About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

2003, odyssée de l’espace

Paris
Cité de la musique
10/11/2003 -  
Bruno Mantovani : Le Sette chiese
Pierre Boulez : Dialogue de l’ombre double
György Kurtag : Opus 27 n° 2

Alain Damiens (clarinette), Hidéki Nagano (piano), Eric-Maria Couturier (violoncelle), Technique IRCAM
Ensemble Intercontemporain, Toshiyuki Kamioka (direction)


Dans le cadre d’une série de quatre concerts sur le thème «Espaces – La spatialisation» donnée du 8 au 15 octobre, la Cité de la musique proposait un programme autour de trois tentatives de repenser la conception classique de l’espace, par la recherche d’effets sonores susceptibles de résulter d’une nouvelle répartition des instruments dans la salle. En même temps, chacune de ces tentatives évoquait explicitement un compositeur qui n’était d’ailleurs pas nécessairement aussi soucieux de spatialisation, respectivement Messiaen, Berio et Beethoven.


Ecrites pour l’Ensemble Intercontemporain et créées l’an dernier à Musica, Le Sette chiese de Bruno Mantovani, qui vient de fêter ses vingt-neuf ans, sont directement inspirées d’un ensemble d’édifices religieux de Bologne (les «sept églises») dont l’architecture suggère non seulement le plan de l’œuvre (deux parties enchaînées comprenant respectivement quatre et cinq pièces, soit les sept églises, la piazza Santo Stefano et la cour de Pilate), mais aussi une disposition originale d’un effectif qui, considéré dans sa globalité, est relativement standard. Quatre groupes doivent en effet être distingués: un premier ensemble de huit musiciens (violon, alto, flûte, clarinette, cor, trompette, piano et percussion), un second ensemble symétrique et antiphonique (violon, violoncelle, hautbois, basson, trompette, trombone, piano/célesta et percussion), six solistes surélevés tout autour de la scène, à l’arrière (de gauche à droite, violoncelle, basson, trombone, cor, alto et clarinette) et trois instruments graves placés derrière les deux ensembles (contrebasse, tuba et percussion).


Indépendamment de considérations sur l’aspect spatial, qui semble à peine plus sensible que dans un orchestre symphonique traditionnel – les six solistes, par exemple, ne se détachent nettement que dans Le Cloître –, le propos de Mantovani ne peut que faire songer à Messiaen: son ampleur monumentale, son caractère religieux (même s’il n’est pas plus question ici, a priori, d’apologie de l’Eglise que dans Les Fresques de Piero della Francesca de Martinu), la longue présentation signée du compositeur lui-même, l’aplomb avec lequel il développe inlassablement une idée jusqu’à ce qu’elle ait saisi l’auditeur, l’énorme naïveté (le monument aux morts de L’Eglise du martyrium est figuré par une «marche militaire stylisée»), le caractère composite des apports extérieurs (choral, chant grégorien), tout évoque ici le créateur de Saint-François d’Assise. Basilique des Saints Vital et Agricola constitue d’ailleurs un hommage revendiqué, in memoriam, avec son choral et ses percussions qui rappellent le véritable délire de certains de ses concerts d’oiseaux.


Cela étant, c’est le projet, davantage que le langage, qui suggère ce rapprochement, tant le langage de Mantovani, dont la virtuosité tient également de Ligeti ou Lindberg (La piazza Santo Stefano, La cour de Pilate), possède sa spécificité, avec un talent certain pour établir une atmosphère en quelques notes seulement (début de La Crypte) et une aisance impertinente qui était celle de Dalbavie au même âge. Dans un style plus proche de Bernstein que de Boulez, Toshiyuki Kamioka, directeur musical à Wiesbaden et à Herford (et prochainement à Wuppertal), restitue parfaitement les climats très contrastés de ces trente-cinq minutes hautes en couleur.


De Bologne à Florence, où fut créée la deuxième œuvre de cette soirée, il n’y avait qu’un pas: si l’ombre de Messiaen planait en première partie, c’est ici le souvenir de Berio, disparu en mai dernier, qui s’imposait, car c’est à lui que Boulez destina Dialogue de l’ombre double (1985), à l’occasion de son – ou aussi bien de leur – soixantième anniversaire. Salle plongée dans le noir, Alain Damiens, fascinant de facilité durant ces dix-neuf minutes (c’est lui qui en donna la première voici presque dix-huit ans), entre en scène, alors que son «double» préenregistré babille déjà au travers des hauts parleurs répartis tout autour du public. Devant lui, en demi-cercle, six pupitres, vers lesquels il va se tourner successivement, dans le sens des aiguilles d’une montre, portant chacun la partition de l’une des «strophes» qui alternent avec les «transitions» confiées au «double». Précédées d’un «sigle initial» et conclues par un «sigle final» fondé sur l’éloignement progressif, ces six strophes et cinq transitions recourent à l’électronique, non pas pour transformer le son, à proprement parler, mais pour le faire tournoyer autour de l’auditeur et l’auréoler d’une résonance produite par un piano situé en coulisse.


Après Messiaen et Berio, rien moins que Beethoven, auquel György Kurtag se réfère explicitement dans Opus 27 n° 2 (1990). En effet, envisageant d’intituler … quasi una fantasia l’une de ses pièces, il s’était alors rendu compte qu’il s’agissait de son opus 27 et que les deux Sonates pour piano (dont la fameuse Clair de lune) de l’opus 27 de Beethoven portaient précisément ce titre. D’où l’idée d’un Opus n° 27 n° 2, qui répond d’ailleurs à la même volonté de répartition des instruments dans l’ensemble de la salle. Et, après Boulez, encore le double: double concerto pour piano et violoncelle, double de son opus 27, double de celui de Beethoven et, surtout, double orchestre, correspondant chacun à l’un des solistes. Car si, chez Mantovani et Boulez, les interprètes ne quittaient pas la scène, ils investissent ici chaque côté du balcon, hormis les solistes et la percussion, qui conservent leur emplacement traditionnel.


… quasi una fantasia… (1988), qui avait été donnée à Pleyel il y a exactement deux ans (voir ici), également de forme concertante mais avec le seul piano, était déjà le fruit d’une réflexion comparable sur la source du son, d’ailleurs apparue tardivement chez Kurtag. Plus à son aise qu’à Pleyel, cette technique ne convainc cependant pas pleinement dans Opus 27 n° 2, car l’acoustique tend à synthétiser les effets qu’un minutieux placement a pourtant souhaité produire. Inhabituellement disert, le compositeur hongrois livre un premier mouvement (dix minutes) où le laconisme webernien laisse la place au grinçant et parfois même à la violence. Le second mouvement (six minutes) s’oppose entièrement, avec ses lambeaux de réminiscences tonales, dans un esprit voisin de Goubaïdoulina ou même de Schnittke. Hidéki Nagano et Eric-Maria Couturier, au piano et au violoncelle, défendent admirablement cette partition à la fois exigeante et bouleversante. Après Mantovani, Kurtag vient recevoir une ovation du public, qui avait entièrement rempli une salle au volume toutefois légèrement réduit en raison de la présence des musiciens.



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com