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Aperçus d’un marathon pianistique

Paris
Cité de la musique
12/13/2002 -  et 14, 15 décembre 2002


Avec l’un de ces week-ends fastueux dont elle a le secret (plus de vingt et une heures de musique du vendredi soir au dimanche, vingt et un pianistes), la Cité de la musique a conclu une vaste série de manifestations sur le thème de la transcription (voir par ailleurs ici, ici et ici) par un hommage au piano, l’instrument roi dans ce domaine. Le spectacle était partout, non seulement dans la grande salle et dans l’amphithéâtre du musée, mais aussi dans la « rue musicale » (occupée par ailleurs jusqu’au 5 janvier par les « installations » de l’exposition « Pianos année zéro », autour d’Arman, Vostell et autres « destructeurs » de pianos), où se déroulaient des mini-concerts gratuits, suivis par une foule nombreuse. Faute d’avoir l’endurance et le temps nécessaires pour goûter à la totalité de ce festin, il ne sera ici rendu compte que de quelques instantanés saisis le samedi et le dimanche.


Le compositeur face à lui-même
Samedi 14 décembre
Claude Debussy : Prélude à l’Après-midi d’un faune
Béla Bartok : Le Mandarin merveilleux, suite
Paul Dukas : L’Apprenti sorcier
Igor Stravinski : Le Sacre du printemps

Michel Béroff, Jean-Philippe Collard (deux pianos)


A deux pianos, Michel Béroff et Jean-Philippe Collard montrent d’abord comment les compositeurs ont eux-mêmes adapté leurs propres œuvres orchestrales, avec deux célébrissimes pièces symphoniques françaises et deux ballets non moins fameux.


Dans la transcription de son Prélude à l’Après-midi d’un faune, Debussy, qui devait ensuite composer l’une des pièces les plus essentielles du répertoire pour deux pianos, En blanc et noir, met en lumière certains détails que l’on ne perçoit pas toujours à l’orchestre et offre un point de vue moins cotonneux sur cette pièce qui, dans sa version originale, est trop souvent noyée dans un flou prétendument « impressionniste ». Bartok, qui, lui aussi, contribua de façon capitale à l’écriture pour deux pianos, fait ressortir la modernité de la Suite du Mandarin merveilleux, qui n’a jamais paru aussi proche de sa Sonate pour piano ou de En plein air, exactement contemporains.


Le compositeur est-il le mieux placé pour se transcrire ? Dukas, en tous cas, semble le plus fidèle à lui-même, mais peut-être en même temps le plus réducteur - on parle d’ailleurs aussi bien de « réduction » lorsqu’il s’agit de transcrire pour un effectif plus restreint - lorsqu’il s’attaque à son Apprenti sorcier. Dans Le Sacre du printemps, qui, comme le Prélude à l’Après-midi d’un faune, existe également dans des versions à un seul piano (deux ou quatre mains), Stravinski va au-delà de l’adaptation, de même que Bartok dans son Mandarin : plutôt que de se demander comment « imiter » l’orchestre - ce qui relèverait parfois du défi (la flûte du Faune, la clarinette du Mandarin ou le basson du Sacre, par exemple) - ils éludent la question au profit de partitions nullement anecdotiques, distinctes des originaux, mais qui possèdent leurs propres attraits.


Musiques de la rue (1)
Samedi 14 décembre
Carl-Maria von Weber : L’Invitation à la valse, op. 65 (transcription Richard Kleinmichel)
Camille Saint-Saëns : Danse macabre, op. 40 (transcription Franz Liszt)

Claire Désert, Emmanuel Strosser (piano à quatre mains)


Une petite promenade dans la « rue musicale » avant le concert suivant permet d’entendre Claire Désert et Emmanuel Strosser dans L’Invitation à la valse de Weber : écrite à l’origine pour deux mains, puis orchestrée par Berlioz, elle fait ici l’objet d’un traitement étrange, à savoir une version pour quatre mains due à Richard Kleinmichel (1846-1901). Manière de démontrer, peut-être, que la transcription n’est pas à la portée du premier venu, la Danse macabre de Saint-Saëns qui lui succède paraît d’une qualité instrumentale bien supérieure : s’il est indubitable que Liszt en a réalisé une transcription pour deux mains, le programme lui attribue également cette transcription pour quatre mains. Ce n’est pas invraisemblable, car, quel qu’en soit l’auteur, elle ne fait jamais regretter l’orchestre.


