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Jouez hautbois, résonnez musettes!

Baden-Baden
Festspielhaus
12/20/2025 -  et 26 décembre 2025 (Budapest)
Johann Sebastian Bach : Weihnachtsoratorium, BWV 248 (Première, deuxième, troisième et sixième parties)
Julia Lezhneva (soprano), Olivia Vermeulen (alto), Julian Prégardien (ténor), Hanno Müller-Brachmann (baryton)
Collegium Vocale Gent, Maria van Nieukerken (cheffe de chœur), Budapesti Fesztiválzenekar, Iván Fischer (direction)


I. Fischer (© Sonja Werner)


A la mi-décembre, Baden-Baden accorde désormais carte blanche à Iván Fischer et à son Orchestre du Festival de Budapest, une nouvelle résidence appelée à raviver l’attrait d’une période hivernale en perte de vitesse au Festspielhaus, depuis que Valery Gergiev et le Théâtre Mariinsky ont cessé d’y être les bienvenus.


Avec son Iván Fischer Opera Company, le chef hongrois poursuit depuis plus de dix ans un projet singulier, consistant à présenter chaque saison un opéra dans une configuration hybride, à mi‑chemin entre version de concert et mise en scène. L’ambition est claire : resserrer les liens entre l’orchestre et l’action scénique afin d’atteindre une finesse de restitution particulière, cohésion qu’une salle d’opéra peine en principe à offrir. Cette année, Baden‑Baden accueille ainsi Don Giovanni, production récemment donnée au Teatro Olimpico de Vicenza, mais transplantée dans le cadre sensiblement moins intimiste d’un Festspielhaus où elle perd probablement une part de sa subtilité originelle. L’orchestre, volontairement réduit et teinté d’options historiquement informées – cors naturels, cordes peu vibrées – sonne parfois un peu terne, surtout face à une distribution qui demeure, elle, indiscutablement luxueuse (Andrè Schuen, Maria Bengtsson, Miah Persson, Luca Pisaroni, Bernard Richter, Giulia Semenzato, Daniel Noyola, Krisztián Cser). Quant aux propositions scéniques d’Iván Fischer, efficaces par leur lisibilité, elles souffrent d’une certaine naïveté de mise en forme qui limite leur portée dramaturgique. Cela dit, il s’agit d’une belle soirée d’opéra, sans esbroufe, appréciable par son refus de toute surenchère conceptuelle, et qui a au moins le mérite de présenter un véritable Don Giovanni, solidement ancré dans le XVIIIe siècle par de somptueux costumes et par un respect scrupuleux du livret, sans ajouts ni détournements. Une honnêteté artistique qui, en ces temps de relectures à tout prix, mérite d’être soulignée.


Dans cette perspective, le traitement de La Flûte enchantée, annoncée pour décembre 2026, devrait s’inscrire dans une logique comparable : même type de dispositif resserré, même primauté accordée à la musique et à la clarté dramatique, portée par une distribution à nouveau particulièrement soignée (Julian Prégardien, Samantha Gaul, Franz‑Josef Selig, Alina Wunderlin, Markus Werba, Sarah Maria Sun, Mirella Hagen, Olivia Vermeulen, Peter Harvey).


Opéra le vendredi et le dimanche, et le samedi une soirée consacrée à l’Oratorio de Noël de Bach, ouvrage idéalement de circonstance, qui a attiré un public très nombreux dans un Festspielhaus quasiment complet. Cette recette de programmation efficace – l’Oratorio de Noël intercalé entre deux représentations d’opéra – sera d’ailleurs reconduite en 2026, le dernier samedi avant Noël, avec un autre chœur (le Vocalconsort Berlin) et d’autres solistes, et sans doute le même taux de remplissage record à espérer. Il est vrai que cet ouvrage, à l’instar d’une Passion à Pâques, relève aussi d’un moment de dévotion saisonnière, particulièrement en Allemagne: une forme d’élévation spirituelle que l’on ressent avec acuité au cours de cette soirée singulière, donnée devant un public très silencieux, voire véritablement recueilli. Avec, en prime, l’avantage d’une distribution particulièrement bien choisie.


