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Prazak: l’éternel retour (2) Paris Théâtre des Bouffes du Nord 12/09/2002 -
Bedrich Smetana : Quatuor n° 2 Leos Janacek : Quatuor n° 2 « Lettres intimes » Ludwig van Beethoven : Quatuor n° 7, opus 59 n° 1
Quatuor Prazak
Après un remarquable premier concert (voir ici), le second programme donné à l’occasion de ce passage parisien du Quatuor Prazak associait à nouveau à Beethoven et Smetana un compositeur tchèque du siècle dernier, en l’occurrence Janacek.
A propos du Second quatuor de Smetana, Pierre-Emile Barbier note fort justement qu’« on y trouve trace (...) de l’influence du Beethoven de l’opus 135 comme des premières structures non cycliques auxquelles s’intéressera particulièrement un Janacek ». Les audaces harmoniques et le caractère fragmentaire du propos rendent l’interprétation de cette partition particulièrement périlleuse, mais les musiciens tchèques, conciliant comme toujours liberté et rigueur, non seulement se jouent des difficultés, mais, maintenant une tension constante, rendent justice à cette « musique pure », selon l’expression consacrée, sans jamais être désincarnée.
Ce quatuor, par ses fulgurances et son caractère rhapsodique (la découpe en quatre mouvements n’étant en rien conforme au modèle traditionnel), constituait donc une excellente introduction au Second quatuor « Lettres intimes » de Janacek, même si celui-ci, par son inspiration autobiographique, se rapproche davantage du Premier quatuor « De ma vie » de Smetana donné la veille. P.-E. Barbier mérite à nouveau d’être cité : « Réduite à une succession de notes lors de lectures formelles, elle peut tourner à l’incohérence si une vision passionnée, émerveillée, profondément lyrique et dramatique ne vient pas souder cette structure très fragmentée que parcourent de grands élans, des fluctuations permanentes de tempos, de rythmes et de d’intensités. » Ces quelques lignes suffisent en effet à caractériser la prestation physique, spectaculaire, hallucinée, expressionniste et intimidante des Prazak, dont l’énergie phénoménale mais jamais brouillonne se concilie avec le souci de toujours laisser s’épanouir la moindre ligne de chant. La prise de risques est maximale, mais elle se justifie pleinement pour cette œuvre en permanence au bord du gouffre.
Le Septième quatuor de Beethoven semble ensuite, dans son allegro initial, un peu fade, malgré d’indéniables qualités factuelles. Est-ce l’effet, pour le public ou pour les artistes, de la débauche d’énergie qui a précédé, malgré une pause bien méritée de dix minutes pour les uns et pour les autres ? Heureusement, dès l’allegretto vivace sempre scherzando, tranchant, ludique et capricieux, l’attention (ou la tension) reprend ses droits. Après un adagio molto e mesto concentré et dense, le caractère dansant et enlevé de l’allegro final est superbement mis en valeur.
Le Quatuor Prazak ne donnera pas moins de trois bis. L’adagio du Quatuor de Barber, intense, parfaitement conduit, mène fort logiquement à deux extraits du Douzième quatuor « Américain » de Dvorak : le vivace ma non troppo final puis le lento (deuxième mouvement), démonstration de tout ce qui fait la force de cet ensemble, à commencer par le refus de toute tentation anecdotique et décorative aussi bien que cet intense plaisir de jouer, quand bien même il s’agirait, comme ici, d’un incontournable du répertoire tchèque.
Simon Corley
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