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Quand on goûte avec délices au poison des Borgia

Marseille
Opéra de Marseille
10/13/2002 -  et les 8, 10, 16 octobre 2002
Gaetano Donizetti : Lucrezia Borgia
Nelly Miricioiu (Lucrezia), Katja Lytting (Orsini), Soner Bülent Bezdüz (Gennaro), Francesco Ellero d'Artegna (Alfonso d'Este).
Orchestre de l'Opéra de Marseille, Oleg Caetani (direction).
Uwe Eric Laufenberg (mise en scène), Kaspar Glarner (décors), Renate Schmitzer (costumes).


Une fois de plus, la province nous offre ce dont Paris nous frustre. On aurait pu croire que le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo nous vaudrait, au Palais Garnier, la Gioconda de Ponchielli (pour ne rien dire de son Marion Delorme ressuscité par Montpellier l'année dernière) ou Lucrezia Borgia de Donizetti, une des partitions les plus fortes du compositeur de Lucie de Lammermoor. Il n'en est rien. Mais peu importe : en admettant que le TGV ne soit pas en grève, on est à Marseille en trois heures et on peut manger, avant ou après le spectacle, une délicieuse bouillabaisse tout près de cet Opéra construit dans les années trente et unique en son genre, dans le quartier du Vieux Port. Et comme Renée Auphan, qui arrive de Genève après être passée par Lausanne, connaît son affaire, on est sûr de ne pas perdre sa journée en osant déserter Paris.


C'est en effet une belle production. Certes tout n'y est pas parfait. Le metteur en scène, qui a raison de faire de l'œuvre un nocturne sanglant, n'échappe pas au déjà vu : les spadassins en long manteau noir et portant des lunettes encore plus noires, armés d'un pistolet ou d'un gourdin, on connaît. L'orgie, au dernier acte, est aussi un peu tristounette. On se demande également pourquoi on voit, au début et à la fin, la rue qui donne sur l'Opéra. Mais passons : l'essentiel est de ne pas trahir la musique et Uwe Eric Laufenberg, de ce point de vue, est irréprochable. Bref, on passe sur le côté mussolinien obligé et on respire, surtout quand on pense à ce que l'époque nous réserve parfois.


Nelly Miriciou est, une fois de plus, superbe, tant par sa maîtrise des exigences du chant italien que par son interprétation du monstre touché par la grâce de l'amour maternel. Tout l'art du bel canto est là, qu'il s'agisse du jeu sur les couleurs de la voix, de la vocalisation ou de la caractérisation par le chant sans le recours aux effets faciles d'un vérisme mal compris. On regrette du coup que l'air final ait été supprimé. Il est vrai que Donizetti l'avait écrit parce que la créatrice du rôle, Henriette Méric-Lalande, ne voulait pas que le rideau se baissât sans qu'elle pût briller. Mais l'authenticité, pour une fois, n'est peut-être pas un gage de vérité dramatique et on regrette que l'opéra s'achève sur la mort de Gennaro, ne laissant à Lucrèce que la possibilité de crier son désespoir, les mieux pourvues - comme Nelly Miriciou - en profitant pour lancer un contre-ré qui leur assure des applaudissements d'un public que tétaniserait davantage l'air composé pour la Méric-Lalande. Si l'on admet, ce qui peut d'ailleurs se discuter, que la cabalette, avec ses vocalises tourbillonnantes, est hors de propos, la cavatine "Era desso il figlio moi" est en revanche parfaitement en situation. Qui donc a pu imposer à Nelly Miriciou, qui aurait parfaitement chanté ce finale, la version de 1840, sous prétexte de fidélité à l'écrivain et au compositeur ?


Dans le rôle d'Orsini, Katja Lytting est plus contestable : là où Donizetti renoue avec la tradition du contralto musico travesti rossinien, nous avons entendu un mezzo clair, qui s'est honorablement tiré d'affaire dans la première partie, mais a accusé ses lacunes dans la seconde, surtout dans le grave, peinant laborieusement dans le célèbre brindisi, où une gamme allant jusqu'au contre-ut n'a pas réussi à faire illusion. Le jeune ténor turc Soner Bülent Bezdüz, en revanche, peut-être repéré par les discophiles dans un petit rôle des Troyens de Berlioz enregistrés naguère en direct par Colin Davis à Londres, a été une véritable révélation : l'émission est haute et aisée, sur toute la tessiture, avec un aigu très clair ; le style est exemplaire, jamais entaché de sanglots douteux ou autres rides d'expression vocale. Il y a bien encore quelque chose d'un peu vert dans le chant comme dans l'interprétation, mais nous tiendrons bientôt là un des meilleurs ténors de sa génération. Francesco Ellero d'Artegna a, lui, déjà atteint sa maturité et nous offre un Alfonso vocalement et scéniquement remarquable, inquiétant et venimeux, se gardant bien de toute caricature dans la noirceur. Cela est essentiel pour la cohérence de l'ensemble, qui repose aussi sur la relation très particulière fondant ce couple infernal et se trouve souvent compromise faute d'un chanteur faisant le poids face à la protagoniste. Même si Eric Martin-Bonnet n'a guère paru à son avantage, n'oublions pas les seconds rôles, dont la qualité faisait déjà, à Genève, le prix des distributions réunies par Renée Auphan. Au pupitre, Oleg Caetani a su, sans s'effacer, se montrer attentif aux chanteurs, tandis que le chœur a donné le meilleur de lui-même.
A Marseille, la saison commence bien.




Didier van Moere

 

 

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