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“Il était temps que nous cassions notre étiquette d’amuseurs lyriques!”

Lausanne
Opéra de Lausanne
02/21/2003 -  et 23, 25*, 28 février et 2 mars 2003
Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann
Marlin Miller (Hoffmann), Mireille Delunsch (Olympia, Antonia, Giulietta, Stella), Laurent Naouri (Lindorf, Coppelius, Dr. Miracle, Dapertutto), Stéphanie d’Oustrac (Muse, Nicklausse), Steven Cole (Andrès, Cochenille, Frantz, Pittichinaccio), François Le Roux (Crespel), Sylvie Brunet (Mère), Franck Leguérinel (Hermann, Schlémil), Eric Huchet (Spalanzani), Brian Bannatyne-Scott (Luther), Emiliano Gonzalez-Toro (Luther)
Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières), Laura Scozzi (chorégraphie)
Orchestre de Chambre de Lausanne et choeur de l’Opéra de Lausanne, Marc Minkowski (direction).


“Il était temps que nous cassions notre étiquette d’amuseurs lyriques!” Voilà ce que déclarait Marc Minkowski en présentant cette nouvelle production des Contes d’Hoffmann de Lausanne. Habitué à un Orphée aux Enfers mythologiquement décalé ou à une Belle Hélène subtilement rêveuse, le spectateur peut se sentir perdu, déstabilisé (pas de moutons…). Les décors de Chantal Thomas, inspirés du peintre Léon Spilliaert, sont essentiellement composés de panneaux gris-noirs mobiles. Les changements s’effectuent à vue et sont intégrés dans le projet dramaturgique du metteur en scène. L’opéra de Lausanne offre une scène d’une taille assez petite et, manifestement, ils se sont servis de ce qui pourrait apparaître comme un handicap pour concentrer l’action dans un univers restreint et donc plus tragique. Les très beaux costumes (l’imperméable noir de Laurent Naouri et la robe grise de Mireille Delunsch-Olympia) jouent sur ce fond sombre, soit pour éclairer le personnage, soit pour le mêler au pessimisme de l’œuvre.
Cette production est l’occasion de présenter une nouvelle version, complètement retravaillée. Prenant comme base l’édition Choudens, Jean-Christophe Keck a arrangé le choeur du prologue, l’ariette de Nicklausse au premier acte et surtout l’acte de Giulietta. Il donne à Dapertutto un air inédit “Répands tes feux dans l’air”, en remplacement du fameux “Scintille diamant”, que Laurent Naouri chante magnifiquement. Le final, retrouvé récemment, est proposé et le musicologue prend également le parti de faire mourir la courtisane, rendant plus cohérent le choix d’une unique interprète pour les quatre rôles féminins.
La dramaturge Agathe Mélinand, pour sa part, a décidé de revenir à la version originelle incluant des récitatifs parlés. S’ils se fondent dans le reste de l’œuvre, ils sont plus gênants dans l’acte d’Antonia et cassent sa tension.


