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Fête sonore

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
03/06/2004 -  
Karl Amadeus Hartmann : Miserae
Béla Bartok : Concerto pour piano n° 3, sz. 119
Igor Stravinski : L’Oiseau de feu

Hélène Grimaud (piano)
Orchestre national de France, Ingo Metzmacher (direction)


Invité par l’Orchestre national de France pour deux programmes de musique du XXe siècle, Ingo Metzmacher, qui fut autrefois le pianiste de l’Ensemble Modern de Francfort, s’est effectivement fait connaître plus particulièrement dans ce domaine. Il a notamment gravé une intégrale de la musique symphonique de Karl Amadeus Hartmann (1905-1963), un compositeur qui reste trop rare à Paris: les dernières apparitions de certaines de ses symphonies (Première, Cinquième et Sixième) remontent sans doute au temps où l’autre orchestre de Radio France, le Philharmonique, accueillait Ferdinand Leitner ou, plus près de nous, lorsqu’il avait Marek Janowski pour directeur musical.


Rareté parmi les raretés, le chef allemand avait choisi, pour débuter son premier programme, Miserae (1933-1934), dont le titre et l’époque suffiraient à définir le climat, s’agissant d’un compositeur qui, sous le régime nazi, s’est réfugié dans un exil intérieur, refusant d’être joué en Allemagne mais continuant à écrire des œuvres d’un caractère souvent très sombre: Première symphonie sous-titrée Essai de requiem (1935-1936), Concerto funèbre (1939), Sinfonia tragica (1940-1943), Sinfoniae dramaticae (1942-1943), Klagegesang (1944) et Sonate pour piano «27 avril 1945» (1945). Le 27 avril 1945 est le jour de la libération de Dachau et Miserae, précisément, est dédié aux premières victimes des camps de concentration.


On se trouve ici à la transition entre deux mondes: celui, très «années 1920», des premières partitions, excessives et extraverties, comme les Sonates (1927) pour violon seul ou Jazz-toccata et fugue (1928) pour piano, et celui de la maturité de Hartmann, marqué par l’enseignement de Scherchen et, plus tard (1941-1942), de Webern, même si sa musique s’inscrit davantage dans la tradition de Mahler et de Berg. Précédant de peu cette évolution de son langage, Miserae traduit l’influence de Hindemith, avec une alternance de déploration et de grotesque qui évoque également l’univers de Chostakovitch. Créé par Scherchen à Prague en 1935, ce poème symphonique fait appel à une formation qui met l’accent sur les cuivres (quatre cors, trois trompettes, trois trombones et tuba) et les percussions davantage que sur les bois (par deux seulement) ou les cordes (exclues de l’introduction lente). D’une durée de treize minutes, il fait se succéder, dans un esprit rhapsodique, des épisodes fortement contrastés et organisés autour de brefs thèmes conducteurs. L’un d’entre eux, avec ses notes répétées des violons, rappelle celui du Prélude de De la maison des morts de Janacek, dont la première (posthume) avait été montée à Brno en 1930: étrange coïncidence pour un opéra dont l’action se situe dans un camp de prisonniers.


Cela étant, si le public avait rempli le Théâtre des Champs-Elysées, c’était bien évidemment pour la venue d’Hélène Grimaud: après Londres (voir ici) et New York (voir ici), elle présentait le Troisième concerto (1945) de Bartok. On prête généralement à l’ultime oeuvre du compositeur hongrois, destinée à son épouse pianiste, une atmosphère mozartienne, notamment par rapport au style plus pimenté des deux premiers concertos. Mais si l’effectif est allégé en conséquence (quarante cordes), la soliste ne l’entend pas cette oreille, faisant ressortir de façon assez inhabituelle les aspects nerveux et percussifs des mouvements extrêmes, avec de spectaculaires enchaînements d’accords qui tiennent de Rachmaninov ou de Prokofiev. L’Adagio religioso, gâché par un déferlement de toux, est entrecoupé de profonds soupirs, que l’on imagine extatiques de la part de celle dont le dernier disque, abondamment promu à l’occasion de ce concert suivi d’une séance de dédicaces, s’intitule Credo. Mais l’approche virtuose reprend ses droits dans un Allegro vivace final, d’ailleurs bissé, trépidant, agile et puissant à la fois, démontrant une formidable aisance technique. Bref, la jeune Aixoise, si elle est déjà depuis longtemps une légende, reste encore une pianiste.


Supplanté par sa Deuxième suite, comme Daphnis et Chloé ou Bacchus et Ariane, L’Oiseau de feu (1910) de Stravinski gagne pourtant à être donné dans sa version intégrale, qui requiert un effectif impressionnant (bois par quatre dont deux contrebassons, trompette derrière la scène, trois harpes, piano, célesta) et qui révèle, derrière le caractère nécessairement décousu de la narration, des moments magnifiques, orchestrés de manière rutilante. Montrant tout ce que la science du compositeur russe doit aussi bien à Rimski et Scriabine qu’à Debussy et Ravel, le travail de Metzmacher et de l’Orchestre national tient du miracle quasi permanent: la musique ne semble jamais toucher terre, d’une subtilité, d’une transparence et d’un raffinement exceptionnels, exprimant tous les détails sans jamais compromettre l’ensemble, alternant textures impalpables, babillages virevoltants et déchaînements de sauvagerie somptueuse. Une démonstration d’orchestre qui gagnerait sans doute à rejoindre, chez Naïve, les enregistrements déjà légendaires de l’Orchestre national avec Svetlanov, Sanderling, Haitink et Muti.


Spécial distraits: Metzmacher dirigera une seconde fois l’Orchestre national à la Cité de la musique le 10 mars, dans un programme essentiellement consacré à Luciano Berio.



Simon Corley

 

 

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