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Une Antigona en noir et blanc!

Paris
Châtelet
06/22/2004 -  et les 24 et 27*juin 2004.
Tommaso Traetta : Antigona

Raffaella Milanesi (Antigona), Kobie van Rensburg (Creonte), Laura Polverelli (Emone), Marina Comparato (Ismene), John McVeigh (Adrasto)
M/M (décors), Paul Quenson (costumes), Marie-Christine Soma (lumières), Eric Vigner (mise en scène)
Les Talens Lyriques et le Choeur de chambre les Eléments
Christophe Rousset (direction)

Après un somptueux enregistrement en 1997, Christophe Rousset remonte l’opéra peu connu de Tommaso Traetta, Antigona. L’oeuvre mérite véritablement cette réhabilitation car elle contient des airs magnifiques et variés: si la part de la virtuosité est très importante, le compositeur a écrit également des airs d’une belle gravité et d’une grande émotion, notamment pour le rôle de Creonte. La distribution présentée aujourd’hui est de qualité et elle est aidée par la direction inspirée et inventive de Christophe Rousset et par une mise en scène originale, certes, mais non-destructrice de l’oeuvre.



La mise en scène d’Eric Vigner repose sur deux couleurs, le blanc et le noir, et il sait les utiliser à des fins dramatiques. De grands panneaux, aux motifs géométriques ou en forme de poisson, montent et descendent sans cesse pendant la représentation. La scène est parfois remplie d’objets, destinés par exemple à la cérémonie funéraire comme des candélabres, etc… L’orchestre se trouve dans la fosse, certes, mais une deuxième scène est montée entre cette fosse et les premiers rangs de spectateurs, permettant ainsi aux chanteurs de se rapprocher du public pour des scènes percutantes (la mort des frères, les états d’âme de Créonte…) et ainsi rendre cette oeuvre plus intime. Les costumes sont assez recherchés notamment pour le choeur car ils ont des motifs différents (carreaux, lignes) toujours sur ce contraste noir/blanc. Créonte porte un ensemble noir puisqu’il est assimilé au rôle du méchant, tandis que Ismene, personnage un peu annexe, est tout en blanc. Le costume d’Antigona est intéressant car la chanteuse porte une robe noire simple avec toutefois des pans de tissu blanc. Le metteur en scène a tenu à rajouter les deux frères morts qui s’entretuent au début de l’opéra et Polynice apparaît plusieurs fois aux côté d’Antigone, notamment dans les scènes de funérailles: Eric Vigner insiste sur l’ambiguïté qui transparaît dans les relations entre le frère et la sœur. La direction s’attache beaucoup aux regards entre les protagonistes de la tragédie et à quelques gestes simples et suggestifs.

Raffaella Milanesi remplace Maria Bayo, initialement prévue, et se sort avec brio de ce rôle ardu. Elle se joue des difficultés musicales de la partition et enchaîne airs sur airs, tout en gardant à l’esprit le personnage. Elle campe une Antigona déterminée, un peu froide peut-être mais humaine quand elle se décide à rendre hommage à son frère mort. Après un début peu assuré, la chanteuse dévoile un instrument agile dans les aigus et les vocalises (même si les aigus perlés de Maria Bayo manquent), et fourni dans le medium et le grave. Elle se montre une tragédienne intéressante dans les airs plus sérieux, le “Non piangete i casi miei” du troisième acte, ou dans les passages plus dramatiques, comme le “Ombra cara, amorosa” au deuxième acte, où elle chante en mezza-voce ou avec une voix blanche. Elle semble prise d’une certaine folie quand elle demande la mort à Créonte et arrive à montrer la douleur d’Antigona et son renoncement heureux à la vie dans le duo final avec Emone.
Le rôle d’Emone est tenu par Laura Polverelli (qui avait déjà participé à l’enregistrement) qui apporte de chaudes couleurs avec son timbre grave profond et corsé. Elle donne un énergie au personnage et à l’ensemble d’ailleurs dans les duos ou trios avec Antigona. La chanteuse utilise avec facilité sa voix pour nuancer les reprises dans le duo “Ah, si; da te dipende” sur “la mia speranza, la mia costanza”.
Kobie van Rensburg campe un Creonte d’une grande force expressive et il transporte le public dans son air final “Ah non, non son gli Dei cagion”: il interprète de manière très vraie la douleur d’un père et tire des sons magnifiques de sa voix, malgré une fatigue assez perceptible, ce qui est normal à la fin de la représentation. Il ne ménage pas ses efforts non plus dans l’air plus rapide au début de l’acte III où il se met en colère contre Antigone “Non è il rigor tiranno” et il démontre toute la puissance du tyran qu’il est.
Marina Comparato est excellente dans le rôle d’Ismene qui demande plus d’intériorité que les autres personnages, comme en témoigne son premier air “ah giunto invan credei” qu’elle distille avec une grande émotion. Elle forme un magnifique duo plein d’allant avec Laura Polverelli au premier acte, leurs deux voix se mêlant harmonieusement. La chanteuse parvient également à donner une certaine épaisseur au personnage qui souffre un peu de l’ombre d’Antigona.
Le ténor John McVeigh, déjà remarqué dans La Betulia Liberata en novembre dernier au TCE, a le timbre idéal pour ce rôle un peu épisodique et annexe. Dans la droite ligne des ténors mozartiens, il apporte à son chant une noble élégance que viennent perturber quelques aigus un peu étouffés, mais son agilité vocale rend pleinement justice à la partition. Il dessine parfaitement l’ambiguïté qui existe entre le crime et la vengeance dans son “Chi può dir”, air qu’il mène avec grande maîtrise.
Il convient de souligner l’excellence du choeur Les Eléments dirigé par Joël Suhubiette. Les choristes se montrent très attentifs aux mots et à leur signification notamment quand ils accentuent les “s” de “sangue”. Au début du troisième acte, ils chantent un air plaintif et on les sent presque pleurer tant ils placent d’émotion dans leur chant. Ils sont également sensibles au rythme et apportent une énergie supplémentaire à l’ensemble. Du bien beau travail que l’on trouve assez rarement chez un choeur!


La direction de Christophe Rousset est vraiment excellente, remplie d’idées et d’une grande énergie. Il sait faire preuve de douceur, notamment dans l’arrivée d’Antigone au deuxième acte, à l’aide de crescendo et decrescendo expressifs et théâtraux. Le chef semble prendre du plaisir à donner un sens à cette oeuvre avec des élans et des tempi intéressants: une scène se crée véritablement et l’histoire est racontée non plus à travers la mise en scène mais à travers la musique. Son orchestre, comme toujours, répond très bien et on peut distinguer le pupitre des violons qui sonne avec beaucoup de musicalité.



Une bien belle redécouverte d’une oeuvre oubliée et d’un compositeur qui n’a pas eu beaucoup l’honneur du disque. Espérons que cette expérience sera le début d’une longue série de bonheur musical et que cela donnera l’idée aux directeurs de théâtre de prendre le risque de présenter une musique aussi belle et aussi poignante! En ce qui concerne Antigona le pari est plus que réussi grâce à une équipe homogène et irréprochable!




A noter:
- Christophe Rousset a enregistré Antigona avec Maria Bayo dans le rôle-titre, Anna-Maria Panzarella, Carlo Vincenzo Allemano, Laura Polverelli… et toujours les Talens Lyriques. (Decca)


Manon Ardouin

 

 

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