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Paysage avec ruines

Paris
Maison de Radio France
02/14/2004 -  
François Narboni : La Noia (création)
Magnus Lindberg : Concerto pour piano (création française)
Jon Nordal : Venite ad me (création)
Philippe Hersant : Paysage avec ruines

Magnus Lindberg (piano), Luisa Islam-Ali-Zade (mezzo), Julie Cordier (récitante)
Chœur de l’Ecole Karsness, Thorunn Björnsdottir (chef de chœur), Maîtrise de Radio France, Toni Ramon (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Radio France, Ernest Martinez Izquierdo (direction)


Le concert de clôture se devait d’être comme un concentré de cette édition 2004 du Festival Présences. Le programme, manifestement conçu en ce sens (Hersant, deux compositeurs nordiques, une création d’un compositeur français et des chœurs d’enfants) et qui à nouveau rencontré un grand succès public, était confié à l’Orchestre philharmonique de Radio France, dirigé par Ernest Martinez Izquierdo: détail qui, au regard du second élément de son patronyme, ne manque pas de piquant, le chef d’orchestre titulaire de l’Orchestre symphonique de Barcelone et national de Catalogne tient (énergiquement) sa baguette de la main gauche (izquierdo en espagnol).


En création, La Noia (2002-2002) de François Narboni (né en 1963) fait référence à l’ouvrage éponyme de Moravia (L’Ennui). S’il peut y avoir une part de provocation ou de défi à choisir un tel titre, ces douze minutes de musique sont évidemment tout sauf… ennuyeuses. L’esprit de l’écrivain italien («outre l’incapacité à sortir de moi-même, [l’ennui] est la conscience théorique que je pourrais peut-être m’en évader, grâce à je ne sais quel miracle») trouve sa traduction dans un continuum mélodique de plus en plus dense et mouvant, porté par les basses, la conclusion marquant l’interruption d’un processus plus qu’un point final. L’important effectif (bois par quatre, piano/célesta, mais percussion réduite à trois glockenspiels) est sollicité de manière virtuose, avec une écriture qui, sans être composite, n’hésite pas à emprunter, en toute liberté, les chemins ouverts par des compositeurs aussi différents que Berio, Ligeti ou Adams.


Bien que datant d’il y a dix ans, le Concerto pour piano (1994) de Magnus Lindberg était donné en création française, le compositeur tenant lui-même la partie soliste. S’il revendique une parenté ravélienne, ce sera celle du Concerto en sol pour la formation retenue (deux flûtes, deux hautbois, trois clarinettes, deux cors, trompette, trombone, harpe, percussion et cordes), mais davantage celle du Concerto pour la main gauche pour son atmosphère tourmentée et conflictuelle, jouant sur les oppositions de timbres et de consistances entre le piano et l’orchestre. Au demeurant, certaines des caractéristiques du style de Lindberg (activité bourdonnante, un goût pour les paroxysmes) restent clairement identifiables. Bien que daté de la même année qu’Aura, une très vaste pièce pour orchestre, ce concerto n’en est pas moins ample (vingt-sept minutes), construit en trois parties enchaînées correspondant au schéma classique vif/lent/vif, les deux dernières étant séparées par une cadence du piano. La section centrale est, en un sens, la plus «ravélienne», avec des textures d’une sensualité inattendue, peut-être annonciatrices d’une évolution perceptible par exemple dans le récent Concerto pour clarinette (voir ici).


Seconde création mondiale de cette fin d’après-midi, Venite ad me (2003) de Jon Nordal (né en 1926) se fonde sur le célèbre passage des Ecritures (Luc, 18, 15-17) au cours duquel Jésus s’écrie: «Laissez venir à moi les petits enfants». De façon prémonitoire, le début du concert avait été marqué, avant les premières notes de la pièce de Narboni, par… les cris d’un bébé, mais l’intention du compositeur islandais est nettement plus grave, puisque qu’il s’agit ici d’une déploration sur l’enfance maltraitée. Le court texte de la Bible est chanté deux fois, souvent a capella, par deux chorales d’enfants (le Chœur de l’Ecole Karsness, aux costumes folkloriques pittoresques, et la Maîtrise de Radio France). Dès lors, au cours de ces douze minutes, l’orchestre (dépourvu de bois) tient une place prépondérante, dans un ton sombre et triste, quelque peu compassé et solennel en même temps que dépouillé. D’une sincérité indéniable, le langage semble toutefois remonter aux années 1940.


Fort logiquement, Présences 2004 s’achevait avec Philippe Hersant, figure centrale de cette édition. Le choix de Paysage avec ruines (1999) était d’ailleurs particulièrement opportun, tant cette œuvre d’une durée de vingt minutes paraît emblématique de la démarche du compositeur français, avec ses références picturales (Monsu Desiderio, alias François de Nomé et Didier Barra, et leur «métaphysique des ruines»), musicales (citation, à deux reprises, d’un extrait des Répons de l’office des ténèbres du Samedi saint de Gesualdo) et littéraires (Le Sommeil de Trakl, confié à une mezzo – en l’espèce, la créatrice, la saisissante Luisa Islam-Ali-Zade – dans le dernier tiers de la partition). Commande de l’Orchestre national de Lyon auprès duquel il fut en résidence entre 1998 et 2000, comme Streams (voir ici), elle fait appel à un effectif imposant (bois par trois, cuivres par quatre, tuba, percussion, harpe, piano/célesta et cordes), utilisé avec une merveilleuse science. La mélancolie de Hersant et son intérêt pour le postromantisme (la mise en musique du poème de Trakl rappelle Schönberg ou Zemlinsky) sont en parfaite adéquation avec le sujet, même si, de façon plus surprenante, le discours prend parfois un tour incantatoire (les soli de hautbois, hautbois d’amour et cor anglais) ou épique.


Ironie de ces ultimes instants de Présences 2004, de mauvais esprits seront sans doute tentés de parler de «Paysage avec ruines» pour qualifier la description, nécessairement partielle et partiale, du paysage musical français et scandinave proposée par le festival durant ces quinze jours. Plus que la «qualité» moyenne des œuvres, qui a fait l’objet de sévères critiques mais qui demeure, pour l’essentiel, de l’ordre de la subjectivité, c’est l’emprise du passé, de ses querelles et de ses influences, diversement assumée selon les compositeurs, qui aura surtout frappé. Mais qu’importe, après tout, certaines ruines ne sont-elle pas des chefs-d’œuvre...?



Simon Corley

 

 

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