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Festival de musique ancienne d’Innsbruck (Autriche) " Guerra amorosa ". 13 - 29 août 1999

Innsbruck
Tiroler Landestheater
08/13/1999 -  jusqu'au 29 août 1999

Le festival articulait finement ses programmes autour du thème Guerra amorosa, titre tiré, on le sait, du huitième livre des Madrigali guerrieri e amorosi con opusculi in genere rappresentativo (1638) de Monteverdi dont René Jacobs donnait une version avec un ensemble instrumental fourni provenant de la Schola Cantorum Basiliensis, et une " mise en danse " par Joachim Schlömer. Trois chemins déclinaient ce combat singulier : "la musique romaine du XVIIe siècle ", " du madrigal à l’opéra ", " Mozart et la musique ancienne ". Plusieurs manifestations tout à fait intéressantes accompagnaient tout cela : une magnifique exposition au château d’Ambras sur les instruments de la collection du cabinet de curiosités de l’archiduc Ferdinand II (1529-1595), un forum avec les facteurs de copies d’instruments anciens, et des masters class de musique ancienne organisées par le festival lui-même où l’on retrouvait Alfredo Bernardini, Thomas Müller, Andreas Lackner, Andrew Manze, Charles Medlam, Ursula Weiss, Jesper Christensen, Nigel North, Lorenzo Ghielmi entre autres.


La dolce vita

Tiroler Landestheater
Les 14, 16 et 17 août 1999
Domenico Mazzochi : La catena d’Adone
Erian James (Falsirena), Jordi Domenech (Adone), Guillemette Laurens (Idonia), Wilfried Jochens (Oraspe), Gerd Türk (Apollo), Stephan Schreckenberger (Arsete), Antonio Abete (Plutone), Sylvia Koke (Venere), Caroline Pelon (Amore)
Jakob Peters-Messer (mise en scène), Bettina Meyer (décors et costumes)
Cantus Cölln, Concerto Palatino, Konrad Junghänel (direction)