Difficile de trouver aujourd’hui, pour la partie de ténor, un Evangéliste qui surpasse Julian Prégardien, idéal de luminosité, de flexibilité et surtout d’intelligibilité du texte, au point qu’il n’est jamais nécessaire, en l’écoutant, de jeter le moindre coup d’œil au surtitrage. On retrouve également avec plaisir la basse Hanno Müller‑Brachmann, au timbre riche et à la diction exemplaire. Très belles interventions aussi de l’alto Olivia Vermeulen, au timbre attachant, avec de superbes variations de couleur et une grande élégance de phrasé. En revanche, Julia Lezhneva, égérie très prisée du monde baroque paraît ici un peu déplacée, avec une voix au grain acide et des crispations qui la pénalisent sans doute moins dans les parties plus virtuoses qu’elle chante habituellement. Et puis il y a le merveilleux Collegium Vocale de Gand, toujours aussi idoine dans cette musique : des voix lumineuses qui donnent à la polyphonie un relief saisissant. De quoi regretter d’autant plus que la soirée se limite aux seules Cantates I, II, III et VI, nous privant de quelques pages chorales superbes, dont le jubilatoire « Ehre sei dir, Gott gesungen ».


De la part d’Iván Fischer, on attendait ici une lecture vive, analytique, précise, voire joviale, dans le sillage de ses interprétations habituelles. Or il s’agit manifestement de tout autre chose. Certains membres de l’Orchestre du Festival de Budapest semblent s’être pris d’une passion pour les instruments d’époque : ainsi, ce ne sont pas seulement trois trompettes naturelles qui prennent place sur le plateau, mais un assortiment complet de bois à l’apparence ancienne. La longue séance d’accord préalable – il en faudra une avant chaque cantate – laisse augurer de sonorités très « Concentus Musicus » et, de fait, l’on se retrouve brutalement plongé dans une esthétique rappelant bien davantage la physionomie des premiers enregistrements d’Harnoncourt que ce que l’on serait en droit d’attendre de l’orchestre moderne annoncé.


C’est donc tout un monde de sonorités davantage nasillardes que boisées, avec une propension aux intonations douteuses qui dépasse parfois nettement les limites du supportable, en particulier dans une Sinfonia qui agace l’oreille, les deux oboi da caccia n’ayant manifestement pas la même perception du diapason que leurs collègues : une bergerie rustique, certes, mais à ce point... On admire d’autant plus Julian Prégardien, capable de chanter avec une justesse irréprochable son aria « Nun mögt ihr stolzen Feinde schrecken » juste à côté d’un tel marécage sonore. Certes, pourquoi pas des instruments anciens dans Bach, et il existe aujourd’hui des ensembles spécialisés qui en font un usage tout à fait convaincant, du moins au disque. Mais lorsqu’il s’agit simplement de s’y essayer sans en maîtriser véritablement les exigences, le résultat paraît surtout relever d’un amateurisme contestable. Le plus curieux restant qu’Iván Fischer semble ici s’en accommoder sans broncher. Mention honorable néanmoins pour les trompettes, qui s’en tirent relativement bien. En revanche, les phrasés du violon solo dans « Schliesse, mein Herze, dies selige Wunder », à force de peu vibrer, paraissent singulièrement geignards. Le mariage de la voix d’alto avec le traverso colla parte fonctionne heureusement de manière bien plus poétique et convaincante dans « Schlafe, mein Liebster, geniesse der Ruh ».


En définitive, un accompagnement d’orchestre frustrant : certains détails sont soigneusement soulignés, d’autres laissés à l’état d’ébauche, voire affichent un certain laisser‑aller généralisé, au nom d’une « authenticité » qui a bon dos. Le contraste avec l’impeccable discipline du chœur n’en est que plus frappant. Moins qu’une interprétation cohérente, on assiste ainsi à une étrange cohabitation entre des voix de haut vol et un bizarre laboratoire orchestral, attelage peu probant, de surcroît imposé au public sans mise en garde préalable, et à des tarifs au guichet a priori peu compatibles avec de telles prises de risque.



Laurent Barthel

 

 

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