About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Les voix du muet

Paris
Auditorium du Musée d’Orsay
01/28/2000 -  du 28 janvier au 20 février 2000
Un cinéma inspiré : le théâtre à l’écran (1896-1935)
Cinéma muet en concert accompagné au piano par Thierry Escaich, Jean-François Zygel, Cyrille Lehn, Cédric Granelle

Après le défunt Cinémémoire qui a proposé des films muets en musique d’un niveau extraordinaire, on ne peut plus que se rabattre sur les programmations des auditoriums des musées du Louvre et d’Orsay. Du premier on aura retenu La Grève de Sergueï Eisenstein, Pascal Zavaro dirigeant sa propre musique à la tête de l’ensemble Phoenix, Loulou de Pabst, avec la musique de Peer Rabel en 1992, Le Lys brisé de David W. Griffith, mis en musique par Anthony Girard (Ensemble Phoenix dirigé par Jean-François Zygel), Nana de Renoir – musique de Jean-François Zygel, dirigeant l’ensemble Flexus (1992). On a aussi proposé dernièrement les films Jean Grémillon, Gardiens de phare, de Victor Sjöström, Le vent, avec la merveilleuse Lillian Gish et la musique de Gualtiero Dazzi. La crise de Georg Wilhelm Pabst, (Abwege) fut un grand succès. Tourné en Allemagne en 1928 ce film bénéficie de la présence de Brigitte Helm. Sa composition saisissante d’une femme délaissée tentant de retrouver son identité dans les fêtes nocturnes et leurs lots d’esthètes mous ou de gros boxeurs était accompagné dans un style très original par la musique d’Elena Kats-Chernin (interprétation par l’ensemble allemand Kontraste dirigé par Frank Strobel).
On se rappellera également le Belphégor d’Henri Desfontaines avec les pianos de Jean-François Zygel, Raoul Duflot-Verez, Bruno Fontaine, et le truculent et lyrique orgue de cinéma de Jean-Philippe Le Trévou. Plus récemment c’était l’alliance du cinéma avec Richard Strauss qui était présentée dans Enoch Arden de William Christy Cabanne (Etats-Unis, 1915) et Der Rosenkavalier de Robert Wiene (Autriche 1926). Dernièrement Guillaume Connesson a composé une grande musique orchestrale pour L’Aurore de Murnau qui n’a malheureusement pas encore été présentée à Paris.
Au Musée d’Orsay il y eu la mémorable fresque de Marcel l’Herbier, L’Argent accompagné par Jean-François Zygel. Et aujourd’hui cette importante, originale et diversifiée rétrospective à ne pas manquer. Une première séance était consacrée à des pièces de Shakespeare – certaines sont même tournées pour inciter le public à aller au théâtre. Certaines pièces étaient intéressantes dans une perspective d’histoire des représentations puisqu’avant Britten on voyait A Midsummer Night’s Dream, et The Tempest après Purcell et avant Nyman. Une troisième séance proposait De l’aube à minuit de Karl-Heinz Martin, un des grands expressionnistes allemands des années 1920, avec des figures symboliques alliées aux décors hallucinants composés de formes géométriques disproportionnées. Jean-François Zygel a ensuite accompagné avec un grand talent l’étonnant Aelita de Iakov Protazanov, film russe futuriste de 1924. Si Thierry Escaich déploie un discours plus continu, Jean-François Zygel s’attache plus à souligner les changements visuels et privilégie la fidélité à l’action.
De la scène (théâtre – ou opéra) au cinéma, les liens sont forts. Ce festival du Musée d’Orsay organisé par Christian Belaygue les explore avec bonheur. A son origine le jeu cinématographique est bien sûr entièrement emprunté à celui du théâtre. Le cinéma muet invente une nouvelle façon de normer la parole. Il s’écoute aussi. L’image n’est pas muette, ici elle est une poésie parlante. Avant, soit on suivait le mot, soit on obéissait à la phraséologie musicale. Lui concentre l’expression dans la physionomie et la musique. Aujourd’hui, loin des circuits traditionnels, le cinéma en concert suggère de nouvelles lignes esthétiques en alliant