En coproduction avec le Festival des Flandres et l’Opéra d’Anvers, le festival d’Innsbruck présentait en ouverture une pièce de choix, toujours rare : un opéra baroque mis en scène.
Le livret d’Ottavio Tronsarelli est tiré du grand poème (42000 vers) L’Adone, d’un Napolitain ami de Torquato Tasso, Giambattista Marino. Ce récit des amours de Vénus et d’Adonis, tiré du livre X des Métamorphoses d’Ovide et dédié à Louis XIII, est un des plus fameux emblèmes du conceptisme, la pointe baroque qui trouvera sa véritable bible dans le Cannocchiale aristotelico d’Emanuele Tesauro et les écrits de Gracian. Dans cette perspective littéraire, une importance centrale est accordée à la métaphore. Ce " transfert " se perçoit aussi dans la métamorphose d’une personne dans une autre image. Le basculement du mot correspond à un basculement d’identité, aussi bien sémantique que fabuleux. L’histoire d’Adonis, par ses nombreuses allégories, avait déjà intéressé Macrobe dans les Saturnales, St Jérôme expliquant Ezechiel, et Plutarque dans ses Symposiaques. L’Adone du Cavalier Marin ne paraît à Paris et à Venise –simultanément– qu’en 1623, et La catena d’Adone, en un prologue et cinq actes, est montée à Rome en 1626 ! L’année suivante, le poème de Marino est d’ailleurs mis à l’Index.
En choisissant ce grand poème encyclopédique, les auteurs prennent donc le parti de la modernité. L’épisode retenu pour l’opéra vient après l’"initiation " d’Adonis à l’intérieur du palais de Vénus et Cupidon, situé au coeur de l’île de Chypre. D’ailleurs, pendant le prologue et la première scène, le putto reconnaissable, dans une peinture en médaillon, supervise les débuts de l’intrigue.
Adonis a séduit Vénus et est acculé à la fuite par la colère de Mars, époux légitime de celle-ci. Dans la profonde forêt, il arrive dans le territoire de Falsirena, qui s’éprend de lui aussitôt.
Elle le retient dans les doux paysages de son royaume par une chaîne magique, invisible, mais ne parvient pas pour autant à s’assurer les bonnes grâces d’Adonis, qui reste insensible. La magicienne devine une rivale et s’aide de Pluton (superbe Antonio Abete) pour la découvrir. Dès lors, Falsirena joue la confusion des rôles et apparaît en Vénus à Adonis. Un dieu (faux) prend l’apparence d’un vrai. Adonis est abusé quelques instants, mais la déesse titulaire réapparaît et enchaîne la falsificatrice à un rocher, avec sa propre entrave.
Au début de la deuxième scène, le décor se lève et laisse place à des moucharabiehs/confessionnels qui se transformeront plus tard, par un mouvement rotatif ingénieux en petites loges. Au milieu, seul, Adone déroule un grand monologue - il en a plusieurs, qui forment tous des sommets de cet opéra, comme la deuxième scène du troisième acte, la première du cinquième acte. Le contre-ténor Jordi Domenech déploie une belle voix, puissante et bien projetée. On regrettera que son jeu théâtral, brusque et peu esthétique, n’arrive pas à la hauteur de l’ardeur nostalgique de son chant. A cinq reprises son premier monologue va trouver un écho, comme une image invisible, insaisissable de sa parole. Un beau couple vocal tient également le devant de la scène : le style racé de Guillemette Laurens, et le chant sensible d’Erian James, qui rivalise de finesse et de subtilité dans la déclamation. Un merveilleux trio aux phrases audacieuses, entre Adonis, Vénus et l’Amour, clôt la représentation. Les 2 excellents cornettistes (Doron Sherwin –qui joue aussi du tambourin, Bruce Dickey), et leurs augmentations époustouflantes auront égaillé l’orchestre, en compagnie d’un continuo bien préparé, avec clavecin, orgue, luth, harpe, théorbe et le plus bel instrument de la soirée : le lirone.
Le théâtre d’Innsbruck a les dimensions idéales pour ce genre d’ouvrage. Toutefois le lieu ne suffit pas. Comparée à la richesse du livret, la mise en scène est pâle et décevante. A côté d’un noeud de paroles de musique et de choses, elle donne une impression de grisaille générale, et ce, malgré les costumes ecclésiastiques ouvragés replaçant l’oeuvre dans la Rome triomphante. Où sont les " effets spéciaux " qui pourrait changer une représentation intéressante pour initiés en véritable opéra ? La gestuelle est inexistante – rien à voir avec l’imagination délirante que l’on rencontre dans les églises d’Innsbruck ou dans le musée d’art ancien Ferdinandeum. Où sont les ballets et les décors ? Bien sûr, on a ce cadre gris, avec au fond un escalier de fer en colimaçon … La sphère armillaire de Falsirena est son seul outil magique. D’ailleurs les grands moments de l’enchanteresse, comme celui de la scène 2 de l’acte IV, ne tiennent que par l’engagement énergique d’Erian James. La mise en scène ne l’aide pas. C’est donc un spectacle tronqué malgré le vif intérêt qu’il recèle encore sous cette forme, la musique utilisant une grande variété de formes (madrigal a cappella, choeur, trio, arioso, récit, ritournelle instrumentale, etc). De fait, on goûtait mieux l’opéra en fermant les yeux – le comble pour un opéra baroque.


Tiroler Landestheater
Le 15 août 1999
Georg Anton Benda : Ariane à Naxos, Médée, mélodrames
Marie Kuijken, Stephan Genz (narrateurs)
Luiza Spinatelli (costumes)
La Petite Bande, Sigiswald Kuijken (direction)

Deux grandes figures de la femme amoureuse délaissée : Ariane, Médée. Mais la " guerra amorosa " se déroule également entre la parole et la musique. Qu’est ce qui va déterminer le monde : la syllabe ou la note ? C’ est l’éternel problème de l’expression de la voix, de la parole plutôt, en musique. Comment coordonner le récit littéraire, et la prosodie musicale, chacun ayant sa propre logique ? Deux mélodrames de la même année, 1775 (le premier fut créé à Gotha, le second à Leipzig), connaîtront un certain succès et resteront dans l’histoire grâce à la lettre de Mozart à son père, du 12 novembre 1778. Benda (1722-1795) est l’héritier des théories de Rousseau (précieux et profonds écrits sur la musique qui ont récemment été réédités dans le cinquième tome de ses oeuvres complètes en Pléiade) et de son Pygmalion (1762). Entre Empfindsamkeit et Sturm und Drang, la déclamation accompagnée vise le retour aux sentiments, à l’intimité du coeur et à ses épenchements. La sécularisation débattue entre Schmitt et Blumenberg notamment, est-elle déjà à l’oeuvre ? Le dolorisme religieux, le maniérisme baroque sacré se tournent-t-ils vers l’expression naturelle des affects ? Toujours est-il que c’est avec ces formes non religieuses que l’on s’aventure vers cette nouvelle expression de la déclamation accompagnée. Dans ce concert, le problème était bien celui de la déclamation théâtrale de Marie Kuijken : malgré une excellente diction, sa voix ne s’impose pas comme celle d’une tragédienne. Le dynamisme manque, l’orchestre a plus de passion que l’actrice, parfois maniérée, toujours peu convaincante. La Petite Bande s’acquitte très bien de son rôle, entre fulgurance instrumentale (dans cette composition par jeux d’échantillons, de fragments entre le soliste et la musique) et douceur d’arrière pays. Mais là où le principal manque, l’accompagnement ne peut mener à terme, seul, l’entreprise.


