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Coup de poing lyrique

Milano
Teatro alla Scala
12/07/2025 -  et 10, 13, 16, 19*, 23, 30 décembre 2025
Dimitri Chostakovitch : Lady Macbeth de Mzensk, opus 29
Alexander Roslavets (Boris Timofeyevich Izmaïlov), Sara Jakubiak (Katerina Izmaïlova), Najmiddin Mavlyanov (Sergueï), Alexander Kravets (Un petit homme misérable), Valery Gilmanov (Le pope), Yevgeny Akimov (Zinovy Izmaïlov), Jirí Rajnis (Un gardien), Oleg Budaratskiy (Un sergent de police), Ekaterina Sannikova (Aksinia), Goderdzi Janelidze (Un vieux bagnard), Elena Maximova (Sonietka), Laura Lolita Peresivana (Une détenue), Li Huanhong (Une sentinelle), Vasyl Solodkyy (Le maître d’école)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Riccardo Chailly (direction musicale)
Vasily Barkhatov (mise en scène), Zinovy Margolin (décors), Olga Shaishmelashvili (costumes), Alexander Sivaev (lumières)


(© Brescia/Amisano – Teatro alla Scala)


Pour le cinquantième anniversaire du décès de Dimitri Chostakovitch, la Scala a ouvert sa saison 2025‑2026 avec Lady Macbeth de Mzensk. Le spectacle restera comme l’un des plus forts et des plus enthousiasmants de ces dernières années à Milan. Chapeau à Dominique Meyer (qui a quitté ses fonctions de directeur en mars, mais qui a conçu l’intégralité ou presque de cette nouvelle saison) et à Riccardo Chailly, dont on connaît les affinités avec la musique du XXe siècle, pour avoir fait preuve d’originalité et d’audace dans le choix du titre d’ouverture.


Lady Macbeth de Mzensk est très certainement l’un des opéras les plus fascinants du XXe siècle, par sa genèse tout d’abord. Chostakovitch le termine en 1932, alors qu’il n’a que 26 ans. Inspiré par une nouvelle de Nikolaï Leskov, il transforme une criminelle, qui tue son beau‑père pour hâter l’héritage, en une héroïne victime de l’oppression patriarcale. L’œuvre est créée presque simultanément à Leningrad (22 janvier 1934) et à Moscou (24 janvier 1934). C’est un triomphe immédiat et international aussi. En deux ans en effet, l’opéra connaît plus de 180 représentations en URSS et est également joué à New York et à Buenos Aires notamment. Le destin de Chostakovitch bascule le 26 janvier 1936, lorsque Staline assiste à une représentation au Bolchoï. Scandalisé par la violence scénique et la modernité dissonante de la musique, il quitte la salle avant la fin. Deux jours plus tard, paraît dans la Pravda un éditorial non signé (probablement dicté ou inspiré par Staline lui‑même) intitulé « Un galimatias au lieu de musique ». L’article qualifie l’œuvre de « cacophonique », « gauchiste » et « pornographique ». Il se termine par une menace à peine voilée : « C’est un jeu qui peut très mal finir. » L’opéra est instantanément banni des scènes. Chostakovitch, terrorisé, dort pendant des mois sur le palier de son appartement avec une valise, craignant d’être arrêté au milieu de la nuit. L’ouvrage reste interdit pendant plus de vingt‑cinq ans. Après la mort de Staline (1953) et pendant la période de « dégel » engagée par Khrouchtchev, Chostakovitch décide de le réviser pour permettre son retour sur scène. Il atténue les passages les plus crus et réécrit certains textes. Une nouvelle version portant le nom de l’héroïne, Katerina Izmaïlova (opus 114), est créée à Moscou en 1962. Pour la petite histoire, le programme de salle de la Scala nous apprend que la direction de l’époque avait essayé d’obtenir la création de l’ouvrage à Milan. Bien que la version révisée ait permis à l’œuvre de revivre, c’est la version originale de 1934 (opus 29) qui s’est imposée sur les scènes mondiales à partir des années 1970. C’est cette version, jugée plus radicale et fidèle à l’intention initiale du compositeur, qui est présentée à Milan.


L’intrigue raconte l’histoire de Katerina Izmaïlova, une femme délaissée et opprimée dans la Russie provinciale du XIX e siècle. Poussée par le désir et l’ennui, elle entame une liaison avec un ouvrier, Sergueï, et commet une série de meurtres (son beau‑père et son mari) pour préserver son secret et sa liberté. Découverts, les amants sont déportés en Sibérie, où la trahison de Sergueï mène Katerina au suicide.


