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Jupiter sauve la soirée Baden-Baden Festspielhaus 11/02/2025 - Richard Wagner : Eine Faust-Ouvertüre
Edvard Grieg : Concerto pour piano en la mineur, opus 16
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie n° 41 « Jupiter », K. 551 Jan Lisiecki (piano)
Wiener Symphoniker, Petr Popelka (direction)
 P. Popelka
Les habitués du Festival de Bregenz connaissent bien les Wiener Symphoniker, sa phalange attitrée chaque été depuis sa fondation. En revanche, il est bien plus rare de pouvoir écouter cet orchestre en concert dans nos contrées, et donc de pouvoir réellement juger de ses caractéristiques et particularités, ce qu’à Bregenz, ni l’amplification de rigueur en plein air sur la Seebühne, ni même l’acoustique un peu problématique de la fosse du Festspielhaus, ne permettent objectivement de faire. Ce passage à Baden‑Baden, dans le cadre d’une longue tournée européenne en compagnie de trois pianistes différents, sous la direction du chef tchèque Petr Popelka, nouveau directeur musical de la formation, est donc une excellente occasion de préciser un peu ses impressions.
Première constatation : les Viennois ont été à toutes les époques enclins à dénigrer, ou du moins à relativiser, les mérites de leur « deuxième » orchestre, donc par rapport aux Wiener Philharmoniker. Peut‑être moins quand des chefs aussi prestigieux que Karajan, Sawallisch ou Philippe Jordan s’en sont occupés, mais enfin, quand même... Et, ce soir, il serait effectivement difficile de ne pas leur donner raison, alors même qu’à la lecture des noms des musiciens sur le programme – et c’est d’ailleurs très surprenant pour un orchestre moderne –, il s’agit d’une phalange demeurée d’un recrutement essentiellement autrichien. Une identité viennoise parfois caricaturale (le hautbois solo a tout d’un chalumeau nasillard), des cordes restées d’une matité particulière, en fait assez unique en son genre, et à laquelle il faut s’habituer (ni Amsterdam ni Dresde, autres exemples de cordes patinées, n’ont ce caractère étrangement sourd), et puis aussi quelques premiers pupitres de la petite harmonie tout juste corrects (flûte, basson), voire des cuivres pas toujours infaillibles.
Proposition intéressante pour commencer, avec la rare Ouverture de Faust de Wagner, une œuvre de jeunesse qui condense en fait un projet de Faust‑Symphonie en plusieurs mouvements, jamais mené à terme. Achevée en 1840, donc peu avant que Wagner commence à composer Le Vaisseau fantôme, on y décèle déjà des traits wagnériens caractéristiques, mais aussi de forts restes d’emprise de Weber et Marschner. Un héritage d’opéra romantique allemand dont Wagner cultive essentiellement ici le côté le plus sombre, notamment au début, avec beaucoup de traits dévolus aux contrebasses et aux cuivres graves. Dix minutes d’un travail thématique intéressant, qui augure déjà d’une tendance aux motifs conducteurs bien caractérisés, avec sans doute ici les traits d’un Faust vieilli et désabusé, plus loin la candeur d’une Gretchen, et enfin une conclusion plus conventionnelle. Une bonne carte de visite sonore pour les Wiener Symphoniker, que Petr Popelka semble avoir bien en main, même si quelques scories ici ou là font un peu désordre (un rien de schlamperei viennoise, sans doute, terme difficilement traduisible, mais effectivement de l’ordre d’une négligence tolérée, avec un certain amusement fataliste).
Concerto pour piano ensuite, et celui de Grieg, donc un cheval de bataille d’hier, beaucoup moins souvent joué en public à notre époque mais resté populaire, ce qui explique aussi peut‑être un Festspielhaus comble, et d’un public apparemment moins initié que d’habitude. Une partition qu’en tout cas tout le monde a bien dans l’oreille, ce dont le jeune pianiste canadien Jan Lisiecki aurait sans doute dû garder à l’esprit, en travaillant un peu mieux au préalable une exécution qui reste d’apparence relâchée, voire incohérente, avec de nombreux traits boulés, un toucher désagréablement dur, une introduction carrément ratée (pas si difficile pourtant), et une impression globale de rester au ras des notes, avec pour seule véritable option interprétative des passages piano délicatement perlés, voire murmurés, au cours desquels le pianiste se tourne ostensiblement vers le public les yeux fermés. Une contre‑performance tellement agaçante qu’on en oublie d’écouter un orchestre qui, de toute façon, paraît surtout gérer les affaires courantes (et avec une flûte vraiment pas belle du tout). Bref, un moment de routine à oublier. En bis, un Quatrième Prélude de Chopin, compositeur que Lisiecki continue à jouer plutôt bien, mais alors qu’il avait déjà interprété le Onzième Prélude en bis lors de son concert précédent ici l’an dernier (un peu plus de variété dans ce genre de proposition serait là aussi souhaitable).
C’est donc d’humeur morose que l’on se réinstalle à sa place après l’entracte, mais là, heureusement, la Symphonie « Jupiter » nous révèle enfin un orchestre dans son élément. Manifestement, les cordes ont un véritable patrimoine mozartien dans leurs gènes, et d’une authenticité qui dépasse de loin les placages superficiels de l’historiquement informé. Une interprétation qui coule de source, d’une transparence limitée par la matité de cordes en effectif abondant (un peu trop riche ?), mais qui avance bien, Petr Popelka imposant partout des tempi raisonnablement vifs. Quelques coquetteries peu utiles dans le Trio du Menuet, mais sinon sensiblement partout une lecture qui relève de l’évidence, attachante visite guidée de l’un des premiers grands monuments symphoniques du répertoire, que l’on suit avec grand plaisir.
Deux bis d’orchestre en tournée pour terminer, visant manifestement à souligner l’identité Mitteleuropa de l’orchestre : une délicieuse Pizzicato‑Polka et une Cinquième Danse hongroise de Brahms aux rebonds plutôt idiomatiques.
Laurent Barthel
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