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Mit Humor ?

Lyon
Palais Bondy, Salle Molière
10/14/2025 -  
Ruth Crawford Seeger : Préludes n° 1, n° 6 et n° 8
Robert Schumann : Humoreske,opus  20
Ludwig van Beethoven : Douze Variations sur une danse russe du ballet « Das Waldmädchen », WoO 71
Serge Rachmaninov : Sonate pour piano n° 2 en si bémol mineur, opus 36

Roman Borisov (piano)


R. Borisov (© Nikolaj Lund)


Après l’impression mitigée laissée par son premier disque pour l’éditeur Alpha, on est heureux de pouvoir entendre en concert le jeune pianiste russe Roman Borisov. L’Auditorium-Orchestre National de Lyon a en effet l’excellente idée de proposer pour cette saison 2025‑2026 une série de récitals et de séances de musique de chambre « délocalisée » dans la salle Molière, qui offre pour cela un cadre plus approprié que les vastes espaces de l’Auditorium Maurice‑Ravel.


Présentées dans le cadre du programme « Unanimes ! Avec les compositrices », qui, depuis plusieurs années, s’attache à faire entendre les œuvres des compositrices longtemps négligées, les trois Préludes de l’Américaine Ruth Crawford Seeger (1901‑1953) sont une découverte, mais pas une révélation. D’une indéniable modernité, quelque part entre Debussy (on croit entendre des échos de la « Danse de Puck » dans le Prélude n° 8) et surtout Schönberg (pour la radicalité atonale étonnante, si l’on songe que ces pièces datent des années 1920), ils sonnent de manière bien aride et ne sont pas des plus gratifiants. Roman Borisov fait ce qu’il peut pour les animer et leur donner de la couleur, et l’on admire notamment sa manière de phraser avec délicatesse l’Andante Mystico du Prélude n° 6, le plus attrayant de cette courte sélection.


On revient en terrain plus familier et plus attrayant avec l’Humoresque de Schumann, entamée directement après le dernier prélude de Crawford Seeger. Cette page est certainement l’une des plus radicales, des plus instables et, par conséquent, des plus difficiles à saisir du compositeur, à égalité sans doute avec le cycle des Novelettes qui porte le numéro d’opus suivant. Reflet des états d’âme toujours changeants de Schumann, à la fois déconcertante dans sa structure et puissamment unifiée dans son climat, la pièce peut égarer bien des interprètes et dérouter bien des auditeurs. Dès la première section, marquée Einfach (« simple »), Borisov y trouve pour sa part le ton juste, en l’abordant dans une sonorité douce et jamais mordante, soutenue par des basses fermes et sans pesanteur, et dans un tempo mesuré et très souple. Tout au long des six sections, il s’avère un guide idéal dans ce labyrinthe de mélodies et de sentiments, soulignant toutes ses beautés kaléidoscopiques, dont il traduit les contrastes et les transitions, les sautes d’humeur et les retours en arrière, en y apportant toujours de nouveaux éclairages. Dans les premières sections, il privilégie une dimension ludique et lyrique, un mouvement enfantin et frémissant, où la violence des ruptures est atténuée et les angoisses point trop creusées, renouant avec l’esprit de l’enregistrement historique de Wilhelm Kempff. Le discours poétique, admirablement conduit, gagne néanmoins en noirceur et en densité au fil de l’œuvre, ainsi qu’il se doit, particulièrement dans l’avant‑dernière section marquée Mit einigem Pomp (« avec une certaine pompe »), où le Steinway vibre avec une intensité peu commune, et dans une conclusion d’une longueur de chant impressionnante.


De même que la pertinence d’enchaîner les austères préludes de Crawford Seeger avec une œuvre aussi effusive et fantasque que l’Humoresque peut échapper à l’auditeur, on ne comprend guère la juxtaposition proposée par la seconde partie du programme, celle d’une œuvre de pur divertissement de Beethoven avec le monument du romantisme russe tardif qu’est la Seconde Sonate de Rachmaninov. Peu importe au fond, bien qu’il faille s’efforcer de cloisonner l’écoute et de ne pas chercher un lien entre les deux (est‑ce la prétendue « danse russe » qui sert de prétexte à Beethoven ?). Les variations de Beethoven sont ainsi jouées avec une habileté digitale sans faille et sans lourdeur. Si quelques ombres en mineur passent au milieu du cycle, comme il se doit dans ce genre varié, Borisov y trouve surtout prétexte à briller de façon sympathique, mais un peu cabotine. Il souligne ainsi les effets comiques de certains passages et vient à incarner un Beethoven juvénile et fringant, dans une œuvre qui est probablement le reflet d’une improvisation sur un air à la mode de la coqueluche pianistique du public viennois des années 1795‑1798.


D’une toute autre nature est la puissante Seconde Sonate de Rachmaninov, déjà entendue quinze jours plus tôt dans cette même salle sous les doigts d’Alexeï Tartakovsky. Là où ce dernier s’égarait quelque peu parmi les défis instrumentaux de cette œuvre redoutable, Borisov offre une version plus dominée, en maintenant la tension au long des trois mouvements. Sanguine et extravertie, son interprétation ne craint pas d’en faire trop, dès le grand geste introductif, d’une puissance stupéfiante, mais aussi en allongeant autant que possible le son et les phrasés dans le deuxième thème du premier mouvement, presque emphatique, puis dans un mouvement lent (Non allegro - Lento) aux couleurs saturées dignes d’un Technicolor et d’un lyrisme quasi hollywoodien. Cette vision d’un goût parfois discutable mais très assumée, culmine dans la démonstration du Final Allegro molto, lui aussi d’une grande ampleur sonore et dramatique, et dont les emportements restent toujours lisibles et épargnés par toute forme de crispation.


En définitive (et en passant sur deux bis passablement artificieux et sans grand intérêt – une pièce jazzistique de Kapoustine sans doute et la « Canzona serenata » des Mélodies oubliées opus 38 de Medtner), le récital témoigne des qualités pianistiques et musicales de Roman Borisov, interprète d’une versatilité et d’une poésie indéniables (est‑ce là l’énigmatique Humor schumanienne ?), à qui l’on ne saurait trop conseiller de se garder des griseries virtuoses et des effets faciles que lui permettent ses admirables moyens.



François Anselmini

 

 

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