Pour ses débuts à la Scala, le jeune metteur en scène russe Vasily Barkhatov a réalisé un coup de maître, livrant un spectacle émotionnellement très fort et prenant aux tripes, un spectacle proposant une vision particulièrement crue et réaliste de l’oppression féminine, sans aucun fard. La production souligne la violence et le cynisme de la société russe et explore les thèmes de l’isolement et de la rébellion contre un système patriarcal brutal. L’action se déroule à l’intérieur de la demeure du riche marchand Boris Izmaïlov, une maison dans laquelle tout respire la richesse et l’opulence, avec son immense salle de réception, ses lustres énormes et son personnel pléthorique. A plusieurs reprises durant la soirée apparaît un balcon roulant sur lequel prend place une fanfare de cuivres, avec les musiciens en tenue militaire blanche. Le contraste est total avec les espaces privés, regroupés sur un praticable à deux étages glissant au centre du plateau, avec notamment une arrière‑boutique glauque, la cuisine, où sera violée une employée de maison, ainsi qu’un bureau sinistre qui abrite les ébats clandestins de Katerina et de Sergueï. En outre, une trappe s’ouvre régulièrement au centre de l’avant‑scène pour laisser monter une petite table, autour de laquelle un officier de police interroge les différents témoins tout en rédigeant des rapports. Les fiches de police, les empreintes digitales et les pièces à conviction sont projetées sur un grand écran. La direction d’acteurs est réglée au cordeau et la mise en scène fourmille de détails qui pourraient paraître insignifiants au premier abord, comme ce passage où plusieurs hommes, une crosse à la main, entendent prouver leur virilité et leur force dans une partie de hockey sur glace, le sport préféré de l’actuel président russe. La dernière scène est particulièrement prenante : pour figurer la déportation en Sibérie, un immense camion déboule sur le plateau. La seule liberté que prend Vasily Barkhatov avec le livret est la toute dernière image, où deux cascadeurs transformés en torches vivantes sortent du camion, alors qu’il est question de noyade dans le livret, mais cette image, terrible, restera longtemps gravée dans les mémoires, à l’instar de cette histoire restituée dans toute sa noirceur et sa violence.


Dans la fosse, l’Orchestre de la Scala, qui sort pour l’occasion de sa zone de confort, fait des miracles, avec notamment des cuivres éclatants et des percussions puissantes, sans parler des cordes, capables de pianissimi à peine palpables. Riccardo Chailly, qui inaugure sa dernière saison en tant que directeur musical de la Scala, est accueilli par des ovations dès sa toute première entrée. Le chef a été victime d’un malaise lors de la deuxième représentation, entraînant l’interruption du spectacle à la fin du deuxième acte. Ce soir, il semble en pleine forme et offre une prestation mémorable, qui restera sans conteste comme l’une des meilleures de son mandat à Milan : le maestro restitue avec brio toutes les facettes d’une partition dense et foisonnante, de l’humour noir sarcastique au lyrisme tragique et profond, et passe avec naturel et fluidité des passages chambristes aux déferlements de tous les instruments de l’orchestre, avec toujours un sens parfait de l’équilibre entre les pupitres. En outre, le chef a choisi de ne rien édulcorer, rendant parfaitement toute la violence et l’érotisme de la partition. Coïncidence, le programme de salle (à Milan, les programmes sont de véritables mines d’or) nous apprend que c’est le successeur de Chailly, Myung‑Whun Chung, qui avait dirigé la dernière production de Lady Macbeth de Mzensk à la Scala en 1992. Quant au Chœur de la Scala, il impressionne par sa précision et sa cohésion, avec pour point culminant la dernière scène, où il parvient à créer une atmosphère de tristesse et de désespoir absolus au sein des prisonniers.


La distribution vocale mérite tous les éloges. Dans le rôle‑titre, Sara Jakubiak livre une performance magistrale, incarnant une héroïne à la fois vulnérable et impitoyable, avec une ligne de chant tenue admirablement de bout en bout, une puissance remarquable, lui permettant de transpercer les fortissimi orchestraux les plus denses, ainsi qu’une présence scénique incandescente. Timbre sombre et profond, Alexander Roslavets incarne un beau‑père autoritaire et tyrannique, à l’autorité glaçante et n’hésitant pas à humilier jusqu’à son propre fils. Un fils interprété par Yevgeny Akimov, ténor clair et puissant, dont le physique souligne le caractère pataud et falot du personnage et qui fait preuve d’un grand sens du théâtre. Dans le rôle de Sergueï, Najmiddin Mavlyanov dessine un amant opportuniste à la voix robuste. Les interprètes des personnages secondaires sont tous excellents, soulignant la cohésion de l’ensemble. Pour l’ouverture de la saison 2026‑2027, ce sera un retour à la tradition avec Otello de Verdi.



Claudio Poloni

 

 

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