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Présence du corps Paris Maison de Radio France 02/07/2003 -
Sean Ferguson : Dans la chair (création) Hans Werner Henze : Symphonies n° 3 et 6 (création française de la version révisée)
Orchestre philharmonique de Radio France, Pascal Rophé (direction)
Le corps, notamment au travers de la danse et de la lutte, constituait probablement l’un des fils rouges de ce programme proposé dans le cadre de Présences 2003.
Dans la chair (2002) de Sean Ferguson (né en 1962) fait référence à une expression de Merleau-Ponty, le compositeur canadien précisant qu’il «rêve d’un langage musical compris en même temps par l’esprit et dans la chair». Cette ambition, qui pourrait à vrai dire être celle de toute musique et, au-delà, de toute œuvre d’art, ne se réalise sans doute qu’imparfaitement dans cette pièce de dix minutes, donnée en création mondiale. L’approche de Ferguson est certes plus intuitive et sensible, voire lyrique, que discursive et construite, mais outre le fait que ce morceau ne semble pas mû par une nécessité bien déterminée, son orchestration n’est pas toujours à la hauteur du défi, même si elle dénote généralement une allégeance à la tradition française.
Concert après concert, le portrait de Henze se complète comme un puzzle, tant les différentes facettes du compositeur sont à la fois complexes et apparemment contradictoires. En témoignent à nouveau les deux symphonies présentées au cours de cette soirée, qui ont somme toute fort peu de choses en commun, de même que chacune d’entre elles a peu à voir avec la Quatrième entendue en ouverture du festival (voir ici). On a peine à croire que la Troisième symphonie (1949-1950) puisse être celle d’un musicien de vingt-quatre ans, tant le métier (une orchestration raffinée et rutilante) et le langage (discrètement marqué par le jazz et Stravinski) y sont déjà fermement assurés. Apollon et Dionysos s’y succèdent, dans des danses tour à tour gracieuses et sauvages, qui évoquent aussi l’expressionnisme de Hartmann ou la rutilance de Jolivet.
Créée à La Havane sous la direction du compositeur, la Sixième symphonie (1969) offre un contraste on ne peut plus saisissant avec la démarche esthétisante de la Troisième. L’effectif instrumental est réparti en deux orchestres, parfois utilisé de façon peu conventionnelle (jeu sur les cordes du piano, tapotements sur les clés des bois, ...) et comprenant des timbres relativement inusités (guitare et banjo, orgue électrique, violon amplifié). Surtout, la démarche politique qui préside à ces années d’engagement pour le communisme trouve une traduction musicale non seulement dans le matériau (chants révolutionnaires et rythmes cubains) mais bien davantage encore dans l’intransigeance du discours. Partition de combat, dans laquelle la violence exacerbée domine et l’engagement physique est nettement perceptible, mais dont la portée demeure suffisamment forte pour qu’elle conserve toute sa valeur expressive, indépendamment du contexte de sa genèse. Henze était d’ailleurs lui-même convaincu de son actualité pour en effectuer une révision en 1994, renforçant les pupitres de cordes, introduisant une séparation entre les trois mouvements et écrivant les passages originellement dévolus à l’improvisation. Ici encore, étrangement, ce cri, cette protestation véhémente mais aussi cette ouverture à d’autres traditions musicales rappellent Jolivet, et plus particulièrement sa Troisième symphonie, créée à Mexico en 1964. En même temps, dans les rares moments où l’intensité retombe quelque peu, Henze conserve une maîtrise de la séduction sonore, comme dans ces interventions, d’une délicatesse toute webernienne, de la flûte alto, du saxophone ténor, de la harpe ou de la guitare.
Concert diffusé sur France Musiques le samedi 1er mars à 23 heures.
Simon Corley
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