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La fin de l’Histoire ?

Paris
Opéra Bastille
11/11/2025 -  et 15, 18*, 21, 24, 27, 30 novembre 2025
Richard Wagner : Die Walküre
Stanislas de Barbeyrac (Siegmund), Christopher Maltman/James Rutherford* (Wotan), Günther Groissböck (Hunding), Elza van den Heever (Sieglinde), Tamara Wilson (Brünnhilde), Eve‑Maud Hubeaux (Fricka), Louise Foor (Gerhilde), Laura Wilde (Ortlinde), Marie‑Andrée Bouchard-Lesieur (Waltraute), Katharina Magiera (Schwertleite), Jessica Faselt (Helmwige), Ida Aldrian (Siegrune), Marvic Monreal (Grimgerde), Marie‑Luise Dressen (Rossweise)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Pablo Heras-Casado (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décors), Ingo Krügler (costumes), Michel Bauer (lumières), Sarah Derendinger (vidéo), Bettina Auer (dramaturgie)


(© Herwig Prammer/Opéra national de Paris)


Après un Or du Rhin raté, une Walkyrie peu réussie. Certes on salue chez Calixto Bieito une direction d’acteur plus affinée que dans le Prologue, mais le concept reste toujours aussi critiquable. Le Big‑Data de Wotan, qui devait lui assurer la toute‑puissance, notamment par un système de surveillance omniprésent, finit par s’effondrer, avec, à l’acte III, des images de guerre nucléaire, de catastrophe numérique, du monde d’avant également. C’est la fin de l’Histoire. Le dieu en est réduit à aligner des masques à gaz sur la scène. La fin de la sienne aussi, lorsque Brünnhilde, auquel l’unissait un lien de violence quasi incestueuse, ne lui obéit plus après avoir découvert l’amour – on la voit même, à la fin de l’Annonce de la mort, embrasser goulument Siegmund. C’est ainsi qu’évolue la fille à papa qui pousse son cri de guerre en chevauchant un cheval‑bâton. La suite nous dira si l’humanité peut encore être sauvée, quand tout ce monde d’humanoïdes a fait faillite – il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’humains fabriqués, comme les Walkyries, on voit aussi le robot E‑Doggy. Jusque‑là, on peut, sinon adhérer, du moins tolérer. Mais comment admettre que Wotan tue Siegmund ? Que l’emprise du père sur la fille soit telle qu’elle soit tentée de le tuer ? Que Brünnhilde apprenne à Sieglinde qu’elle attend un enfant alors que celle‑ci est quasiment prête à accoucher ? Le metteur en scène veut faire passer l’incohérence pour de l’originalité. Et l’on n’en peut plus de cette débauche de vidéos, de cette omniprésente structure métallique. Quant aux fumées de la fin, elles sentent fort le plagiat de la production de Patrice Chéreau. Un Ring de notre temps ? Pas vraiment : c’est le futurisme du pauvre. Et l’on n’accusera pas, en tout cas, Alexander Neef de n’avoir pas eu, comme souvent, la main heureuse : cette Tétralogie date de l’ère Lissner et n’avait pu être présentée pour cause de Covid.


La musique nous rembourse-t-elle ? Pas du côté de la fosse. Les premières mesures de l’orage montrent que Pablo Heras‑Casado, si remarquable dans d’autres répertoires, n’a pas la tête épique. Les louables intentions chambristes conduisent malheureusement à un lissage des plans, rien ne ressort, les timbres s’émoussent et, surtout, le théâtre disparaît, à l’exception de quelques moments de grâce à l’acte II. Dommage : l’ensemble de la distribution, non sans accuser quelques faiblesses, tient bien son rang. A Salzbourg, Stanislas de Barbeyrac, dans l’acte I en concert, promettait un grand Siegmund. Il vient de le confirmer, avec une déclamation encore plus affûtée pour son récit : certes moins héroïque que d’autres, il campe un Wälsung belcantiste, parfaitement projeté néanmoins, tel qu’aucun ténor français ne l’avait incarné depuis Georges Thill. Il lui faudrait, pour former un couple assorti, une Sieglinde plus irradiante que la vocalement irréprochable mais toujours trop froide Elza van den Heever. On l’a mariée – de force – au Hunding de Günther Groissböck, visiblement nostalgique des violences du Troisième Reich ou de la RDA, qui donnerait davantage la mesure de sa noirceur si l’on ne situait pas les deux premières scènes à mi‑hauteur de la structure métallique. Au Walhalla, après la défection de Iain Paterson, James Rutherford succède à Christopher Maltman en Wotan. Il manque de puissance et de grave, dieu fragile et déchu, dépassé par ses propres actes, mais il conduit bien sa voix, avec un récit et des adieux dignement phrasés, sans qu’elle se fasse violence dans le courroux. Depuis sa fâcheuse Amnéris, Eve‑Maud Hubeaux a ressoudé ses registres, Fricka impérieuse et provocante, à la ligne tenue, seulement un peu monolithique là où on l’attendrait plus subtilement venimeuse. Quoi qu’il en soit, c’est la Brünnhilde de Tamara Wilson qui rejoint sur les hauteurs le Siegmund de Barbeyrac, une vraie voix wagnérienne, homogène et corsée, d’une jeunesse insolente, ayant les aigus du cri de guerre, le bas médium de l’annonce de la mort et le grave du début de la dernière scène. L’endurance va de pair avec la noblesse du style : la Walkyrie telle qu’on la souhaite. Ses sœurs forment aussi un bel ensemble.



Didier van Moere

 

 

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