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A l’ombre de Wayne Shorter Paris Cité de la musique 01/20/2004 - Darius Milhaud : La Création du monde, opus 81a
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 17, K. 453 (*)
Béla Bartok : Concerto pour deux pianos et percussion, sz. 115
Serge Prokofiev : Symphonie n° 1 «Classique», opus 25
Emanuel Ax (*), Yoko Nozaki (piano), Stéphane Pélégri, Thierry Huteau (percussion)
Orchestre national de Lyon, David Robertson (direction)
Le troisième des huit concerts du «Domaine privé» consacré au saxophoniste Wayne Shorter fournissait la trop rare occasion d’entendre à Paris l’Orchestre national de Lyon et David Robertson, qui en est le directeur musical depuis septembre 2000 (mais qui, invoquant des «raisons personnelles», a annoncé son intention de quitter ce poste à la fin de la saison). Le programme consistait en deux allusions obligées au jazz, essentiellement du point de vue de l’effectif instrumental requis (Milhaud, Bartok), et, on ne sait trop pourquoi, deux partitions (néo)classiques.
Le choix de La Création du monde (1923) de Milhaud constituait sans doute, avec son ensemble bigarré comprenant notamment un saxophone (alto), un clin d’œil au saxophone (ténor ou soprano) de Wayne Shorter. L’acoustique ne contribue malheureusement pas à éclaircir les sections à la polyphonie chargée, mais Robertson, sans souligner les effets jazzistiques, met en valeur, de façon quelque peu inattendue, la délicatesse «française» et le moelleux de cette musique.
Emanuel Ax est un habitué des concertos de Mozart: Vingt-deuxième (voir ici et ici), Vingt-cinquième (voir ici et ici) et, en l’espèce, Dix-septième. Et il y prend manifestement plaisir, avec un piano expressif, voire dramatique (Andante et cadences), capricieux ou même précieux dans sa manière de détacher les notes ou de perler le jeu. L’accompagnement orchestral, svelte, limpide, lumineux, naturel, précis et attentif, force l’attention.
Cela étant, s’il est familier du répertoire classique et romantique, le pianiste américain, contrairement à nombre de ses confrères, ne rechigne pas à se aborder des rivages plus proches de notre époque, ayant même créé des concertos d’Adams (voir ici, ici et ici) ou de Penderecki (voir ici). En seconde partie, il est rejoint par son épouse, Yoko Nozaki, ainsi que par Stéphane Pélégri et Thierry Huteau pour le Concerto pour deux pianos et percussion (1943) de Bartok, une adaptation de la Sonate pour deux pianos et percussion (1937) que l’on ne rencontre pas fréquemment au concert ou même au disque. Il est vrai que la formation requise est non seulement inhabituelle, mais autrement plus coûteuse que celle de la sonate d’origine, pour un résultat qui ne vient rien apporter à sa perfection, nuisant même à ses textures et évoquant ainsi les inconvénients de la colorisation d’un film en noir en blanc. Au demeurant, bien qu’assez fourni, l’orchestre, sorte de pièce rapportée dont les timbres ne se fondent pas bien avec ceux des pianos et de la percussion, a du mal à s’imposer et reste cantonné dans une fonction principalement décorative. En outre, toute l’avant-scène est occupée par les instruments solistes, ce qui contraint les percussionnistes et le chef, qui se tournent le dos, à une gymnastique incessante pour assurer la coordination de leurs départs. Toutefois, indépendamment des réserves qu’appelle donc la viabilité de cette orchestration, il faut saluer l’extraordinaire sûreté des quatre solistes.
Dans les intéressantes notes de programme dont nous gratifiait comme à l’accoutumée la Cité de la musique, Gérald Arnaud estime que la Première symphonie «Classique» (1917) de Prokofiev est «la plus populaire du XXe siècle». Si d’autres symphonies peuvent certainement prétendre à ce titre, qui serait d’ailleurs délicat à décerner de façon incontestable, force est cependant de constater que cette œuvre est apparue en moyenne une fois par saison à Paris depuis 1998 (voir notamment ici, ici, ici et ici). Difficile de ne pas se demander, dès lors, s’il vaut le coup d’attendre un assez long changement de plateau pour ces quinze minutes qui concluent une soirée assez peu cohérente. Mais il eût vraiment été dommage de manquer l’impeccable interprétation des musiciens lyonnais. D’une parfaite qualité instrumentale et animée par un souci d’équilibre entre les voix, elle combine la verve pétillante du ton, la vigueur tranchante des attaques et la grâce de ces répits durant lesquels Robertson semble vouloir musarder à loisir.
Simon Corley
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