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Enfin! Lille Opéra 02/04/2004 -
Réouverture de l’Opéra : premier bilan
Après une fermeture en 1998 que les plus pessimistes imaginaient définitive, l’Opéra de Lille, flambant neuf, magnifiquement restauré, a rouvert ses portes le mardi 9 décembre 2003, le projet ayant certainement bénéficié de la nomination de Lille comme Capitale Européenne de la Culture pour 2004. Si, pour l’instant, les productions présentées ne sont pas spécifiquement fabriquées par l’institution, les propos de Caroline Sonrier, nouvelle directrice, forte d’une solide expérience (Opéra en Ile de France, en particulier) semblent indiquer qu’avec le temps une politique artistique cohérente pourra se mettre peu à peu en place en collaboration avec les acteurs culturels de la région. Espérons…Et, pour l’instant, savourons le plaisir de voir revivre un bâtiment si central dans la ville et qui a proposé depuis sa réouverture des projets artistiques non négligeables.
Bill T Jones / Arnie Zane Dance Company
Opéra les 9*, 10, 11, 12, 13 décembre 2003
Spectacle proposé dans le cadre du Monde Parallèle_40°//N, en partenariat avec Lille 2004 Capitale Européenne de la Culture, à l’occasion du 20ème anniversaire de la Compagnie.
Another anothing history of collage (1988 ; nouvelle version 2003)
Chorégraphie : Bill T. Jones et Arnie Zane ; musique : Blue Gene Tyranny et Charles Armirkhanian ; décors et lumières : Robert Wierzel ; costumes : Liz Prince
Mercy 10 x 8 on a circle (Création 2003)
Chorégraphie : Bill T. Jones ; musique : 32 variations pour piano de Beethoven, interprétées par Dominique My, piano ; décors : Bjorn Amelan ; costumes : Liz Prince ; lumières : Robert Wierzel
Chaconne (première mondiale ; uniquement les 9 et 12 décembre)
solo chorégraphié et interprété par Bill T. Jones ; musique : Chaconne, Partita en ré mineur pour violon de J.S. Bach ; décors : Bjorn Amelan ; costumes : Liz Prince ; lumières : Robert Wierzel ; vidéo : Paul Kaiser et Shelley Eshkar
D-man in the waters- 1ère partie (1989, nouvelle version 1998)
chorégraphie : Bill T. Jones ; musique Octuor de Mendelssohn interprété par des solistes de l’Orchestre de Paris ; costumes : la compagnie ; lumières : Robert Wierzel
Danseurs de la compagnie : Bill T. Jones, Germaul Yusef Barnes, Denis Boroditski, Asli Bulbul, Catherine Cabeen, Leah Cox, Shaneeka Harrell, Ayo Janeen Jackson, Wen-Chung Lin, Malcolm Low, Erick Montes
Ce n’est pas l’art lyrique qui ouvrira donc la saison mais un exceptionnel spectacle chorégraphique conçu par un des plus grands artistes de cet art et qui n’était jamais venu à Lille : Bill T. Jones. Fondée en 1982 avec son partenaire Arnie Zane, décédé en 1982, la compagnie fête aujourd’hui ses vingt ans d’existence ; le programme présenté à Lille nous montre une inspiration toujours intacte, un style de danse contemporaine que l’on ne retrouve nulle part et un sens des contrastes qui laisse parfois désemparé le spectateur toujours pris par surprise avant d’être conquis par une telle énergie mise au service de l’art avec une précision et une liberté de mouvement tout à fait compatibles. Le malaise créé par la représentation de l’incommunicabilité humaine de Another another history of collage, rencontres impossibles dans un tumulte incessant sur un fond musical dérangeant est contrebalancé par la dernière pièce au programme : D-man in the waters où une explosion d’élan vital tout à fait en accord avec la musique de Mendelssohn plonge le public dans une euphorie qui permet de quitter le théâtre apaisé. Mais le moment le plus émouvant de la soirée est le solo très court de Bill T. Jones, dans la splendeur de son corps de 52 ans porteur d’une élégance sobre et éloquente, de gestes épurés en écho avec des projections vidéo d’un double (lui-même ? Arnie Zane ?) qui bouleverse. Les saluts eux-mêmes de l’artiste continuent une communication forte avec le public. Une grande soirée pour inaugurer ce nouvel Opéra.
