About us / Contact

The Classical Music Network

Toulouse

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Cavalieri non rusticani, ou Carmina Organa

Toulouse
Église saint Jérôme, etc...
10/05/2002 -   ; et jusqu'au 20 Octobre 2002


Emilio de'Cavalieri : Lamentationes Hieremiae Prophetae

J.-S. Bach, Reubcke, Liszt...

Philipp-Heinrich Erlebach : Signes du Ciel

et tant d'autres encor...


Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (direction)

Ensemble Stylus Phantasticus ; Victor Torres (baryton)

Jan-Willem Jansen (Directeur Artistique), Jean-Jacques Germain (Président), Gilles Cantagrel (Musicologue Dédié), Aurélie Magnat (Chargée de Production), Nathalie Bacon (Chargée de Communication), Catherine Kauffmann-Saint-Martin (Attachée)

... et toute une Pléïade d'Organistes que nous tenons ici à féliciter


http://www.toulouse-les-orgues.org



Tel un pèlerin Wanderer, le mélomane organivore n'a qu'une issue pour assouvir son désir : cheminer vers la Ville dite Rose. Orgue à gogo pendant dix-sept jours. Occasion de rencontres avec des organistes de renommée et des compositeurs méconnus ; d’admiration de buffets de tous types. Car assurément, les raretés musicales se révèlent - et pas seulement sur l’instrument-roi -, un peu comme ces trésors de flibuste dormant au fond de l'océan ; et constituent une divine surprise ou a contrario une amère déception, une fois rendus à la Lumière (exemple : un Quatuor de Fesca, exhumé à Bordeaux, lors du fastueux Concours de Quatuors à Cordes de 2001). En revanche, il était temps d'extirper Emilo de’Cavalieri (1550-1602) de l'injuste exil frappant tout un aréopage de «musiciens de l'avenir» bien qu'issus d'un temps révolu (Caccini, Peri…).



Surintendant pour l'Art, la Musique et le Théâtre à la cour de Florence, ce compositeur italien, «chargé de mission culturelle» auprès du Duc autochtone, expérimente ses premiers essais de chant monodique - dont une majeure partie est perdue… En 16oo - année de l’Euridice de Peri - au cours d'un séjour à Rome, il fait interpréter sa Rappresentazione di Anima e di Corpo, figuration spirituelle en stile recitativo. Et même, un drame lyrique en trois actes portant sur les fonts baptismaux le genre opératique moderne, jusqu’au Festival Scénique et Sacré ; qui connaitra son apogée des siècles plus tard, avec Wagner. Sans oublier Stockhausen, via son «opus magnum» Licht, hallucinante Action cosmique, dramatique et liturgique, une constellation sonore avec instrumentarium électronique. Remarquons que cette œuvre n’aurait pas déparé dans le programme du Festival, à savoir : «Musique et Espace, ou l’Harmonie des Sphères». Les Lamentationes Hieremiae Prophetae pour voix soliste, «chœur» et orgue inondent d'un faisceau radieux l'Église Saint Jérôme qui appelle une salutaire rénovation ; tant cet batisse lépreuse suinte la vétusté, la poussière et le ranci.



Par bonheur, au plan acoustique, il en va différemment ! Les voix, célestes entrelacs, investissent le lieu, s'emparent de la pénombre pour le transfigurer : il est difficile de ne pas l'être, également. Définir ex abrupto cette partition «oratoriesque» paradoxale, laquelle scande une douloureuse et exubérante mélopée, relève de la gageure : opéra, cantate, «répons» ? Douze apôtres : un soliste principal, un quartetto dei cantori, et sept instrumentistes ; dont le titulaire du «cittarone», grosse cithare, au sens littéral ; et aux formes dignes de l’heroic fantasy. Du coup, l'on ouït un opéra sacré, à la théâtralité exarcerbée. Le soprano lumineux, au timbre cristallin de Claire Lefilliatre - profil de Madone botticellienne - ourle sa ligne de chant «stratoféérique» d'un rayon de fioriture. Et d’ajouter des diminutions dans les suraigus, de redoutables appogiature et colorature, en évitant soigneusement de couvrir ses partenaires… car l’organe est surpuissant, pour un soprano dit léger ! Toutes les expressions de la douleur humaine passent dans sa voix (sanglot, râles, spasmes) ; et ce, au service d’une aria di bravura quasi constante, dont chaque sequence s’écoule telle une cascade d'eaux translucides.



