital est franchement alarmant). Quant à la prononciation, réputée irréprochable et effectivement très claire, voire trop minutieuse, au disque, elle ne passe que difficilement la rampe en public. Objectivement, les yeux fermés, impossible de comprendre ici plus de la moitié de ce qui se dit, y compris dans les Wolf les plus pointus.

Réserves de taille, qui suffiraient à renvoyer d’autres voix à leurs chères études, et pourtant presque sans importance ici, tant la qualité du travail de l’accompagnateur vient suppléer, voire fait totalement oublier les déficiences de la chanteuse. Tout ce qui manque en timbre, en projection, en rechange de couleurs, en expressivité du phrasé chez Mitsuko Shirai, on le retrouve dans le piano d’Hartmut Höll, à écouter religieusement, les yeux fermés. Encore que l’on soit souvent tenté de scruter les doigts, voire les pieds du pianiste, à la recherche des secrets de cette pratique presque surnaturelle de l’instrument. Quelques indices à glaner : un jeu très subtil des trois pédales, avec une tendance marquée à ne jouer fort que quand la pédale douce est abaissée, des mains très enfoncées dans le clavier… mais ce ne sont là que des pistes. Le reste relève tout simplement du miracle. Et tenir le public en haleine au cours de la quasi demi-heure de l'Adieu du Chant de la Terre, avec les seules ressources d’une réduction pianistique très fidèle (jusque dans son dénuement, parfois proche du silence), est un exploit qui s’impose presque trop, au détriment de l’aspect vocal de ce Lied crépusculaire, pourtant détaillé par Mitsuko Shirai avec une intériorité et une humanité admirables.

Le public, lui, écoute dans un remarquable silence (un soir froid et humide de décembre à Strasbourg, la performance mérite aussi d’être saluée), se laisse charmer, étonner, voire bluffer. Car il est évident que cet art, qui culmine ici dans quatre Mignon de Wolf d’une beauté à couper le souffle, n’est que complémentarité, partenariat à un degré suprême, et jamais performance vocale mémorable. Une forme de transcendance, d’accomplissement, à apprécier en restant conscient de son caractère exceptionnel, voire fragile. Soirée aux frontières du silence, intriguante et évidente tout à la fois, dont les résonances se prolongent bien au delà du concert et de ses deux bis (un Rückert de Mahler et Anakreon’s Grab de Wolf).

Davantage un partage qu’un récital, c’est certain, mais des soirées de cette intensité, en vit-on beaucoup ?



Laurent Barthel

 

 

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