Le Concert d’Astrée
Opéra, le 14 décembre 2003
Jaël Azzaretti (soprano), Karine Deshayes (mezzo-soprano), Christophe Dumaux (contre-ténor), Carlo Vincenzo Allemano (ténor), Derick Parker (baryton-basse),
European Voices, Simon Hasley (chef des chœurs),
Le concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction musicale)
Georg Friedrich Haendel : Dixit Dominus
Johann Sebastian Bach : Magnificat en ré majuer
Georg Friedrich Haendel : Il Triomfo del Tempo e del Disinganno, extrait
Pour un opéra qui rouvre avec des conditions financières à la mesure de la conjoncture actuelle, il n’est pas question de reformer un orchestre fixe. Caroline Sonrier a donc choisi de proposer une résidence à deux ensembles de qualité : Le concert d’Astrée pour la musique baroque, l’ensemble Ictus pour la musique contemporaine. Pour le reste du répertoire, l’Orchestre de Picardie sera seul présent cette saison mais des collaborations avec l’Orchestre National de Lille (Faust) et l’Atelier Lyrique de Tourcoing (Il Barbiere di Siviglia) sont prévues pour les prochaines années.
Ce concert aura permis de constater que le baroque est réellement entre de bonnes mains, Emmanuelle Haïm se confirmant comme l’une des plus remarquables musiciennes de ce répertoire malgré le relatif jeune âge de son ensemble, déjà prêt à affronter des partitions redoutables. Ce programme ayant déjà été donné à Paris et à Poissy dans la même période, je vous renvoie à la chronique de Manon Ardouin dont je partage l’enthousiasme (lire ici). Le 27 avril prochain un autre concert consacré aux cantates italiennes de Haendel sera proposé, prélude à des représentations scéniques de Tamerlano la saison prochaine.
Voix de Femmes
Opéra, mercredi 17 décembre 2003 à 18 h
Chœur de l’Opéra de Lille
Direction : Yves Parmentier
Emmanuel Olivier, piano
Verena Winkler, flûte
Alice Barre, Sigrid Blanpain, Florence Goyer, Dorothée Pinto, Christel Plancq, Anne-Elly Tevi (soprani), Alice Adenot-meyer, Céline Kot, Florence Lecocq, Marie-Cécile Martin, Jeanne Monteilhet, Valérie Poivre-Delahaye (mezzo-soprani)
Œuvres de Berlioz, Franck, Debussy, Saint-Saens, Poulenc, Chausson, Messiaen, Fauré, Roland-Manuel, Lalo
Si la reconstitution d’un orchestre était impossible, la réouverture de l’opéra de Lille a permis la création d’un ensemble de 24 chanteurs (12 femmes, 12 hommes, ici absents) qui chanteront dans les productions lyriques mais aussi à l’occasion de concerts thématiques comme celui-ci, l’un des premiers concerts donnés chaque mercredi à 18 heures (horaire peu commode, soit dit en passant), habituellement présentés dans le superbe Foyer du théâtre. Si ensemble les voix réunies forment un chœur homogène et en place, qui fonctionnera probablement à merveille, quelle (mauvaise) idée d’avoir confié entre deux des airs solistes à ces chanteuses inexpérimentées ou manquant manifestement de répétitions, le résultat est loin d’être convaincant.
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni
Opéra , les 15, 17, 20*, 23 et 25 janvier 2004
Umberto Chiummo (Don Giovanni), Petri Lindroos (Leporello), Elzbieta Szmytka (Donna Anna), Nataliya Kovalova (Donna Elvira), Jeremy Ovenden (Don Ottavio), Sophie Karthâuser (Zerlina), Pierre Doyen (Masetto), Rafal Siwek (il Commandatore)
David McVicar (mise en scène), Titus Hollweg (réalisation de la mise en scène), Joint Macfarlane (décors et costumes), Jennifer Tipton (lumières), Leah Hausman (chorégraphie), Yves Parmentier (chef des chœurs), Chœurs de l’opéra de Lille, Orchestre de Picardie, Pascal Verrot (direction musicale)
Production du Théâtre Royal de la Monnaie-Bruxelles et du San Francisco Opera en collaboration avec Lille 2004 et l’opéra de Lille et du grand théâtre de Luxembourg (2003)
Pour sa première représentation scénique, l’Opéra emprunte la mise en scène donnée en décembre dernier à la Monnaie d’un Don Giovanni qui fera date, ainsi que sa deuxième distribution (à l’exception de l’interprète du rôle de Don Ottavio, remplaçant qui s’est parfaitement intégré à une équipe d’interprètes parfaitement crédibles, du moins scéniquement). En la revoyant pour la deuxième fois la mise en scène de David McVicar dans les incroyables décors de John Mcfarlane, on rend les armes devant tant de pertinence et d’intelligence théâtrale sans que soit sacrifiée une seule note de la partition (lire ici pour le compte-rendu des représentations bruxelloises). La distribution réunie à Lille souffre évidemment de l’absence de l’idéal Simon Keenlyside mais Umberto Chiummo réussit à s’imposer plus par un jeu très en rapport avec les demandes de McVicar que par une voix dont la solidité fluctuait lors de la soirée. Le Leporello de Petri Lindroos est parfait acteur, lui aussi inégal vocalement. Jeremy Ovenden, remplaçant méritant, offre une voix légère mais stylée et une gestion du souffle qui laisse pantois. Sophie Karthäuser est la plus délicieuse des Zerlina avec son timbre enchanteur, son Masetto, Pierre Doyen, bon chanteur, devrait revoir sa diction de l’italien, inacceptable. Seule déception véritable, l’Elvira aux moyens impressionnants de Nataliya Kovalova, est visiblement mal distribuée et mal éduquée vocalement, étrangère au style, à l’émission engorgée malgré un engagement scénique réel. Enfin dominant ses partenaires, Elzbieta Szmytka est une frémissante Donna Anna, le chant mouillé de larmes, la technique parfaitement huilée, les aigus attaqués avec franchise, les vocalises assurées, d’une dignité scénique et vocale impressionnante. Cette artiste, ancienne Barberina, Zerlina, a su mûrir avec patience avant d’aborder des rôles qui lui étaient interdits en début de carrière et le résultat est une leçon pour les interprètes lyriques trop pressés.
