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Entre introspection et féminisme Paris Opéra Comique 09/28/2025 - et 27, 29* septembre, 1er, 3, 5 octobre 2025 Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann Michael Spyres (Hoffmann), Héloïse Mas (La Muse, Nicklausse), Amina Edris (Stella, Olympia, Antonia, Giulietta), Jean‑Sébastien Bou (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto), Raphaël Brémard (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Nicolas Cavallier (Luther, Crespel), Matthieu Justine (Nathanaël, Spalanzani, Le capitaine des sbires), Matthieu Walendzik (Hermann, Schlémil), Marie-Ange Todorovich/Sylvie Brunet-Grupposo* (La voix de la mère)
Lotte de Beer (mise en scène), Christof Hetzer (décors), Jorine van Beek (costumes), Alex Brok (lumières), Peter te Nuyl (réécriture des dialogues, dramaturgie)
Ensemble Aedes, Mathieu Romano (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Pierre Dumoussaud (direction musicale)
 M. Spyres, H. Mas (© DR Stefan Brion)
Resté inachevé, l’ultime ouvrage de Jacques Offenbach continue de susciter les controverses musicologiques, entre différentes éditions critiques. La dernière en date appartient au spécialiste actuel d’Offenbach, Jean‑Christophe Keck, qui propose non pas une version figée et définitive, mais rassemble l’ensemble des sources disponibles : c’est sur cette base que le spectacle réunissant l’Opéra national du Rhin, où il a déjà été donné en début d’année, avec un plateau vocal différent), l’Opéra-Comique et le Volksoper de Vienne a choisi de construire une dramaturgie inédite de l’action, avec des dialogues réécrits par Peter te Nuyl, pour une durée totale du spectacle réduite à 3 heures (entracte inclus).
Ce parti pris a pour conséquence de resserrer le récit autour du chemin initiatique d’Hoffmann, ce qui permet de plonger au cœur de ses tourments intérieurs en liant les tableaux d’une sorte de psychanalyse avec sa muse – ici transformée en ange gardien bienveillant, qui ne se prive pas de réparties ironique et critique. La répétition des schémas obsessionnels du héros conduit la muse à s’interroger sur sa vision de l’idéal féminin, davantage intellectuelle que concrète, Hoffmann préférant se réfugier dans la fantasmagorie, comme un cousin éloigné de Don Quichotte. Ces dialogues très bien écrits apportent une touche féministe très présente mais jamais écrasante, qui colle bien à l’air du temps. On regrette toutefois que la concentration sur le héros se fasse au détriment des personnages secondaires, réduits dès lors à peau de chagrin, d’un point de vue dramaturgique comme musical.
La proposition scénique de Lotte de Beer, directrice artistique du Volksoper de Vienne, plonge l’écrivain Hoffmann en une sorte de cauchemar mental, représenté sous la forme d’une boîte volontairement étroite : est‑ce la représentation de son appartement crasseux, dans lequel il revisite ses désirs inaboutis et son manque d’inspiration artistique ? Quoi qu’il en soit, le début du spectacle sobre et stylisé apparaît trop figé pour convaincre, là où une imagination plus débridée aurait permis de bien distinguer le fantasme du commentaire plus sérieux sur l’action. Après l’entracte, Lotte de Beer prend davantage de risques en impliquant le chœur dans les péripéties, en une direction d’acteur bien réglée. On aime aussi l’idée de la spatialisation de l’Ensemble Aedes en plusieurs endroits de la salle Favart, ce qui permet de se délecter de la précision et de l’écoute mutuelle de cet ensemble vocal, parmi les meilleurs du moment.
La distribution mérite elle aussi tous les éloges, malgré quelques réserves de détail. Michael Spyres incarne un Hoffmann à la fois fragile et ardent, d’une souplesse de phrasé toujours admirable. On aime aussi sa diction française exemplaire et sa projection généreuse, malgré un timbre ingrat dans les accélérations vers l’aigu. La Muse omniprésente d’Héloïse Mas donne à l’ensemble une force de conviction mémorable : ses interventions, tour à tour malicieuses et émouvantes, donnent beaucoup de plaisir tout du long. Que dire, aussi, de la quasi parfaite Amina Edris, qui à l’exception de suraigus métalliques, se distingue par une virtuosité éblouissante, autant que la sincérité poignante de son interprétation ? Quant à Jean‑Sébastien Bou, il brille une fois encore par sa présence théâtrale, sculptant chaque réplique avec un mélange d’humour noir et de menace. Seul le grave le voit quelque peu en difficulté dans les piani, un rien trop sages en comparaison. Parmi les seconds rôles, Matthieu Justine se distingue par son art raffiné des phrasés, à l’inverse du trop sonore Raphaël Brémard, qui déçoit dans ses différentes réparties comiques.
Enfin, il faut souligner toutes les qualités de la direction de Pierre Dumoussaud, en spécialiste reconnu de ce répertoire (voir Fantasio en 2018 et Le Voyage dans la lune en 2021) : la variété de son inspiration se régale des changements d’atmosphère, toujours au plus près de la conduite narrative. Un régal de contrastes virevoltants, au rebond rythmique volontairement architecturé dans les parties solennelles, plus souple et apaisé dans les parties lyriques.
Florent Coudeyrat
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