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Les clés du Varady Paris Radio France 12/07/2002 - Giacomo Puccini : Edgar Carl Tanner (Edgar), Julia Varady (Fidelia), MaryAnn McCormick (Tigrana), Dalibor Jenis (Franck), Carlo Cigni (Gualtiero) Maîtrise et Chœur de Radio France, Orchestre national de France, Yoel Levi (direction) Deuxième opéra du jeune Puccini, Edgar fait oublier un livret atterrant (supposément inspiré de Musset, on rêve !) par l’impact de la musique qui, indécise encore entre la déclamation vériste, les accents martiaux néo Force du destin et les subtilités en germe d’une écriture vocale aux syncopes orientalistes ou d’un orchestre aux couleurs en pleine éclosion, en transcende l’inanité (ou la saturation) dramatique, dans le troisième acte en particulier. Une certaine mollesse de la direction de Yoel Levi ne gêne ainsi guère, la puissance de la partition parlant dans une certaine mesure d’elle‑même. D’autant que l’Orchestre National de France, qui excelle le plus souvent à l’exercice de l’opéra en concert, dresse ces murailles que le chef seul peinerait à ériger. Et que le chœur étale moins ses faiblesses qu’à l’accoutumée dans ses interventions tout d’un bloc – mais quand même, ni discipline, ni homogénéité des voix ne vont de soi !
La distribution achève de convaincre : si MaryAnn McCormick, en dépit d’un très beau timbre, peine à conserver la justesse dans la partie inchantable de Tigrana, le baryton Dalibor Jenis déploie la gloire d’un étonnant aigu ténorisant. Le timbre séduisant et égal sur toute la tessiture, l’émission facile et la ligne ferme de Carl Tanner imposent de ne pas le perdre de vue dans ce répertoire où les bons ténors ne sont pas légion ; manque encore une dynamique plus subtile, un souffle moins contraint à l’extrémité des phrases. Mais l’événement était naturellement le retour à Paris de Julia Varady, dans un rôle évidemment en deçà de ses immenses possibilités de tragédienne, mais offrant le meilleur de son merveilleux automne (ce qui n’était hélas pas le cas du premier acte de La Walkyrie en concert avec l’Opéra de Berlin l’an passé). Bien sûr, le soutien est devenu plus capricieux, compromettant parfois la ductilité du phrasé, et ce n’est pas maintenant que la diction s’améliorera. Mais le timbre, dans une tessiture resserrée qui ne met pas à mal la jonction des registres, conserve sa fascinante étrangeté, la projection de la voix reste sidérante, la palette dynamique d’une stupéfiante maîtrise (l’attaque des aigus piano !). Le masque sculpté par le chant, le regard, les contractions du corps imposent une présence à la fois irréelle et anachronique – elle est sans doute la seule à pouvoir se laisser tomber sur sa chaise et mâcher des pastilles pour la gorge sans cesser vivre le drame et brûler les planches. Une Diva quality à laquelle on n’en voit qu’une ou deux, dans la génération présente, à pouvoir un jour prétendre !
Vincent Agrech
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