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Classiques du XXe siècle au Festival Karajan

Baden-Baden
Festspielhaus
05/29/2004 -  
Charles Ives : Central Park in the Dark, The Unanswered Question
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour violon No 1
Bela Bartok : Musique pour cordes, percussions et celesta

Gidon Kremer (violon), Orchestre Symphonique du Südwestfunk Baden-Baden et Freiburg, Michael Gielen (direction)

Au Festspielhaus de Baden-Baden, chaque week-end de Pentecôte marque traditionnellement le début du Festival Herbert von Karajan, manifestation de prestige étalée sur une dizaine de jours (un opéra et de multiples concerts). Le projet initial, qui remonte à 1998, était de retrouver à Baden-Baden un peu de l’ambiance privilégiée que Karajan créait autour de lui à Pâques puis à la Pentecôte dans sa ville natale de Salzbourg (avec la complicité d’un public davantage fidèle et motivé que celui, traditionnellement plus « touristique » du festival d’été). Mais l’essentiel de cette fragile individualité s’est progressivement perdu, orchestres et musiciens familiers du maître disparu se faisant de plus en plus rares dans une programmation désormais sans grande cohérence. Et que l’on utilise cette année le souvenir d’Herbert von Karajan pour cautionner un Rigoletto « à l’ancienne » (avec en fosse les timbres acides du Balthasar-Neumann-Ensemble de Thomas Hengelbrock) voire des chefs aussi objectifs et peu emphatiques que Michael Gielen et Kent Nagano (aux vertus indéniables mais décidément bien peu karajaniennes) laisse quand même songeur.


Mieux vaut donc faire abstraction du portrait du maître de Salzbourg, encore abondamment décliné sur toutes les affiches, mais dont la présence n’a plus grand sens. Et aussi ne pas se laisser impressionner par des concessions trop voyantes aux modes du moment : dégraissages baroques (Thomas Hengelbrock et son Balthasar-Neumann-Ensemble, Adam Fischer et l’Orchestre Wiener Klassik), pianistes dans le vent (Arcadi Volodos, Yundi Li, Hélène Grimaud, Mikhail Pletnev) et divas survitaminées (Bartoli)… La seule soirée de l’édition 2004 à conserver quelque chose de l’« esprit Karajan », sinon dans l’esthétique du moins dans une certaine rigueur exigeante, aura bien été ce concert Gidon Kremer/Michael Gielen, inégal, parfois éprouvant pour un public pas forcément préparé à un programme aussi ardu, mais fascinant comme peu de soirées d’orchestre le sont aujourd’hui.


Commencer un concert par deux œuvres de Charles Ives (Central Park in the Dark, puis The Unanswered Question) toutes deux aux confins du silence, est de toute façon déjà un défi, même si le jeu de symétries avec les musiques nocturnes bartokiennes de fin de programme est pertinent. Un peu déconcerté par un éventail dynamique très réduit, ainsi que par un dispositif inhabituel (deux chefs d’orchestre), il n’est pas certain que le public en ait retiré grand-chose de marquant. Par ailleurs déléguer la gestion des cordes à un assistant (Franz Lang) pour ne diriger que la percussion et la petite harmonie constitue de la part de Michael Gielen un beau geste mais ne favorise pas l’homogénéité du tapis sonore déroulé par le quatuor, qui aurait sonné encore plus précisément sous la direction du vrai maître d’œuvre de la soirée. Ajoutons qu’ici, contrairement à ce qui est de règle pour d’autres superpositions rythmiques ivesiennes, la présence de deux battues, même si elle est commode, n’est pas indispensable. Elle ne fait que souligner la technicité de ces deux œuvres au détriment de leur pouvoir d’évocation poétique (en particulier l’ambiance énigmatique de The Unanswered Question, un peu oubliée au profit d’une lecture trop clinique).


Connaissant l’indifférence de Michael Gielen à l’égard de l’œuvre de Chostakovitch, assez compréhensible de la part d’un chef d’obédience plus naturellement schoenbergienne que néo-classique, on attendait avec curiosité le Concerto pour violon No 1, partition peut-être davantage choisie par le soliste (Gidon Kremer, d’ailleurs seul vrai « rescapé », de l’ère Karajan présent à Baden-Baden cette année) que par le chef. Et il est vrai que Gielen ne s’y implique pas complètement, se contenant dans les mouvements rapides d’une battue cursive, qui n’a pas le côté « canaille » et obsessionnel que l’on serait en droit d’attendre. En revanche, on ne peut qu’admirer l’émotion constante des mouvements lents, qui naît justement d’une sentimentalité rigoureusement canalisée et jamais soulignée, Gidon Kremer optant quant à lui pour la même absence d’effet, avec une sonorité que l’on a déjà connue plus irradiante, mais qui reste d’une remarquable fermeté.


La soirée ne trouve en fait son accomplissement que dans sa dernière partie, mais à un niveau incomparable. On ne se souvient pas avoir entendu ailleurs une Musique pour cordes, percussions et celesta de Bartok maîtrisée à ce degré de perfection. Exploit de l’orchestre d’abord, d’une précision infinitésimale, mais aussi du chef, qui livre de cette partition complexe une lecture d’une limpidité presque vertigineuse. Jamais l’abord de l’œuvre n’aura paru aussi aisé, les multiples strates de la polyphonie semblant y exister chacune pour elle-même, disparaissant et réapparaissant dans le discours avec une lisibilité jamais prise en défaut. Et quel miraculeux 3e mouvement, où le public même le moins initié ne peut que retenir son souffle, à l’écoute des multiples bruissements d’un orchestre devenu représentation cosmique d’une nature restituée avec des raffinements sonores proprement inouïs. Moments privilégiés comme seuls peut-être cet orchestre et ce chef précis peuvent les créer aujourd’hui… de quoi largement justifier un petit voyage à Baden-Baden de temps en temps, même hors festivités printanières et ultra-chic.



Laurent Barthel

 

 

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