ces films à ces improvisations, créations, ou commandes. La musique du ‘muet’ tient peut-être son pouvoir d’évocation des deux racines par lesquelles elle s’est constituée : la musique de foire, des cirques, des limonaires d’un côté, et de l’autre la ‘grande’ musique d’opéra. Elle n’est pas un simple habillage mais une autre stimulation pour le spectateur qui voit ces images d’une autre oreille. La musique parle à la place des personnages, elle se ménage une place entre la pure redondance et le cri, ou le bégaiement. Cette dissemblance, d’une grande expression, permet d’accompagner le mime des acteurs. Cette fonction est d’autant plus présente dans le thème qu’a imaginé Christian Belaygue : " le théâtre à l’écran ". La musique guide le silence des voix et l’expression des visages. Cette voix absente se fait entendre d’autant plus fort par le médium des notes. La musique est comme une deuxième écriture du film. Du coup, pour le rapport de la musique et de l’image on pourrait penser à ce que Claude Lévi-Strauss dit de la métaphore et du langage dans La potière jalouse : " ces termes ne se confondent pas au départ dans une masse indistincte ; ils ne sont pas contenus dans une fosse commune d’où l’on exhumerait à volonté n’importe quel terme pour l’associer ou l’opposer à n’importe quel autre. Le transfert de sens n’a pas lieu de terme à terme, mais de code à code, c’est-à-dire d’une catégorie ou classe de termes à une autre classe ou catégorie. On aurait surtout tort de croire que l’une de ces classes ou catégories relève par nature du sens propre, l’autre par nature du sens figuré. Ces fonctions sont interchangeables, relatives l’une par rapport à l’autre ".
Dans l’antiquité, Philostrate rapporte que pour Musonius l’homme ‘moderne’ était celui qui entrait dans son temps en regardant derrière lui, c’est en se retournant sur ses traces qu’il s’emparait véritablement de son histoire. Antonio Lopez, un ami de Borges soutint la même hypothèse : la modernité c’est l’exploration de ses racines. La pointe du temps ne se laisse entrevoir que par le biais du verre réfléchissant du passé. C’est ainsi que certains musicologues ont perçu le renouveau ‘baroque’ comme l’incarnation par excellence de la modernité. On pourrait classer la renaissance du cinéma muet en concert dans la même catégorie. Mais que l’on ne s’y trompe pas : si c’est dans les musées qu’il fait sa réapparition, cette apparente ‘muséologisation’ n’influe en rien sur son objet et même si elle participe de ce courant historique de la " modernité " elle propose un spectacle d’une incroyable vie qui mériterait d’être soutenu par le public. Spectacle qui met en jeu à la fois l’art des images dont Walter Benjamin pensait qu’il a atteint son sommet dès son origine, et l’art des sons improvisés ou des créations contemporaines. Rendez-vous les 1er et 2 avril au Louvre pour L’Heure suprême de Frank Borzage (Etats-Unis, 1927) avec une création mondiale de la musique de Thierry Escaich, et en attendant, ces jours-ci à l’auditorium de Musée d’Orsay pour Ceux de chez nous de Sacha Guitry (1915 – on y voit entre Renoir, Monet, Rostand et Degas, Camille Saint-Saëns jouer du piano et diriger un orchestre) accompagné par Jean-François Zygel ; Roméo et Juliette dans la neige de Lubitsch (1920) accompagné par Cédric Granelle ; L’Eventail de Lady Windermere de Lubitsch (1925) et Lulu d’Alexander von Antalffy (1917) avec Jean-François Zygel. Thierry Escaich accompagnera La Nef de Gabriellino d’Annunzio et Mario Roncoroni, Assunta Spina de Francesca Bertini et Gustavo Serena, Cenere d’Arturo Ambrosio et Febo Mari, ainsi que La Terre d’André Antoine (1921).

Musée d’Orsay
Renseignements : 01.40.49.47.57. Catalogue détaillé sur demande : 01.40.49.47.62.



Frédéric Gabriel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com