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Chères Etudes Paris Théâtre Mogador 01/12/2004 - Pascal Dusapin : Etudes
Ian Pace (piano)
Avant de donner la création parisienne, le 13 janvier, du Concerto pour piano «A quia» de Pascal Dusapin, Ian Pace proposait la veille, en prélude à cette première, l’intégrale des Etudes (1999-2001), dont il a déjà créé précédemment les Quatrième, Cinquième et Sixième.
Pour l’occasion, le compositeur a renoncé aux brefs titres mi énigmatiques, mi humoristiques qu’il a souvent choisis pour ses œuvres. Chez lui, moins encore que chez Chopin, Liszt, Scriabine, Debussy, Nancarrow, Louvier ou Ligeti, la préoccupation didactique, qui se limiterait à un exercice focalisé sur un aspect technique précis, ne domine pas. De fait, il est impossible d’assigner à chaque étude une difficulté particulière, même si, au fil de la partition, les résonances, les notes répétées, les rythmes ou les trilles, par exemple, font l’objet d’une travail plus poussé.
En outre, non seulement ces pièces, d’une durée de cinq à douze minutes, sont beaucoup plus développées que de traditionnelles Etudes, mais Dusapin en parle comme de «réelles études de composition emboîtées les unes dans les autres, comme des poupées russes». D’un esprit proche d’une libre improvisation, les sept mouvements manifestent d’ailleurs une unité de ton et un caractère expressif commun: musique de «lamentation», selon le compositeur, qui suscite un sentiment de neurasthénie, la fixité, le ressassement et l’obsession révélant progressivement un subtil processus d’appauvrissement et de pétrification, dans un environnement fortement marqué par l’intervalle de seconde mineure.
La Première (1999), qui est aussi la plus longue, évolue d’une étude sur les résonances vers une incantation qui rappelle le Jolivet de Mana ou des Danses rituelles. Comme toutes les pièces paires, la Deuxième (1999) est vive: après un début évoquant Alborada del gracioso de Ravel, c’est un thème d’allure folklorique, fortement rythmé et percussif, qui prend le dessus. Hypnotique, la Troisième joue sur les trilles. Redoutablement capricieuse pour l’exécutant, la brève Quatrième (1999) use de grands gestes, avec un piétinement obstiné en accords chargés, tenant de la folle complexité de Nancarrow.
Peut-être la plus originale, la Cinquième (2000) passe de la discontinuité, avec de violentes attaques et de soudains éclats, à des bribes rythmiques puis mélodiques, la conclusion s’engourdissant petit à petit, dans une démarche qui pourrait être celle d’un Satie ou d’un représentant de la grande époque New Age. Les trilles de la Sixième (2001) commencent dans un esprit debussyste, mais ils ne tardent pas à se transformer en puissantes rafales d’accords. La Septième (2001), d’un dépouillement qui pourrait être celui du dernier Liszt, est à la fois récapitulation, exposant des lambeaux inspirés des précédentes études, et retour à la case départ, puisqu’elle se referme sur une reprise des mesures liminaires de la Première. A cet égard, Dusapin précise bien que son cycle – le terme est spécialement approprié, puisque la boucle est ainsi effectivement bouclée («on aura l’impression d’une fin qui, à vrai dire, est un recommencement») – livré étude par étude durant trois ans, doit désormais être considéré comme clos.
Dans le hall d’entrée du Théâtre Mogador, Ian Pace, sorte de Pierre-Laurent Aimard britannique, fait fi des ronronnements de la rue et du réfrigérateur du bar. Familier de cette musique qu’il enregistre en ce moment pour Naïve, en vue d’une prochaine parution avec le Concerto pour piano, il est chaleureusement salué tant par le public que par le compositeur, à l’issue d’une performance de près d’une heure quasiment sans interruption.
Simon Corley
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