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La République à l’Opéra

Saint-Etienne
Esplanade
05/13/2003 -  et 15, 16, 18 avril 2003
Edouard Lacamp : Marianne (création mondiale)
Sophie Marin-Degor (Marianne), Christian Jean (Simon Sinclair), Vincent le Texier (Victor V.), Helène Perraguin (Madeleine Mauclair), François Piolino (Marcel Paudado), Marina Lodygensky (Claire Simon), Matthieu Lécroart (l’Ambassadeur d’Argentine), Carla Nuzzo-Severi (Anne Paul), Muriel Tamao (Anne de Custije), Patricia Schnell (Anne Solergo).
Chœurs et Nouvel Orchestre de Saint-Etienne, Sébastien Rouland (direction)
Waldemar Kamer (mise en scène)


Ce ne sont pas des frégates qu’il faut vendre, mais des abattoirs, à l’Uruguay en l’occurrence, quitte à se mettre mal avec l’Argentine, dont l’ambassadeur est un grand ami du ministre. Ce n’est pas grave : le mégalomane directeur de la société Trol, qui tient beaucoup à ce marché, jettera la séduisante Marianne – toute ressemblance… - dans les pattes dudit ministre, grand amateur de femmes. Les voilà amoureux. Marianne devient riche, influente, fréquente les palais de la république, toujours aussi éprise de son fringant ministre. Las ! C’est compter sans l’acharnement d’un juge sadique, véritable inquisiteur en jupons, qui envoie la charmante aventurière en prison, où le droit commun côtoie l’abus de biens sociaux. La chose se termine sur un plateau télévisé, où l’on joue au jeu de la vérité sous la houlette d’un ancien gardien de zoo promu présentateur vedette : Marianne y apparaît en danseuse javanaise au ministre ébahi, avant de se dévoiler pour mieux lui rappeler certains souvenirs communs quelque peu embarrassants, plongeant le public et le présentateur dans la plus grande confusion. Mais au moins ses épreuves initiatiques sont-elle achevées : connaissant désormais les vilenies de la vie, Marianne peut enfin « commencer ».


Cela vous rappellera évidemment une affaire dont on parle encore beaucoup, où l’argent, le sexe et le pouvoir ont fait pendant un temps le meilleur des ménages à trois. Bref, il fallait oser. Ivan Alexandre ne cache d’ailleurs pas ses sources, non sans nous rappeler que la fiction garde ses droits et que certaines situations sont de son cru. Libre à nous de chercher une allusion ou une énigme derrière chaque mot ou de voir plutôt là un livret d’opéra, comme au bon vieux temps où le texte prétendait servir la musique plutôt que prétendre se hisser à la hauteur des grands chefs d’œuvre de la littérature. De ce point de vue, il est bien ficelé et remplit son office, avec un très heureux mariage de la prose et du vers. La plume est ferme, élégante ; l’auteur a visiblement fréquenté… les bons auteurs.


Le livret remplit d’autant mieux son office que la musique est en phase avec le texte. Là aussi, il fallait oser. Voilà un opéra avec des airs, des duos, des ensembles, dont la musique est tonale – mais pas néoclassique -, agréable à l’oreille, destiné au grand public ! Un prologue et cinq actes, trois heures de musique environ, comme à l’époque du grand opéra à la française ! Edouard Lacamp l’aime tellement, l’opéra, qu’il ne peut s’empêcher d’émailler sa partition de réminiscences plus ou moins conscientes : un peu de Janacek ici ou là ; le passage du cor anglais du troisième acte de Tristan qui resurgit dans l’introduction orchestrale du troisième acte ; Gounod ressuscitant dans l’air de Marianne au deuxième acte – dont les vocalises rappellent aussi l’air du feu dans l’Enfant et les sortilèges ; l’orientalisme à la française qui se glisse dans la danse de Marianne au dernier acte, etc. Pourquoi pas, après tout. ? D’autant que les influences, dont le compositeur ne rougit pas, sont assimilées et ne relèvent pas du plagiat – l’instrumentation du mambo dansé par les choristes, au premier acte, n’est pas imitation des partitions sud-américaines de Milhaud. Pourquoi pas, décidément ? Rappelons au passage aux esprits chagrins qu’ils n’étaient nullement dérangés d’entendre un peu de Parsifal ou de Salomé dans le très beau Conte d’hiver de Philippe Boesmans… Quant au chant, il se situe entre Debussy – le Prologue surtout – et, là encore, l’opéra traditionnel. Bref, c’est une fois de plus la question de la tradition et de la modernité que pose, à sa façon, cette Marianne d’Edouard Lacamp, qui ose s’opposer aux entêtements modernistes, néo-modernistes ou post-modernistes. Au fait, Schoenberg n’avait-il pas prédit que le do majeur avait encore de beaux jours devant lui ? Disons seulement qu’on pourrait abréger ça où là, que le gardien du zoo, par exemple, nous a semblé un peu bavard. Mais avouons que l’acte de la prison laisse une assez forte impression.


La postérité jugera. Quoi qu’on pense de l’œuvre, force est de reconnaître en tout cas que l’ensemble de la production est d’excellente tenue. Sophie Marin Degor est une remarquable Marianne, à la voix homogène, qui sait, selon les moments, éclaircir (l’air du zoo) ou assombrir (l’acte de la prison) son beau timbre de soprano lyrique. Le ministre de Christian Jean ne convainc pas autant, à cause de la nasalité de l’émission. Malgré une certaine fatigue vocale, Vincent le Texier, en revanche, est impressionnant en directeur de société aussi avide qu’inquiétant. Juge à la fois grotesque et sadique, Hélène Perraguin fait vite oublier la disparité de ses registres par l’intelligence de sa composition. Bon François Piolino en gardien de zoo. Au pupitre, Sébastien Rouland a confirmé l’étendue de ses talents, venant à bout de toutes les difficultés de la partition – ce n’est pas parce que c’est tonal que c’est facile – avec une assurance qui n’excluait ni la subtilité ni le sens du théâtre. Les décors et les costumes – cela arrive donc encore – sont très beaux. A l’extravagance, Waldemar Kamer préfère l’équilibre entre la musique et le plateau ; les scènes d’ensemble sont impeccablement maîtrisées, en particulier dans l’acte flamboyant de l’Ambassade d’Argentine, où les choristes doivent danser en chantant ; à l’opposé, l’acte de la prison atteint à l’émotion par le refus de toute surenchère dans le pathétique. Tout cela est peut-être convenu, mais « colle » parfaitement à la musique.


On imagine déjà les grimaces et les rictus des grands augures de la modernité, qui oublient que ceci peut fort bien coexister avec cela. Le public, lui, a déjà rendu son verdict.





Didier van Moere

 

 

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