Samedi 14 décembre
Liszt au-delà de Beethoven
Piotr Ilyich Tchaïkovski : La Belle au bois dormant, suite, op. 66 (transcription Serge Rachmaninov)
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 9, op. 125 (transcription Franz Liszt)

Boris Berezovsky, Brigitte Engerer (piano à quatre mains, deux pianos)


Tout aussi remarquable, le travail de Rachmaninov sur la Suite de La Belle au bois dormant (pour quatre mains) trouve en Brigitte Engerer et Boris Berezovsky des interprètes particulièrement inspirés, l’ensemble parvenant presque à restituer les sonorités de l’orchestre de Tchaïkovski. Le plat de résistance de ce concert consistait toutefois en la Neuvième symphonie de Beethoven : à la différence des huit premières symphonies (pour deux mains), Liszt préféra ici faire appel à deux pianos. C’est dire que l’idée selon laquelle il se serait attaché, avec les huit premières symphonies, à assurer la diffusion de cette musique auprès des pianistes amateurs - hypothèse assez hasardeuse, tant ces transcriptions d’une incroyable difficulté ne peuvent être convenablement exécutées que par un virtuose - ne tient plus du tout avec cette Neuvième, qui recourt à toutes les possibilités de dialogue et d’écho entre les deux pianos.


Ayant d’ailleurs lui-même adapté ses propres Faust et Dante symphonies, Liszt a donc relevé le défi de transcrire toutes les symphonies de Beethoven. En même temps, cette étonnante entreprise - qui avait fait l’objet d’un enregistrement intégral il y a quinze ans chez Harmonia mundi, la Neuvième étant alors confiée à Georges Pludermacher et Alain Planès - rencontre peut-être ici ses limites. Non point tant en raison de la difficulté spécifique posée par les voix dans le mouvement final, mais parce que le piano peine à remplir certaines durées longues (allegro ma non troppo, un poco maestoso initial) ou à assurer la continuité de certains phrasés des cordes (adagio molto e cantabile). En revanche, l’instrument est plus à son aise dans le molto vivace (scherzo), qui devient une sorte de toccata titanesque et fantastique. Athlétiques (il vaut mieux, pour tenir les soixante-cinq minutes) sans renoncer à la musicalité, les deux pianistes abordent cette œuvre parfaitement fidèle à la lettre de Beethoven avec tout le panache qu’exige la vision lisztienne.


Dimanche 15 décembre
Une après-midi à l’opéra
Wolfgang Amadeus Mozart : La Flûte enchantée, K. 620 : ouverture (transcription Ferruccio Busoni)
Richard Wagner : Tristan et Isolde : prélude (transcription Zoltan Kocsis) et mort d’Isolde (transcription Franz Liszt) - Tannhäuser, ouverture (transcription Hans von Bülow)
Hugo Wolf : Paraphrase sur « La Walkyrie » de Wagner
Franz Liszt : Réminiscences de « Don Juan »

Jean-François Heisser, Marie-Josèphe Jude (piano, piano à quatre mains, deux pianos)


Le dimanche après-midi était d’abord consacré à l’opéra, et plus particulièrement à Mozart et à Wagner, au travers d’un programme intelligemment varié, présenté par Marie-Josèphe Jude et Jean-François Heisser, qui permettait d’éclairer différents aspects des adaptations pianistiques que le genre a pu inspirer : transcription, résumé ou commentaire.