Château d’Ambras, Salle espagnole
Le 18 août 1999
" Oh mon Amour, dépêchons-nous ". Chants et arias allemands
Andreas Scholl (countertenor), Markus Märkl (clavecin)

On connaît l’aisance acquise en récital par Andreas Scholl ; sa grande tenue de voix, sa belle mais unique couleur naturelle aidée par une grande souplesse et l’art de poser les sons. En grande forme, il offrait donc au public d’Ambras cette leçon de facilité et de charme vocal. Pas un seul faux pas. Il rallia évidemment les suffrages. Plusieurs airs agréables de Johann Nauwach, Heinrich Albert, Adam & Johann Philipp Krieger, Johann Fischer, Andreas Hammerschmidt (un humoristique Kunst des Küssens), Johann Valentin Görner composaient ce programme, reliés par des textes ayant trait à l’amour et à ses déboires habituels. Les textes utilisés par Johann Nauwach (1595-1630) proviennent d’un écrivain particulièrement intéressant : Martin Opitz (1597-1639), fondateur silésien de la tragédie d’expression allemande en s’inspirant de la Dafne de Rinuccini et Peri, de la Giuditta de Salvadori et Gagliano, entreprise dont l’initiative revient à Heinrich Schütz ! Le plus étonnant de la soirée furent ces sons graves du An die Einsamkeit que Scholl a exécuté avec un timbre sorti tout droit de la gorge d’Alfred Deller. Markus Märkl brilla dans le stylus phantasticus du Prélude et Chaconne en Sol de Johann Fischer et Andreas Scholl termina, avec une nonchalance élégante, par une cantate de Haendel, Vedendo amor.


Château d’Ambras, Salle espagnole
Le 19 août 1999
Giaches de Wert, Madrigali (1561-1589)
Heinrich Schütz, Libro primo madrigali
(1611)
Cantus Cölln, Konrad Junghänel (luth et direction)

C’est encore dans la grande et riche salle de chasse du château d’Ambras que se poursuivait la " guerra amorosa " qui accueillait des pièces du franco-flamand Giaches de Wert, un élève de Philippe de Monte qui passait pour être l’un des meilleurs compositeurs d’Italie. Prédécesseur de Monteverdi à Mantoue – sous Guillaume de Gonzague - pendant que le futur génie chantait et jouait de la viole dans l’orchestre, De Wert composa de très nombreux madrigaux (ici : livre II n°2 ; livre VII n°8 & 9, livre VIII n°4, livre 14 n°11, livre 9 n°4, livre 10 n°14, livre 14 n°18, livre 12 n°3, livre 10 n°7, livre 9 n°9, livre 14 n°5) sur des textes de Pétrarque, et du Tasse entre autres. Le Cantus Cölln explore ce répertoire madrigalesque depuis un certain temps et on sent la maîtrise d’un petit ensemble de personnes qui travaillent côte à côte : l’attention au mot, le merveilleux ciselage des phrases dans Solo e pensoso, les alliances chaque seconde renouvelées de L’anima mia ferita, le scintillement des dynamiques dans Occhi, de l’alma vivaci, le frottement incroyable du Vago augelletto che cantando vai, l’expressionnisme de Giunto alla tomba où le Tasse narre l’arrivée de Tancrède devant la tombe de Clorinde : dans une lente introduction le chevalier s’approche, puis les sanglots jaillissent, la musique est rapide, brusque, violente. Ce fut sûrement, avec le génial Del vago mincio, le plus beau madrigal de cette première partie. L’émergence des voix coïncide ici avec la naissance subreptice de la seconda prattica.
La montée dramatique se poursuivit bien sûr, avec Schütz, autre homme du Nord à s’être illustré dans la musique italienne, et une dizaine de madrigaux tirés de son merveilleux premier livre publié à Venise en 1611 – dont un bel enregistrement vient de paraître par l’Orlando di Lasso Ensemble aux éditions Thorofon Capella. Heinrich Schütz joue en virtuose des combinaisons de voix, de mètres, de syllabes, des miroirs mélodiques. Il étonne et subjugue par l’assombrissement progressif de Giunto è pur, Lidia, il mio, jusqu’au saisissant " lascio la vita ", double de la coda du " uscir di vita " de Io moro, ecco ch’io moro, le pointillisme de Feritevi, viperette mordaci, le chromatisme de Dunque addio, care selve, le noeud incroyable sur " amarissimi " dans O dolcezze. Cantus Cölln distillait avec un vrai bonheur les innombrables richesses d’un des plus grands maîtres italiens de l’Allemagne et d’une des oeuvres les plus abouties du genre madrigalesque.


