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Energie et musicalité : un chef en pleine maturité Strasbourg Palais de la musique 11/14/2025 - Felix Mendelssohn : Ein Sommernachtstraum, opus 61 (extraits)
Bernd Alois Zimmermann : Concerto pour trompette « Nobody knows the trouble I see »
Jean Sibelius : Symphonie n° 5, opus 82
Lucienne Renaudin Vary (trompette)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Jaime Martín (direction)
 J. Martín (© David Amiot)
On a eu peu l’occasion d’entendre le chef espagnol Jaime Martín ces dernières années dans nos contrées, mais on gardait de lui le souvenir d’un maître d’œuvre efficace doublé d’un fin musicien, notamment après un concert Mendelssohn particulièrement réussi, où il dirigeait l’Academy of St Martin in the Fields au Festspielhaus de Baden‑Baden, en 2016. Une soirée entièrement consacrée à l’auteur du Songe d’une nuit d’été, fait rare, et qui rendait pleinement justice à son écriture symphonique élégante mais très difficile à équilibrer. Ancien flûtiste, Jaime Martín était encore un chef peu aguerri, qui remplaçait Neville Marriner, décédé depuis peu. Mais il émanait déjà de lui une sorte de tranquille évidence, que l’on retrouve pleinement ce soir, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.
Mendelssohn à nouveau, mais confié ici à une formation de grand format, forcément plus lourde. Ensemble inadéquat ? La comparaison est impossible, tant notre souvenir du Scherzo dirigé par Jaime Martín à Baden‑Baden reste prégnant, avec la flûte lumineuse de Michael Cox qui entraînait l’ensemble dans une étourdissante dentelle aérienne. Ici, le Scherzo est toujours finement dirigé, aussi aéré que possible, mais repose sur une flûte beaucoup plus banale. Le Philharmonique de Strasbourg s’en tire néanmoins avec les honneurs, y compris dans une Ouverture parfois prosaïque en raison d’une petite harmonie incertaine, mais que Martin mène à bon port en préservant l’essentiel du potentiel poétique de cette œuvre écrite par un surdoué de 17 ans. La Marche nuptiale est prise au premier degré, mais les cuivres y font de réels efforts pour ne pas détoner. En revanche, le Notturno déçoit, attaqué beaucoup trop fort, par deux cors qui manquent singulièrement de retenue rêveuse.
Peu joué, parce qu’il requiert un protagoniste d’une virtuosité exceptionnelle, le Concerto pour trompette « Nobody knows the trouble I see » de Bernd Alois Zimmermann confronte son soliste à un orchestre atypique, élargi en un véritable big band – batterie, guitare, jusqu’à un orgue Hammond –, environnement dense, heurté, parfois d’une ironie caustique. L’œuvre est une sorte de collage élaboré, où des techniques d’écriture dodécaphonique coexistent constamment avec l’ancrage tonal du spiritual qui la sous‑tend et lui donne son titre. Quinze minutes à peine, mais d’une brièveté salutaire lorsque l’on mesure le défi physique et mental imposé à l’interprète. On y attendait David Guerrier, l’actuel trompette solo de l’Orchestre philharmonique de Berlin, finalement remplacé pour raisons d’agenda par Lucienne Renaudin Vary, toute jeune, menue, pieds nus sur scène, décidée à affronter crânement une partition où il faut concilier la précision maniaque d’un texte très écrit avec l’entretien d’un véritable souffle de jazz, swing implicitement revendiqué par le compositeur. Mais si le début convainc, l’endurance exigée par la longue section médiane fait défaut. A force de tricoter d’interminables traits de triolets, la projection finit par s’amenuiser, et le climax central, pivot expressif où la trompette devrait caracoler au‑dessus d’un orchestre saisi de frénésie, n’est plus qu’esquissé. La fantaisie de l’interprète séduit, le timbre de son instrument est très riche, mais l’ensemble reste techniquement en retrait, avec des nuances et des dynamiques parfois traitées de façon arbitraire. Certes, à ce niveau de difficulté du texte écrit, il faut parfois renoncer à tout respecter, mais entendre, dans le solo final, un aigu noté pp surgir fortissimo laisse tout de même perplexe.
Sibelius en seconde partie, musique qui suscite des attentes pouvant diverger radicalement d’un auditeur à l’autre. Timbres, expressivité, narrativité, modernité... toutes les symphonies du maître finlandais posent leurs énigmes, et chaque chef doit trouver sa propre manière d’y répondre, sans jamais pouvoir espérer un consensus. Ce qu’on admire chez Jaime Martín, dans cette Cinquième Symphonie aux trois mouvements contrastés, c’est d’abord son sens de l’avancée, ce tuilage constant qui fait naître des progressions longues, cohérentes, d’un matériau qui peut si vite se désunir. Tout semble ici procéder naturellement de ce qui précède, soutenu par des tempi relativement vifs, particulièrement convaincants dans un deuxième mouvement réellement joué Allegretto. Observer le chef aller chercher souplement, avec ou sans baguette, exactement ce qu’il veut dans la masse orchestrale est un plaisir en soi : une gestique qui rend cette musique immédiatement lisible et aide à appréhender une œuvre pouvant dérouter à la première écoute.
On vivrait là une interprétation réellement captivante si l’orchestre avait des moyens techniques à la hauteur de l’enjeu. Or ce qui frappe, surtout dans le premier mouvement, c’est la timidité expressive de vents trop limités, sans l’aisance, la musicalité ni, surtout, l’indispensable écoute mutuelle qui permettrait d’élever la conception proposée au niveau attendu. Le discours reste d’un intérêt trop variable, alors même que le chef se dépense sans compter pour lui donner une continuité organique. Problème également de gradations dynamiques, avec des cordes mais surtout des cuivres qui jouent trop fort, ce qui réduit drastiquement la marge de manœuvre. Il est significatif que les seules progressions véritablement réussies du premier mouvement soient celles qui suivent le très long passage où les cordes doivent tenir un triple piano pendant quatorze mesures, indication difficile à ne pas respecter, et qui force enfin à calibrer correctement les équilibres. Soit dit en passant, c’est aussi là que la partition requiert du basson un solo indiqué d’abord lugubre, puis patetico, qualificatifs qui ne correspondent guère à ce que l’on entend. Finale au Largamente immanquablement accrocheur, impossible à rater dès lors que le chef possède un geste ample, ce qui est son cas, mais compromis par des cuivres aux intonations approximatives et d’une regrettable absence d’homogénéité de timbre. L’ovation n’en est pas moins conséquente, pour un chef qui a su séduire aussi bien son public que des musiciens qui ont manifestement apprécié l’expérience.
Laurent Barthel
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