About us / Contact

The Classical Music Network

Bruxelles

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Arthus, roi des Belges

Bruxelles
La Monnaie
10/21/2003 -  - et 22, 24, 26, 28, 29, 31 octobre et 2, 4, 5, 7, 8 novembre
Ernest Chausson : Le Roi Arthus, opus 23

Hélène Bernardy (Genièvre), Andrew Schroeder (Arthus), Klaus Florian Vogt (Lancelot), Philippe Georges (Mordred), Yves Saelens (Lyonnel), Jacques Does (Allan), Olivier Lallouette (Merlin), Lorenzo Carola (un laboureur), Bernard Villiers (un chevalier), René de Meyer (un écuyer), Jean-Marc Galoche, André Grégoire, Bernard Giovani et René Laryea (soldats), Muriel Bruno, Maïté Fontaine, Laurence Misonne, Anne Renouprez et Sylvie de Pauw (sopranos)
Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, Renato Balsadonna (chef des chœurs), Daniele Callegari (direction)
Matthew Jocelyn (mise en scène), Alain Lagarde (décors et costumes), Dominique Bruguière (éclairages)


C’est à nouveau le Théâtre de la Monnaie, où le chef-d’œuvre de Chausson avait été créé voici tout juste un siècle, quelques mois après L’Etranger de d’Indy, qui offre douze représentations de ce rare Roi Arthus. Et ce alors qu’on ne l’a sans doute pas entendu à Paris depuis l’enregistrement qu’en fit Armin Jordan pour Radio France, il y a plus de quinze ans. Cette absence des scènes ou même simplement des salles de concert parisiennes semble pourtant difficile à justifier si l’on en juge par la réussite – relative, certes, mais à l’opéra, tout est si souvent relatif – du spectacle proposé à Bruxelles. Non sans humour, le programme rapporte d’ailleurs ces deux notations du compositeur, tirées de sa correspondance : «Il faut croire que ma musique est surtout faite pour les Belges…» et «[Je vais] voir où il y a quelque chance de placer ce Roi. Je songe naturellement à Bruxelles.»


Tout au long de la difficile gestation (1886-1895) de cette partition imposante (deux heures quarante de musique), Chausson est conscient de devoir contourner l’écueil wagnérien: «Wagnérien par le sujet et wagnérien par la musique, n’est-ce pas trop à la fois?» s’interroge-t-il dès 1886.


Le livret, qu’il a lui-même écrit, à l’image du maître de Bayreuth, n’est certes pas sans évoquer Tristan et Isolde, dont chaque personnage pourrait trouver son pendant dans Le Roi Arthus: Tristan et Lancelot, Isolde et Genièvre, Marke et Arthus, Melot et Morded, Kurwenal et Lyonnel. Au-delà de Tristan, Arthus, dans ses adieux, fait inévitablement penser à Wotan, mais cette sublimation apaisée tient autant de la mort d’Isolde que de l’immolation de Brünnhilde. Quant à Lancelot, il tient aussi de Siegfried, héros intrépide et fourvoyé, ou d’Amfortas, héros blessé et pécheur. Et Merlin, dans son apparition-prédiction, évoque Erda dans L’Or du Rhin. Si le monde des légendes celtes et de la chevalerie inspirent les deux créateurs, il ne faut cependant pas méconnaître l’originalité de Chausson. En effet, non seulement la psychologie de ses personnages tient davantage de Racine que de Wagner, mais il y apporte une forte dimension symboliste, totalement absente de l’approche wagnérienne, pour culminer dans une conclusion spiritualiste, particulièrement représentative de la pensée de celui qui mit en musique Verlaine, Maeterlinck ou Charles Cros.