Une vision si sobre, si simple ne peut s’appuyer que sur une distribution excellente et toute la soirée repose sur les épaules de Mireille Delunsch et de Laurent Naouri. La soprano française, remplaçant Natalie Dessay pour qui le projet avait été monté, est tout simplement étourdissante. Déjà Olympia il y a quelques années à l’opéra des Flandres sous la direction de J.C.Casadesus, elle se joue des difficultés par des effets de voix qui ne sont pas sans faire penser à la scène de la Folie de Platée. Les “oui, oui”, partie souvent escamotée par une soprano légère colorature, sont ici donnés en pleine voix et dans une clarté confondante. Poupée-statue montée sur des patins à roulettes, pour la scène du bal, elle évolue sur la scène avec une grâce étonnante. Laurent Pelly se démarque des autres metteurs en scène en ne proposant pas, ici, une pause comique. Olympia se balance dans les airs et est peu à peu dévoilée. Très attentif au texte, L. Pelly lui fait tendre les bras vers les invités de Spalanzani lorsqu’elle prononce le mot “amour”. Antonia est toutefois le personnage qui lui convient le mieux. Forte des ses expériences à Anvers et à Genève (l’année dernière dans la mise en scène d’Olivier Py et sous la baguette de Bertrand de Billy), elle distille chaque mot, chaque note et meurt comme personne. À noter la reprise de l’air “Elle a fui la tourterelle” en mezza-voce, nuance qui rappelle la présence de M.Minkowski dans la fosse. Giulietta est un personnage qui lui va également et la soprano souligne parfaitement l’hésitation de la femme et la cupidité de la courtisane. Vocalement le rôle est un peu grave ce qui confère à sa voix une couleur profonde et adaptée à la vision suicidaire donnée à cet acte. Mireille Delunsch a accompli un extraordinaire travail vocal, attribuant à chaque héroïne une couleur différente: elle évolue de la colorature à la mezzo tout en privilégiant constamment l’aspect dramatique.
L’autre grand triomphateur est Laurent Naouri. Avec beaucoup d’intelligence et de subtilité, il dessine les quatre diables. Sans cesse présent, il manipule tous les protagonistes et sait se montrer charmeur avec Giulietta ou impitoyable avec Antonia. Son incarnation du Dr. Miracle est particulièrement réussie et fait frémir d’effroi. Donnant un sens à chaque note, Laurent Naouri nuance sa voix pour souligner telle ou telle face cruelle du rôle. Il faudra maintenant compter sur son interprétation qu’il peaufinera au fur et à mesure des représentations et des années, en grand spécialiste des rôles de “méchant” (en baroque Polyphème ou en classique le comte Almaviva) qu’il est!
Stéphanie d’Oustrac, déjà remarquée au Théâtre du Châtelet dans le rôle d’Oreste dans la Belle Hélène, ne manque ni d’abattage ni d’énergie vocale. Par une heureuse trouvaille, L. Pelly transforme la Muse (habillée d’une longue robe blanche à qui il ne manque qu’une lyre pour être une copie parfaite de la Muse de Robert Carsen dans la production de la Bastille…) en écolier: un figurant se présente sous les traits de Nicklausse tandis qu’elle finit de chanter l’air du prologue, insistant parfaitement sur la dualité du personnage, mi-mentor, mi-allégorie. La voix est chaleureuse, nuancée et se prête à la longueur du rôle.
Steven Cole, dont les quatre rôles sont réduits à cause des récitatifs parlés, reste très drôle et contribue à détendre l’atmosphère du troisième acte. Dans un français impeccable, il joue et chante son air avec beaucoup d’agilité.
François Le Roux, sauf erreur, fait ses débuts dans le rôle de Crespel et y est remarquable. La confrontation avec le Dr. Miracle est un des meilleurs moments de toute la soirée. Pour une fois, le père d’Antonia n’est pas seulement un vieillard terrifié à l’idée de rencontrer le médecin. F. Le Roux en fait un père prêt à se défendre jusqu’au bout pour sauver sa fille, au risque d’être parfois dur ou injuste, notamment lorsqu’il lui demande de s’occuper d’un violon plutôt que de chanter. Sylvie Brunet est une superbe mère même si on la voit pas sur scène. Pour la représenter, L. Pelly projette l’ombre de son visage sur le fond de la scène. Peut-être veut-il, par ce moyen, symboliser le chant? La mère d’Antonia n’existerait qu’en tant qu’ancienne chanteuse et légataire d’un don à sa fille?
La distribution est particulièrement soignée jusque dans les rôles mineurs. Franck Leguérinel - le pittoresque Momus de Platée - est un habitué des rôles d’Hermann et de Schlémil (Bastille et Chorégies d’Orange) et arrive à leur donner corps autant par sa présence vocale que scénique. Eric Huchet est un père aux petits soins pour Olympia et pour ses recherches scientifiques tandis que Brian Bannatyne-Scott campe un aubergiste d’une très belle santé vocale. Reste le ténor Marlin Miller, distribué dans le rôle-titre. Peut-être plus à l’aise dans le rôle de Don Ottavio que dans celui d’Hoffmann, il paraît étranger à une troupe si soudée et ne parvient à s’imposer ni vocalement ni physiquement. Sa voix est (trop) puissante et incapable de nuancer certains passages.


Marc Minkowski débutait et à l’opéra de Lausanne et dans les Contes d’Hoffmann. Petite formation, l’orchestre de chambre de Lausanne ne brille pas par sa discipline et il est difficile de reconnaître la “patte” du chef français. Toutefois, le début de la Barcarolle reste magique grâce au crescendo introductif et à la douceur qu’il tente d’insuffler à ses musiciens. Il est regrettable qu’il n’ait pas amené avec lui les Musiciens-du-Louvre ou le Mahler Chamber Orchestra qui auraient, sans nul doute, donné un autre souffle et une autre allure à sa direction. Espérons qu’il reprendra cet ouvrage dans de meilleures conditions et qu’il pourra alors développer toutes les idées qui fourmillent à l’état brut. Le chœur de l’Opéra de Lausanne est, quant à lui, franchement mauvais et constamment en décalage avec l’orchestre. Mais toutes ces réserves n’entachent pas une superbe soirée, pleine de magie, de rêve et de découverte. Une page se tourne avec ces nouveaux Contes, rompant avec une esthétique stéréotypée des productions habituelles. Que les français se rassurent: ces Contes d’Hoffmann, en coproduction avec l’Opéra national de Bordeaux et l’Opéra de Marseille, sont déjà prévus dans cette dernière ville pour l’année prochaine…




Manon Ardouin

 

 

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