Grande salle du Palais de la Hofburg
Le 20 août 1999
Muzio Clementi, Preludio alla Haydn, Preludio alla Mozart, Sonates n°2 & n°6
Joseph Haydn, Andante con variazioni Hob. XVII/6
W. A. Mozart, Prélude et Fugue KV 394, Dix variations sur Unser dummer Pöbel meint (d’après des " Pélerins à la Mecque " de Gluck), KV 455

Andreas Staier (pianos-forte)

Paradoxalement, ce récital, qui a priori faisait pâle figure face à l’originalité des autres oeuvres présentées dans le festival, se révéla fantastique. Dans cette salle généalogique (les murs sont couverts de tableaux de la famille impériale) aux dimensions imposantes, le son des deux magnifiques instruments se déploya d’une manière inouïe. Le premier, construit à Londres en 1814, provenant de la manufacture de piano du compositeur lui-même (et aujourd’hui propriété d’un collectionneur d’Innsbruck), servit à magnifier la fameuse sixième sonate de Clementi, véritable créateur du style moderne pour le piano-forte. Andreas Staier tire des couleurs étonnantes du son plein, sombre et puissant de ses cordes. Certaines lumières hallucinantes rappellent les films de Murnau. Malgré les effets grandiloquents, Andreas Staier conserve un jeu d’une grande poésie dans cette musique qui s’emporte au-delà de toute limite. Ce moment constitua, de toute évidence, un des plus beaux morceaux du festival.
La grande élégance de son piano se déploie avec évidence dans les pièces du répertoire que proposait la suite du programme. C’est d’une copie de Christopher Kern, tirée de plusieurs modèles Viennois de 1800, que Staier s’aida, pour cerner la rigueur et la clarté du style classique. Admirables sont la retenue du pianiste, en même temps que la perfection de son geste et la grande classe de ses folies pianistiques.


Cathédrale St Jacques d’Innsbruck
Le 24 août 1999
Musique pour la Chapelle Sixtine
Tomàs Lluis de Victoria, Hymnes et motets
Giovanni Pierluigi da Palestrina, Missa Papae Marcelli

The Sixteen, Harry Christophers (direction)

Ensemble connu et réputé depuis longtemps, les Sixteen se produisaient dans un répertoire qui leur est familier. C’est dans le merveilleux théâtre sacré de l’église principale d’Innsbruck que se déployait l’architecture religieuse vocale de la polyphonie Renaissance. C’est l’hymne Ave Maris Stella, peut-être en écho au tableau de Cranach l’ancien qui trône au centre de l’autel, enchâssé dans les ors, qui lança les premières notes de la soirée. Parmi les très belles autres pièces de Victoria, Super flumina Babylonis, Veni Creator Spiritus, et Ad caenam agni providi, le motet Vadam et circuibo retint l’attention par sa beauté singulière et sa rhétorique véhémente. Les merveilleuses terminaisons et le travail peaufiné des chanteurs firent le reste. La puissance et le fourmillement des voix de la messe mythique de Palestrina mit particulièrement en valeur le savoir-faire des Anglais. Toutefois, malgré l’approche qui se veut musicologique et réfléchie, on est gêné par la prononciation très ouverte du pupitre féminin (lui-même anachronique), le timbre blanc, presque blafard, à la limite du souffle. Ce choix interprétatif n’est peut-être pas si loin de la tradition dont il prétend se démarquer.
On sent traîner, plus d’une fois, un soupçon d’éternité, plutôt que la vitalité musicale.



Frédéric Gabriel

 

 

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