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Quand la Maréchale perd sa voix

Zurich
Opernhaus
09/21/2025 -  et 26 septembre, 1er, 5, 14, 17*, 21, 26 octobre 2025
Richard Strauss : Der Rosenkavalier, opus 59
Diana Damrau, Kiandra Howarth (Die Feldmarschallin Fürstin Werdenberg), Günther Groissböck (Der Baron Ochs auf Lerchenau), Angela Brower (Octavian), Bo Skovhus (Herr von Faninal), Emily Pogorelc (Sophie), Christiane Kohl (Jungfer Marianne Leitmetzerin), Nathan Haller (Valzacchi), Irène Friedli (Annina), Rebeca Olvera (Eine Modistin), Johan Krogius (Der Haushofmeister der Feldmarschallin, Ein Wirt), Stanislav Vorobyov (Ein Polizeikommissar), Omer Kobiljak (Ein italienischer Sänger), Max Bell (Ein Notar), Daniel Norman (Der Hofmeister bei Faninal)
Chor der Oper Zürich, Kinderchor, Klaas‑Jan de Groot (préparation), Orchester der Oper Zürich, Joana Mallwitz (direction musicale)
Lydia Steier (mise en scène), Gottfried Helnwein (décors et conception esthétique générale), Dieter Eisenmann, Rosa Maria Presta (collaboration aux décors), Louise‑Fee Nitschke (collaboration aux costumes), Tabatha McFadyen (chorégraphie), Elana Siberski (lumières), Tabea Rothfuchs, Ruth Stofer (vidéo), Kathrin Brunner (dramaturgie)


(© Matthias Baus)


Des murmures s’élèvent dans la salle de l’Opernhaus : le directeur de l’institution lyrique zurichoise apparaît sur scène, un micro à la main. Le public a d’ores et déjà compris qu’il va annoncer une mauvaise nouvelle. Diana Damrau s’est réveillée sans voix, elle ne pourra pas chanter le rôle de la Maréchale. Elle sera remplacée par Kiandra Howarth, arrivée à Zurich le jour même. Diana Damrau jouera son personnage sur scène, alors que sa remplaçante chantera le rôle à une extrémité du plateau. La déception du public de ne pas pouvoir entendre la toute première Maréchale de la célèbre soprano allemande est vite balayée par le fait que la représentation est sauvée, avec un fort sentiment de gratitude envers Kiandra Howarth. Laquelle fera bien plus que simplement sauver le spectacle, impressionnant par sa musicalité, l’élégance et l’homogénéité de son timbre, son chant sûr, précis et chaleureux, la luminosité de ses aigus et les nuances de son interprétation, traduisant parfaitement toute la mélancolie et la vulnérabilité mais aussi la bienveillance de son personnage. Une prestation qui a été très chaleureusement applaudie au rideau final.


Cette nouvelle production zurichoise du Chevalier à la rose marque le début du mandat du nouvel intendant, Matthias Schulz, arrivé tout droit de Berlin. La metteur en scène Lydia Steier a clairement opté pour une conception burlesque de l’ouvrage – mais le chef‑d’œuvre de Strauss et de Hofmannsthal n’était-il pas justement une comédie en musique ? – avec cependant une omniprésence de la mort et du temps qui passe, sous forme de photos de crânes. En un mot comme en cent : une production vive et truculente, pleine de couleurs et d’humour, qui respecte parfaitement l’esprit de l’œuvre. Dans le programme de salle, Lydia Steier explique qu’elle a été visuellement séduite par une représentation de Rosenkavalier en 2007 à l’Opéra de Los Angeles, dans des décors de Gottfried Helnwein, alors qu’elle était l’assistante d’Achim Freyer sur le Ring. Pour son spectacle zurichois, elle a voulu reprendre une bonne partie de la scénographie imaginée par le célèbre artiste visuel, connu pour ses peintures photoréalistes souvent dérangeantes et pour ses performances à grande échelle. Ainsi, l’acte I se déroule sur un plateau épuré, meublé simplement d’un grand lit à baldaquin, sur fond bleu clair. On relèvera d’ailleurs les superbes éclairages d’Elana Siberski. Dès le lever de rideau, on voit la Maréchale et Octavian se livrer à des ébats passionnés et très explicites, avant que les parois se resserrent, comme pour évoquer une prison. L’acte II – dans le palais Faninal où trône un immense escalier entouré de nombreuses colonnes, dans des couleurs jaunes et orangées cette fois – est traité de manière particulièrement originale puisqu’Octavian arrive les yeux baissés, l’air renfrogné – il vient de se faire renvoyer par la Maréchale, qui lui demande de jouer les entremetteurs – et tend la rose à Sophie en montrant ostensiblement qu’il s’acquitte d’une véritable corvée, avant de jeter les yeux sur elle et d’être conquis par sa beauté. L’acte III – le moins réussi – tout en rouge lui, a lieu dans une sorte de grand lupanar dans lequel les pratiques SM sont monnaie courante, ce qui n’est pas forcément du meilleur goût. Au centre du plateau, on voit un échafaudage rempli de femmes et sur les murs des portraits de femmes qui finiront par se transformer en crânes. A la fin du spectacle s’avance le lit de l’acte I, dans lequel vont se glisser Octavian et Sophie. Par ailleurs, les costumes bariolés de Louise‑Fee Nitschke, et notamment les immenses chapeaux portés par la plupart des personnages, sont un régal pour les yeux.


Dans la fosse, la direction de Joana Mallwitz suscite d’abord quelques craintes car les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Zurich jouent particulièrement fort, saturant tout l’espace de l’auditoire intimiste, avant que la chef – fort heureusement – ne se concentre sur les détails et les finesses de la partition, mais toujours avec énergie, élan et dynamisme. La distribution vocale mérite tous les éloges, à commencer par le magnifique Octavian d’Angela Brower, au timbre chaleureux et lumineux et à la projection insolente. La Sophie d’Emily Pogorelc séduit tout autant par sa voix pure et rayonnante – malgré quelques soucis d’intonation – que par sa composition de jeune fille malicieuse et impertinente. Dans le rôle du Baron Ochs, qu’il promène sur toutes les grandes scènes depuis des années, Günther Groissböck campe un personnage particulièrement truculent, terriblement envahissant, imbu de sa personne, les mains toujours baladeuses, un bonheur. Face à lui, le Faninal de Bo Skovhus paraît plutôt en retrait. On mentionnera aussi la Maréchale aux gestes expressifs, parfois grandiloquents, de Diana Damrau. Un magnifique spectacle – malgré quelques réserves sur le traitement du dernier acte – qui augure bien du mandat de Matthias Schulz à Zurich.



Claudio Poloni

 

 

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