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Salonen le magicien Paris Philharmonie 11/12/2025 - et 13 novembre 2025 Johann Sebastian Bach : Partita pour violon seul n° 3, BWV 1006 : 1. Prélude
Esa-Pekka Salonen : Fog
Serge Prokofiev : Concerto pour piano n° 2, opus 16
Richard Wagner : Tristan und Isolde : Prélude et Mort d’Isolde
Alexandre Scriabine : Poème de l’extase, opus 54 Yuja Wang (piano), Iris Scialom (violon)
Orchestre de Paris, Esa‑Pekka Salonen (direction)
 E.‑P. Salonen (© Mathias Benguigui)
Les concerts d’Esa-Pekka Salonen et de l’Orchestre de Paris ont toujours été de grands moments. Les bans étant publiés, on attend avec impatience le début de son mandat. Mais il dirige déjà régulièrement ses futurs musiciens et l’on sent bien que le courant passe, comme vient de le prouver leur dernier concert, dès ce Fog du maître lui‑même, sorte de paraphrase sue le Prélude de la Troisième Partita pour violon seul de Bach, joué très – ou trop – vite du haut du balcon par la jeune Iris Scialom, révélation instrumentale des Victoires de la musique 2025. L’œuvre est un hommage pour ses 90 ans à Frank Gehry, dit « Foggy », architecte du Walt Disney Concert Hall de Los Angeles inauguré en 2003. La Prélude de Bach surgit ou se dérobe, détourné, déconstruit, récupéré par des rythmes syncopés, en un kaléidoscope chatoyant ou rutilant, fondé sur la notation musicale des lettres de son prénom et de son nom. C’est brillant, jouissif, euphorique.
Yuja Wang empoigne ensuite le Deuxième Concerto de Prokofiev, le plus profus, le plus diabolique des cinq. On est sidéré par la virtuosité délirante de la pianiste, que rien ne semble arrêter, à commencer par la cadence de l’Andantino. Allegretto initial, qu’elle tire parfois vers Rachmaninov. Le Scherzo. Vivace a tout, sous ses doigts, d’une course à l’abîme. Mais on attendrait ici, comme dans l’Intermezzo, plus de noirceur sarcastique, de la part du chef aussi, qui opte, du début à la fin, pour des couleurs sombres magnifiquement mises en valeur par les musiciens, toujours attentif à maintenir sans peser – ce n’est pas toujours le cas – la balance avec le piano. Il reste que la sonorité de la pianiste reste un peu monochrome – même si on ne les attend pas forcément ici, on n’oublie pas les raffinements coloristes que l’inclassable Daniil Trifonov parvenait à tirer de l’œuvre, dans une interprétation certes singulière, presque scriabinienne. La pianiste chinoise continue de nous épater, jusqu’au vertige, dans l’Allegro molto du Huitième Quatuor de Chostakovitch, transcrit par le pianiste israélien Boris Giltburg.
Avouons que nous retiendrons surtout la seconde partie du concert. On se souvient encore des enchantements que distillait à Bastille le Tristan de Salonen. Le charme opère toujours dans un Prélude aux nuances infinies, au plus près des indications de Wagner, avec des premières mesures magiques. La souplesse du geste – Wieland Wagner l’eût classé parmi les chefs « méditerranéens », au rang desquels il comptait un Karl Böhm – ne nuit jamais à l’intensité de l’expression, avec un crescendo du désir d’une tension extrême. On a un peu moins aimé le Liebestod, comme s’il nous y manquait la voix.
Salonen enchaîne directement le Poème de l’extase de Scriabine et cela fonctionne parfaitement. On mesure ainsi tout ce que le Russe doit à Tristan, que le Poème semble prolonger. Et le chef finlandais réussit, comme peu, à allier la plasticité, la magie des couleurs et la sensualité éruptive, là où beaucoup exhalent des touffeurs un peu lourdes. Il est rare d’entendre l’orgie de volupté baigner dans une telle clarté. Voilà Dionysos et Apollon réunis, avec un orchestre galvanisé. Comme on aimerait l’entendre diriger la Troisième Symphonie de Szymanowski...
Didier van Moere
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