Dans la fosse malheureusement, on ne retrouve pas la périlleuse énergie de l’orchestre de la Monnaie qui était malgré tout en concordance avec la mise en scène (avec ses décalages, peut-être le prix à payer d’une telle approche). Ici Pascal Verrot offre dès l’ouverture un Mozart uniforme, aux tempi trop lents, confortable et sans risque, le contraire de l’esprit de l’œuvre.
Marc Blitzstein : The Cradle Will Rock(1937)
Hippodrome scène nationale de Douai les 29 et 30 janvier 2004, Opéra de Lille les 4* et 5 février 2004, Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque le 7 février 2004, Phénix, scène nationale de Valenciennes le 13 février 2004, Théâtre municipal de Boulogne sur mer le 13 mars 2004, Théâtre municipal de Calais le 7 avril 2004
Maja Pavlovska (Moll/Ella Hammer), Sébastien Lemoine (Larry Foreman/Steve), Bremmer Duthie (Mr Mister/Dick), Georgia Ellis-Filice (Mrs Mister/Reporter), Anthony Smith (Harry Druggist), Don Bennington (Editor Daily/Professor Mamie), Paul Kirby (Reverend Salvation/Gus Polock), Joel Mitchell (Dauber/Professor Scoot), Vincent Ordonneau (Yasha/Junior Mister), Kelly Elizabeth Hodson (Sister Mister/Sadie Polock/Reporter), Guillaume Edé (Gent/Bugs/Professor Trixie), Laurent Kupferman (President Prexy), Philippe Pillon (Dr Specialist), Mathias Junte (Police Officier)
Olivier Bénézech (mise en scène), Valérie Jung (scénographie), Thomas Lebrun (chorégraphie), Frédéric Oliver (costumes), Laurent Castaingt (lumières), Pierre Bury (assistant mise en scène),
Jean-Yves Aizic (chef de chant), ensemble 2e2m, Bernard Yannotta (direction musicale)
Nouvelle Production-La Clef des Chants-L’hippodrome de Douai avec Lille 2004
Dernier accueil en date, cette création en France d’une œuvre culte de Broadway, permet d’éclairer le remarquable travail effectué par l’Association « la Clef des chants » depuis sa création en 1997 sous l’impulsion de Patrick Bève, qui a permis une action de décentralisation de divers projets lyriques modulables et menés avec un souci de qualité, sillonnant la région Nord-Pas de Calais. Il n’était que justice que l’Opéra de Lille accueille en son sein cette institution dynamique et qui le prouve avec cette comédie musicale culte critiquant allègrement l’Amérique des années 30 qui ne semble guère avoir changé dans certains de ses aspects ; ainsi on sera saisi par l’actualité de la scène où Mrs Mister jubile de l’entrée en guerre de son pays « afin de faire remonter les indices boursiers et faire baisser les taux d’intérêts » , tout cela sous l’acquiescement de l’Eglise ! Cette satire sociale qui voit l’affrontement du symbole du capitalisme qu’est Mr Mister et celui du syndicalisme Larry Foreman à travers une multitude de personnages qui soutiennent ce propos bénéficie d’une partition très originale d’un compositeur qui gagnerait à être davantage connu, utilisant le langage de Broadway en y ajoutant une touche personnelle qui permet de prendre la distance nécessaire pour se divertir et réfléchir à la fois. C’est également de cette façon que le metteur en scène Olivier Bénézech illustre dans une scénographie particulièrement efficace de Valérie Jung (cellules modulables identifiant immédiatement le contexte dramaturgique) la force de l’œuvre. Sur le plan musical, celle-ci est non moins bien défendue par une troupe sans faille et la direction experte de Bernard Yannotta.
Cette réussite exemplaire tourne encore jusqu’en avril dans plusieurs villes de la Région ; inutile de préciser qu’il faut s’y précipiter!
Christophe Vetter
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