L'esthétique de Cavalieri ? Si «hérétique» puisse-t-il paraître, un rapprochement entre mondes musicaux parallèles s'impose. Il se situe entre Monteverdi - celui des Madrigaux et du Lamento d'Arianna -, Allegri(Miserere), Henze (Nachtstücke und Arien), voire… Krenek : également auteur de Lamentations de Jérémie ! Et pourquoi pas, le Miroir de Paine d'Andrienssen, par Roberta Alexander. Ce soir-là, quiconque eût erré dans l'obscurité, à la recherche de la lumière, l'eût trouvée ; quoique Vincent Dumestre la fît progressivement s’éteindre, cierge après cierge, pour aboutir à la nuit la plus complète ! Avant de faire connaissance avec Erlebach (1657-1714) et ses Signes du Ciel - au Salon des Illustres du Capitole en présence des édiles locaux et autres nobliaux -, il était hautement recommandable de se perdre dans la basilique Saint Sernin pour la Finale du VIII° Concours d'Orgue Xavier Darasse. En présence de la Guilde prestigieuse des «meisterorgelspieler», le jeu ductile de Margarita Shablovskaja (hélas classée quatrième et dernière) ébaubit et ébaudit. En effet, la Sonate de Reubcke est une partition visionnaire, une somme organistique extravagante qui s'enracine dans la Fantaisie et Fugue de Liszt (dont il était le disciple) ; elle-même référence-révérence à Bach et Bruckner. Mieux : elle anticipe sur les pièces de Reger et Schmidt, et aussi Jon Leifs, compositeur islandais, dans ses déferlements d'accords implacables.



Radical changement d'atmosphère avec Erlebach, donc, musicien étonnamment ignoré (seuls quelques manuscrits ont survécu aux incendies et autres calamités). En quelque sorte, ce créateur syncrétique est un «madrigaliste germaniste», mettant en notes par ces Signes du Ciel les peurs eschatologiques dues au passage de deux comètes (en 1680 puis 1682) survenant aprés des periodes de famines et de guerres. En européen convaincu, le compositeur assimile et restitue les courants esthétiques français, italiens et anglais ; tout en ayant faits siens les doctes enseignements de Bach. Certains Lieder - oui, vous avez bien lu : lieder - d'Erlebach, annoncent «Es is vollbracht» dans la Passion selon Saint Jean, Purcell et ses Anthems ; et tout cela forge un corpus de mélodies emplies de dolorisme (encore), d'ardeur sombre, d'une délectation proprement mortifère. Ainsi, le «Dulde dich» empli de ténèbres préfigure, eh oui, «He was despised» du Messie de Haendel !


Orchestateur hors pair, il explore et varie toutes les possibilités de la basse continue : orgue ou clavecin, harpe, théorbe ou encore guitare baroque, si ce n’est violes de gambe - associées par trois, trois contre deux, trois contre trois... Le continuo peut se voir confier à quatre intervenants, par exemple : orgue, théorbe, harpe et viole de gambe. Dans tous les cas de figure, l'Argentin Victor Torres, à l'émission hautement percutante mais suave, est un baryton-basse stupéfiant ; tessiture trés ample dans le grave s’autorisant des incursions quasi ténorisantes dans le registre aigu. Il réussit, en outre, des effets expressionnistes de détimbrage en voix mixte, notamment dans le bouleversant «Himmel, du weisst meine Plagende» ; soutenu par l'ensemble si bien nommé Stylus Phantasticus.



Au plan instrumental, il serait injuste de passer sous silence la troisième Sonate. Totalement italianisante, elle donne à songer en l'occurrence à l'art d'un Geminiani, d’un Frescobaldi, d’un Corelli. C'est une Suite étonnante : une sinfonietta baroque entièrement construite tel un mouvement unique, de façon que le tout apparaisse différent de la somme de ses parties. In fine et en bis, Victor Torres se lance dans une festive esplièglerie vocale ; une chanson à boire style «Bacchus semper vivat» de Buxtehude, Que madmodum desiderat cervus. Pause balsamique pour un Festival gourmet mais ô combien replet, qui tient selon nous davantage du marathon que de la flânerie !!!



Étienne Müller

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com