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Débuts triomphaux

Paris
Théâtre Mogador
10/06/2004 -  et 7 octobre 2004
Anton Bruckner : Symphonie n° 5, G. A. 96

Orchestre de Paris, Marek Janowski (direction)


Pourtant familier de longue date de la capitale, Marek Janowski faisait ses débuts avec l’Orchestre de Paris. Cette rencontre était attendue avec d’autant plus d’impatience qu’elle réunissait des musiciens aux éminentes qualités instrumentales et un chef qui a fortement marqué la vie musicale française de sa présence durant les seize ans (1984-2000) qu’il a passés à l’Orchestre philharmonique de Radio France. Et, étrangement, il est né à Varsovie presque exactement un an avant celui qui est aujourd’hui le directeur musical de l’Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach, originaire quant à lui de Wroclaw.


C’est avec une inoubliable Huitième symphonie de Bruckner que Janowski avait fait ses adieux à cette formation voici plus de quatre ans (voir ici), n’étant revenu depuis que pour de ponctuelles apparitions à la tête des orchestres dont il a désormais la charge: les philharmonies de Dresde (voir ici) et de Monte-Carlo (voir ici). Et c’est avec la Cinquième symphonie (1878) du compositeur autrichien qu’il entame son véritable retour en France, pour une sorte de mini-saison au cours de laquelle il donnera quatre programmes avec l’Orchestre de Paris, soit un total de huit concerts.


Unique œuvre à l’affiche, cette Cinquième constitue sans doute le témoignage le plus caractéristique de l’univers du maître de Saint-Florian – même si celui-ci, malgré une création tardive, deux ans avant sa mort, dans une version abrégée de sa propre main, ne put jamais l’entendre – mais, de ce fait, n’est pas nécessairement aussi célèbre ou abordable que d’autres de ses symphonies, par exemple les Quatrième ou Septième. Le public n’en a pas moins rempli le Théâtre Mogador, ce dont il y a lieu de se réjouir non seulement pour les artistes, mais aussi pour un compositeur longtemps absent des scènes françaises et qu’un commentaire imbécile paru cette semaine dans le supplément culturel hebdomadaire et francilien d’un quotidien du soir voulait amalgamer au Troisième Reich.


Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage, car s’il s’agit de rappeler que les Nazis avaient fait de Bruckner un porte-étendard du régime, parmi tant d’autres créateurs qui, six pieds sous terre, n’y pouvaient mais, un minimum d’honnêteté intellectuelle aurait dû conduire à préciser que les motifs esthétiques de cette récupération n’étaient certainement pas les plus importants. A défaut de se souvenir du peu de sens politique ou même tout bonnement du peu de sens des réalités dont Bruckner fit preuve durant toute son existence, certains feraient mieux d’assumer ouvertement qu’ils restent insensibles à cette musique, ce qui n’aurait bien évidemment rien d’infamant, plutôt que de tenter de la déconsidérer en l’assimilant au régime nazi («Une [...] partition au passé nettement plus sulfureux [...], d’un compositeur chéri du nazisme. Hitler et ses sbires adoraient la grandiloquence») et en la disqualifiant («œuvre roborative, voire interminable»).


A quand le boycott des légumes au prétexte que Hitler était végétarien (ce qui serait, semble-t-il, controversé...)? Et le descendant de Bruckner est-il, pour simplifier, Carl Orff, ce qui serait d’ailleurs musicalement absurde, ou ne s’agirait-il pas après tout de Karl Amadeus Hartmann, une personnalité contrainte à l’exil intérieur jusqu’en 1945, dont la Sixième symphonie, comme la Cinquième de Bruckner, se conclut par une époustouflante série de fugues?


Heureusement, cette soirée fournissait la meilleure réponse qui soit à ces perfides insinuations. Car après la disparition de Böhm, Jochum, Karajan, Celibidache, Tintner et Wand, les grands brucknériens ne sont plus légion, mais Janowski en fait indubitablement partie. Et pourtant, on ne peut pas dire que son style, vif et acéré ainsi qu’on l’a toujours connu, pèche par quelque goût que ce soit pour la «grandiloquence». Travaillant par cœur, il dépoussière cette prétendue tradition d’interprétation exclusivement monumentale et met au contraire en valeur la vie qui anime la partition, entre ampleur des phrasés, parfaitement tenus, sans la moindre fioriture, et transparence, même dans les tutti, avec ces attaques précises et tranchées si typiques de sa manière.


Janowski dépeint un Bruckner plus humain que divin – vindicatif ou enjoué, robuste et rustique à souhait dans le Scherzo – et, au fond, très beethovénien, avec ce Finale fugué dépourvu de toute dérive scolastique mais bien plus proche de l’esprit épique qui est celui de la Grande fugue. Dynamique, voire violent, le discours avance en permanence, sans doute plus dramatique que soucieux d’édifier une cathédrale sonore ou une somme mystique, même si le résultat se révèle tout aussi impressionnant. C’est que le chef allemand possède un art de la progression et de la transition qui réussit à merveille dans cette musique, dont il fait en outre ressortir les coloris instrumentaux. Il faut saluer ici, outre son excellence coutumière, la formidable capacité d’adaptation de l’Orchestre de Paris à une conception assez éloignée des habitudes acquises avec son directeur musical: il est vrai que sans le moindre hédonisme, Janowski, visiblement épuisé après soixante-dix-sept minutes d’une activité sur l’estrade qui a paru plus intense que par le passé, n’en suscite pas moins dans tous les pupitres un plaisir manifeste de jouer.


On retrouvera les mêmes dès les 13 et 14 octobre à Mogador dans l’ouverture Mer calme et Heureux voyage de Mendelssohn, le Concerto pour piano de Schumann (avec Lars Vogt en soliste) et la Sixième symphonie «Pastorale» de Beethoven.



Simon Corley

 

 

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