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C’est de quelle couleur un Noir? Geneva Bâtiment des Forces Motrices 04/17/2004 - et les 19, 22, 24, 26, 28* et 30 avril ainsi que les 2 et 4 mai Michaël Levinas: Les Nègres Herbert Perry (Archibald), Wendy Waller (la Reine), Bonita Hyman (Félicité), Lori Brown Mirabal (Bobo), Maureen Brathwaite (Vertu), Hans Voschezang (Village), Fabrice di Falco (Diouf), Timuke Olafimihan (Neige), Mark Coles (le Missionnaire), Colenton Freeman (le Valet), Brian Green (le Juge), David Lee Brewer (le Gouverneur), Jean-Richard Fleurençois (Ville de Saint-Nazaire)
Chœurs du Grand Théâtre (Ching-Lien Wu, préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Bernhard Kontarsky (direction), Stanislas Nordey (mise en scène)
Au début des années 90 déjà, Michaël Levinas songe à tirer un opéra des Nègres de Jean Genet. Grâce à une commande conjointe de l’Opéra National de Lyon et du Grand Théâtre de Genève, le rêve devient réalité: le compositeur et pianiste se met au travail et termine son troisième ouvrage lyrique en 2003. On connaît la suite: la partition est créée à Lyon le 20 janvier dernier et elle est maintenant jouée en Suisse.
Dans sa pièce écrite en 1958 non pour les Noirs, mais contre les Blancs, à une époque où la France était déjà empêtrée dans la crise algérienne, Genet dénonce avec violence le racisme et le colonialisme. L’ouvrage, une clownerie selon le terme même de l’auteur, adopte la forme de la satire féroce. Les Noirs ne sont pas vraiment Noirs et les Blancs pas vraiment Blancs puisque tous portent des masques. Il faut reconnaître cependant qu’à force d’avoir été rabâchée par la suite par nombre d’écrivains ou d’historiens, l’argumentation semble aujourd’hui passablement datée. Néanmoins, ce qui continue de garder toute son actualité dans le texte de Genet, c’est sa formidable ironie, qui est rendue dans la musique de Levinas par un pastiche des styles les plus divers. Ainsi l’ouvrage est-il un joyeux mélange d’airs classiques dévolus à chacun des personnages, d’opéra baroque, d’opérette, de négros spirituals, de valses, de comptines ou encore de passages symphoniques, le tout accompagné d’une technologie électronique et acoustique de pointe (collaboration de l’IRCAM). L’opéra est en plus parsemé de rythmes répétitifs à la Philipp Glass et la plupart des mélodies se retiennent facilement. En fin de compte, si l’orchestration peut parfois paraître peu travaillée, voire simpliste, il est tout de même bien agréable d’assister à la représentation d’une œuvre contemporaine qui ne soit, pour une fois, ni complètement hermétique ni terriblement complexe.
Dans sa mise en scène, Stanislas Nordey souligne le caractère rituel des situations. Les personnages sont tous incarnés par des Noirs. La Cour, formée de la Reine et de ses courtisans (habillés, maquillés et poudrés comme des Blancs), assiste à un simulacre de meurtre au sommet de ce qui semble être un balcon. Au niveau de la scène, huit Nègres procèdent à la reconstitution du massacre d’une Blanche; dans les coulisses a lieu l’exécution d’un traître par les siens. Le comportement de chacun des personnages est stylisé à l’extrême, à l’instar des décors sobres et géométriques d’Emmanuel Clolus.
Le gros point noir, si on peut dire, de la distribution est la diction de la plupart des chanteurs, tout simplement catastrophique. Dans un ouvrage où le texte est aussi important, c’est dommage. Heureusement que les surtitres aident à comprendre le livret! Il convient néanmoins de relever l’excellente prestation de Fabrice di Falco, qui alterne avec brio voix de poitrine et voix de tête dans une tessiture sollicitée à l’extrême. Une mention particulière est à décerner aussi à la Reine de Wendy Waller et à la Félicité de Bonita Hyman, toutes deux particulièrement émouvantes. Grand spécialiste de musique contemporaire, Bernhard Kontarsky dirige ce patchwork musical avec précision et conviction.
Claudio Poloni
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