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Une «dégénéresence» bien revigorante

Paris
Cité de la musique
10/15/2004 -  
Franz Schreker : Der Geburstag der Infantin
Ervin Schulhoff : Concerto pour piano, opus 43, WV 66 – Concerto pour quatuor à cordes, WV 97
Paul Hindemith : Symphonie «Mathis der Maler»

Olli Mustonen (piano), Sarah Nemtanu, Laurent Manaud-Pallas (violon), Sabine Toutain (alto), Jean-Luc Bourré (violoncelle)
Orchestre national de France, Lothar Zagrosek (direction)


Dans le cadre du cycle «Officiels et diffamés» organisé en parallèle à l’exposition «Le Troisième Reich et la musique» (voir par ailleurs ici), l’Orchestre national de France s’attardait sur certains de ces créateurs interdits par le régime nazi, ces «dégénérés», pour reprendre le qualificatif (entartet) forgé par la propagande en 1938 mais fièrement revendiqué par la collection créée chez Decca il y a une dizaine d’années. Schreker, Schulhoff, Hindemith: si deux premiers furent oubliés après-guerre, seul le troisième ayant survécu à ces années noires, la notoriété de ces compositeurs était telle, jusqu’au début des années 1930, que les œuvres présentées au cours de ce concert avaient été respectivement créées par Mengelberg avec le Concertgebouw, par Talich avec la Philharmonie tchèque et par Furtwängler avec la Philharmonie de Berlin.


Si l’on connaît surtout Franz Schreker (voir ici) pour ses opéras – Der ferne Klang (voir ici et ici) ou Die Gezeichneten (voir ici) – et si l’on a pu entendre à Paris certaines de ses pièces orchestrales, à commencer par sa merveilleuse Symphonie de chambre (voir ici et ici), L’Anniversaire de l’infante (1908) fait davantage figure de rareté. Cette musique de scène pour ensemble de chambre, destinée à une adaptation en pantomime du conte éponyme d’Oscar Wilde, qui inspira ensuite à Zemlinsky son opéra Le Nain (1921), était ici donnée dans sa version pour grand orchestre réalisée quinze ans plus tard, dédiée à Mengelberg et à ses musiciens. C’est dire la renommée alors acquise par le compositeur autrichien, dont la vie et la carrière, commencées à Vienne et poursuivies à Berlin (dont il dirigea le Conservatoire entre 1920 et 1932), furent littéralement brisées par l’avènement d’Hitler. A la tête d’un effectif impressionnant, comprenant notamment quatre guitares, quatre mandolines et neuf percussionnistes, Lothar Zagrosek n’en fait pas moins ressortir la transparence et la finesse de ces courts tableaux enregistrés en son temps par l’un de ses maîtres, Hans Swarowsky, et qui conjuguent harmonie straussienne et subtilité debussyste.


Ervin Schulhoff (voir ici et voir ici), communiste convaincu, auteur d’une cantate dont le texte n’était autre que le Manifeste de Marx et Engels, mais aussi d’une Sonata erotica, périt en 1942 dans un camp bavarois. D’un seul tenant, le Concerto pour piano et petit orchestre (1923) – en fait son second concerto, qui sera lui-même suivi d’un Double concerto pour flûte et piano (1927) – s’inscrit dans le bouillonnement de cette époque, entre futurisme, jazz et provocation, évoquant ainsi à la fois le Deuxième concerto (1913) de Prokofiev, les Cinq études pour piano et orchestre (1920) de Milhaud ou la Première Kammermusik de Hindemith et les échos du monde «moderne» qui résonnent dans son Final 1921. Au «petit orchestre» (bois et cors par deux, trompette) s’ajoute une riche partie de percussion (neuf exécutants), de telle sorte que les trente cordes peinent à ressortir de l’ensemble. Bien que lui-même pianiste, Schulhoff, hormis dans une longue cadence centrale, ne privilégie pas outre mesure le soliste, qui, peu avant la coda, accompagne même longuement le premier violon (l’excellent Luc Héry). L’omniprésence des gammes par tons, parfois associée au caractère répétitif et lancinant du gamelan, rappelle que le compositeur tchèque, formé à Prague, à Vienne et en Allemagne, a aussi séjourné à Paris, où il a travaillé avec Debussy, comme Bartok quelques années plus tôt.


En bis, c’est précisément un Vieil air hongrois, extrait de Pour les enfants (1909) de Bartok, qu’Olli Mustonen (1), parfaitement à l’aise dans l’extravagance débridée du concerto, a choisi: une mélodie simple mais à l’harmonisation très travaillée, qui, sous ses doigts, devient tout sauf insignifiante.


Le Concerto pour quatuor à cordes et orchestre d’instruments à vent (1930) de Schulhoff traduit une évolution vers un style plus raisonné, proche, par son contrepoint et son harmonie élaborés, du néoclassicisme vers lequel s’oriente alors Hindemith. Obéissant au schéma traditionnel vif/lent/vif, il est marqué, dans ses mouvements extrêmes, par un motorisme bien dans l’esprit de l’époque (au même moment, Martinu et Schönberg s’intéressent également au quatuor concertant), tandis que son Largo central sonne comme une sorte de marche funèbre d’une profonde gravité. Devant leurs quinze camarades (huit bois et sept cuivres), les quatre chefs de pupitre de l’Orchestre national défendent de façon très convaincante cette partition certes anguleuse et poivrée, mais pas aussi austère, ascétique et antihédoniste que ne le laisse entendre Eric Denut dans les notes de programme, comme le montre par exemple le Finale, qui cite une Danse slave de Dvorak avant de s'aventurer dans un slow fox.


Donnée voici une semaine à l’Auditorium Olivier Messiaen par Manfred Honeck et l’Orchestre philharmonique de Radio France (voir ici), la Symphonie «Mathis le peintre» (1934) de Hindemith, emblématique, y compris par son sujet, de la censure absurde exercée contre les artistes, concluait la soirée. Elle sonne plus largement dans l’acoustique généreuse de la Grande salle de la Cité de la musique, d’autant que Zagrosek, plus libre mais moins précis que son collègue et compatriote, exalte l’essence théâtrale de cette symphonie, mettant en valeur les superbes cuivres de l’Orchestre national.


(1) Signalons que le pianiste finlandais donnera un récital original et bariolé (Hindemith, Busoni, Bach/Busoni et Prokofiev) le mercredi 20 octobre à l’Auditorium du Louvre.



Simon Corley

 

 

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