La simple transcription d’abord, que ce soit Busoni avec l’ouverture de La Flûte enchantée (pour deux pianos), Zoltan Kocsis avec le prélude de Tristan, enchaîné à la Mort d’Isolde transcrite par Liszt (pour un seul pianiste, ici Marie-Josèphe Jude), ou Hans von Bülow avec l’ouverture de Tannhäuser (à quatre mains, plutôt que dans l’incroyable version à deux mains réalisée par Liszt).


Le résumé, ensuite, avec cette rare Paraphrase sur « La Walkyrie » de Wolf, donnée par Jean-François Heisser, qui s’apparente aux « résumés symphoniques » que Stokowski faisait de certains opéras de Wagner : durant un quart d’heure, Wolf met bout à bout de remarquables et fidèles transcriptions d’extraits marquants des trois actes, en suivant le déroulement de l’action ; une bonne moitié de cette « paraphrase » est consacrée au premier acte, les deuxième et troisième actes n’étant respectivement représentés que par une évocation de la scène entre Brünnhilde et Siegmund et par les adieux de Wotan.


Le commentaire, enfin, avec la version pour deux pianos des Réminiscences de « Don Juan » de Liszt : introduite de façon menaçante par les thèmes du Commandeur (scène du cimetière, ouverture et scène finale), l’œuvre déroule ensuite une série de variations sur le duo La ci darem la mano (qui avait déjà précédemment inspiré Chopin), où le dialogue entre les deux pianistes est particulièrement mis en valeur, avant de conclure par une éclatante démonstration fondée sur « l’air du champagne » (Fin ch’han dal vino). Dans tout ce répertoire, le duo Heisser/Jude maintient un style droit et rigoureux, ennemi de tout excès romantique, qui met en valeur le très beau travail pianistique effectué par chacun des transcripteurs.


Musiques de la rue (2)
Dimanche 15 décembre
Darius Milhaud : Le Bœuf sur le toit, op. 58
Jean-Philippe Collard, Emmanuel Strosser (piano à quatre mains)
Maurice Ravel : Boléro
Michel Béroff, Jean-Philippe Collard (piano à quatre mains)


Deux petits tours dans la rue musicale permettent de retrouver deux morceaux célèbres transcrits pour quatre mains par leurs auteurs : Le Bœuf sur le toit de Milhaud, interprété avec grâce et élégance par Jean-Philippe Collard et Emmanuel Strosser et, de façon plus inattendue, Boléro de Ravel - véritable défi au bon sens, dans la mesure où la richesse de l’orchestration est la raison d’être d’une partition que le compositeur qualifiait lui-même, sans y croire forcément beaucoup, de « vide de musique » - vaillamment défendu par Michel Béroff et Jean-Philippe Collard.


Jeux de mains, jeux pas vilains
Dimanche 15 décembre
Johann Sebastian Bach : Partita pour violon n° 2, BWV 1004 : Chaconne (transcription Johannes Brahms)
Wolfgang Amadeus Mozart : Requiem, K. 626 : Confutatis et Lacrimosa (transcription Franz Liszt)
Louis Moreau Gottschalk : Les Yeux noirs, op. 66 (transcription A. Napoléon)
Maurice Ravel : Rapsodie espagnole
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 : adagietto (transcription Marc-Olivier Dupin)
Manuel de Falla : Nuits dans les jardins d’Espagne (transcription Gustave Samazeuilh)
Wolfgang Amadeus Mozart : Les Noces de Figaro, K. 492 : ouverture (transcription Marc-Olivier Dupin)
Jean-François Heisser : Pot-pourri des symphonies de Beethoven

Boris Berezovsky, Brigitte Engerer, Jean-François Heisser, Marie-Josèphe Jude (de un à trois pianos, de une à huit mains)


Construit sur un principe simple - huit partitions faisant successivement appel à une main, puis à deux mains, et ainsi de suite jusqu’à huit mains, avec trois pianos et quatre pianistes - le concert de clôture présentait, au-delà de sa durée (près de deux heures sans entracte), un caractère festif et ludique dont la contagion s’étendit des interprètes au public.