La musique, de son côté, ne dissimule pas toujours ce qu’elle doit à Wagner: instrumentation (clarinette basse, et même clarinette contrebasse, cuivres), harmonies ou tournures que l’on jurerait avoir entendu ici dans la Tétralogie, là dans Parsifal. Difficile également de ne pas songer, dans les grandes scènes chorales, au deuxième acte du Crépuscule des Dieux. Mais qu’importe: non seulement Chausson semble vouloir couper court à la citation dès qu’il la frôle – sa correspondance en témoigne encore éloquemment: «Je le fuis tant que je peux, mais j’ai beau fuir, il est toujours là, près de moi, me guettant très méchamment et me faisant écrire des tas de choses que j’efface» – mais surtout, sa patte s’affirme de plus en plus nettement, dans cette période où voient également le jour des œuvres si caractéristiques de sa manière, telles la Symphonie en si bémol, le Concert, le Poème de l’amour et de la mer ou le Poème pour violon. Dans cette lutte avec l’ombre portée wagnérienne, il y a comme une transposition des préoccupations littéraires de l’un et de l’autre: s’ils puisent tous deux dans l’univers de la Table ronde, Chausson se concentre sur l’échec de cette confrérie, comme s’il assignait en même temps à sa musique l’objectif d’un après-Wagner. De fait, c’est au dernier acte, lorsqu’Arthus a définitivement renoncé à son ambition, que le style tourne le plus nettement le dos à Wagner.


Matthew Jocelyn (mise en scène) et Alain Lagarde (décors et costumes), qui ont déjà travaillé ensemble – par exemple dans deux brefs opéras de Martinu (voir ici), dont ils reprennent l’astucieux principe consistant à projeter en fond de scène l’image d’un chanteur (ici, Merlin) –, démontrent une affinité radicale avec le propos de Chausson, dont ils soulignent la noirceur, parcimonieusement éclairée, dans un dépouillement à la Wieland Wagner, par quelques éclairs lumineux ou heureux reflets. Il est vrai que l’idée consistant à plonger la quasi-totalité du spectacle dans le noir permet également d’éluder la question de l’occupation de l’espace. La direction d’acteurs n’est pas révolutionnaire, mais l’action, assez statique, comprenant notamment trois longs duos, chacun de caractère différent, entre Lancelot et Genièvre, lui laisse peu de marges.


Les quelques attributs sans lesquels un spectacle (d’opéra) moderne ne saurait désormais se concevoir ne font pas défaut: l’éternel plan incliné (cependant conçu dans une matière réfléchissante), le brouillage des repères chronologiques (Lancelot en combinaison de biker) ou les contradictions apparentes liées au difficile accommodement entre les exigences du livret, les conventions théâtrales et les exigences du public en termes de vraisemblance (Arthus, Lancelot et Mordred en tenues de soirée intemporelles, dans le premier tableau du premier acte, chacun sa partition posée sur un pupitre, devant le chœur soigneusement aligné, tous faisant face au public, comme pour un oratorio, ou bien Arthus – entouré de chevaliers en armures de tissu mou qui exécutent un ballet digne d’une comédie musicale – partant, à la fin du deuxième acte, à l’assaut de Lancelot sur un cheval de bois, alors que celui-ci, au premier acte, a défait Mordred à distance, dans un combat opportunément stylisé).


Parfois, les correspondances avec le symbolisme se font plus transparentes: omniprésence de l’idée du vitrail, apparition véritablement préraphaélite des cinq sopranos venues emmener Arthus vers son ultime destination. Parfois, elles demeurent désespérément obscures: le laboureur qui chante alors qu’un chevalier traverse l’arrière du plateau, comme monté sur des patins des roulettes, en se défaisant progressivement de son armure, pour finalement se montrer au premier plan dans une allure christique.


Musicalement, le spectacle portera sans doute moins à la contestation. D’abord parce que Daniele Callegari, tout en mettant en valeur la poésie de l’ouvrage, dirige avec dynamisme et ferveur un Orchestre symphonique de la Monnaie qui ne faiblit jamais dans l’effort. Ensuite parce que les trois rôles principaux ne déçoivent pas. Hélène Bernardy, en alternance avec Dagmar Schellenberger (Genièvre), a la puissance et les aigus requis, même si le son se fait parfois un peu étroit. La diction des non-francophones paraît encore meilleure: Andrew Schroeder, en alternance avec Louis Otey (Arthus), rend justice à la noblesse de son personnage, même si sa projection n’est pas toujours suffisante, tandis que Klaus Florian Vogt, en alternance avec Douglas Nasrawi (Lancelot), à la fois héroïque et lyrique, possède véritablement la voix du rôle. Les autres chanteurs tiennent leur rang de façon irréprochable, en particulier Philippe Georges (Mordred), Yves Saelens (Lyonnel) et Olivier Lallouette (Merlin)


Une remarquable direction musicale, de bons chanteurs, une mise en scène honnête et, surtout, une musique inspirée que l’on n’entend pas tous les jours: ce Roi Arthus n’aura pas déçu.



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com