Agrandie pour piano par Busoni, « morphologiquement désintégrée » (à l’orchestre) par Montsalvatge, la fameuse Chaconne de la Deuxième partita pour violon de Bach trouve peut-être son plus heureux équivalent dans la version qu’en publia Brahms, en tant que cinquième et dernière de ses Etudes : en effet, en ce qu’elle est écrite pour la main gauche seule, elle retrouve, d’une certaine manière, l’exigence physique et musicale de l’original (même si la pédale fournit souvent une assistance indispensable) ; Marie-Josèphe Jude interprète avec toute la concentration requise, sans effort apparent, cette pièce appréciée depuis longtemps des musiciens privés, définitivement ou non, de leur main droite. Brigitte Engerer évoque à nouveau Liszt, en exhumant une rareté, à savoir sa puissante et romantique transcription du Confutatis et du Lacrimosa extraits du Requiem de Mozart.


Le jeu à trois mains permet aux (jeunes) apprentis pianistes soutenus par un accompagnateur plus chevronné de prendre plaisir à jouer des morceaux plus élaborés que ceux qu’ils pourraient jouer seuls ou à quatre mains. En témoigne une brillante polka Les Yeux noirs de Louis Moreau Gottschalk, où Marie-Josèphe Jude fait cette fois-ci valoir sa main droite pendant que Jean-François Heisser tient le reste du clavier. Conçue pour deux pianos puis devenue une merveille d’orchestration, la Rapsodie espagnole de Ravel sonne pourtant de façon admirable à quatre mains, mais sans doute le doit-on au toucher exceptionnel du tandem Engerer/Berezovsky.


A cinq mains (et un piano), on aurait pu rester dans Ravel, avec son bref et grinçant Frontispice, mais la Cité de la musique a préféré élargir le répertoire et diversifier l’exercice en commandant à Marc-Olivier Dupin une transcription de l’adagietto de la Cinquième symphonie de Mahler pour trois pianos (deux pianos à deux mains, en l’espèce Engerer et Jude, le troisième étant confié à la seule main gauche d’Heisser, correspondant, grosso modo, à la partie de harpe) : difficile d’oublier que cette musique est écrite pour les cordes… A six mains, on renouvelle encore la difficulté, avec les Nuits dans les jardins d’Espagne de Falla, dont Gustave Samazeuilh a réduit à quatre mains (Jude et Engerer) l’orchestre, laissant intacte la partie concertante dévolue au piano (Heisser, qui en est familier, voir par exemple ici) : le soliste, déjà très intégré dans la version originale, est encore plus fondu dans un ensemble homogène de timbres ; servie en outre avec l’exactitude que l’on connaît à ces excellents musiciens, cette adaptation a priori surprenante convainc dès lors sans peine.


A sept mains, la maigreur du répertoire a également conduit la Cité de la musique à faire appel à Marc-Olivier Dupin, qui s’est attaqué à l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart : deux pianos à deux mains (Engerer et Berezovsky) et un troisième piano à trois mains (Heisser et Jude) ; le résultat est remarquablement efficace, à la fois fidèle et sonore. Feu d’artifice final avec les vingt minutes de Pot-pourri des symphonies de Beethoven, collationné avec soin par Jean-François Heisser, qui l’interprète, avec les trois autres pianistes de la soirée, sur deux pianos à quatre mains. Plus que d’un « pot-pourri » irrespectueux - encore que les mimiques dont Berezovsky accompagne les énormes bourdes qu’il commet dans la Cinquième laissent largement croire à la préméditation - il s’agit plutôt de l’exacte transcription et du collage d’extraits de mouvements des symphonies : premier de la Quatrième, final de la Troisième, premier de la Cinquième, premier de la Sixième, scherzo de la Neuvième, final de la Septième et, bien sûr, résumé du final de la Neuvième.


Le public en redemande : ce sera donc une nouvelle fois - et « encore plus vite », à l’instigation gourmande de Berezovsky, qui ouvre le feu depuis son troisième piano - l’ouverture des Noces de Figaro. Manière on ne peut plus opportune de conclure… ces « folles journées » de piano.



Simon Corley

 

 

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