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Tour de chauffe /tour de force Lyon Auditorium Maurice Ravel 09/25/2025 - Richard Wagner : Tristan und Isolde : Prélude de l’acte I et Mort d’Isolde
Ernest Bloch : Schelomo
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Roméo et Juliette Jian Wang (violoncelle)
Orchestre national de Lyon, Nikolaj Szeps-Znaider (direction)
 N. Szeps-Znaider (© Julien Benhamou)
Un concert au format resserré (environ une heure de musique sans entracte), deux « tubes » symphoniques encadrant une œuvre concertante plus rare, mais confiée à un soliste prestigieux, le tout regroupé sous le titre, un peu racoleur, de « Philtres et amour » : c’est manifestement dans un état d’esprit dynamique et conquérant que l’Orchestre national de Lyon (ONL) a choisi d’ouvrir la saison 2025‑2026.
L’entrée en matière s’avère pourtant laborieuse. Si le fameux accord initial de Tristan et Isolde est bien préparé par l’anacrouse du pupitre de violoncelles, puis énoncé dans tout son mystère par le hautbois de Clarisse Moreau, on sursaute en revanche au bout de quelques secondes à l’écoute d’un premier tutti orchestral pour le moins approximatif. Notre crispation ne fait qu’augmenter à mesure que se poursuit un Prélude qui sonne très dispersé, sinon brusqué. Même si l’on relève quelques acidités fâcheuses dans les bois, le problème réside surtout du côté des cordes, qui n’ont pas le fondu et le fini nécessaires pour rendre justice à cette page parmi les plus extatiques (et érotiques !) de l’histoire de la musique. Ce caractère brouillon et cette fébrilité persistent en dépit des efforts d’un Nikolaj Szeps‑Znaider qui paraît gesticuler et mouliner en vain, sans être suivi par ses musiciens qui jouent chacun de leur côté, même si une certaine amélioration est perceptible dans les dernières mesures. La transition vers la seconde partie du diptyque de concert imaginé par Wagner en 1882 est ainsi mieux réussie : le cor de Grégory Sarrazin entonne avec chaleur le thème de la mort d’Isolde, tandis que les cordes semblent redevenir plus vibrantes et soyeuses sous la baguette de Szeps‑Znaider. Ce dernier prend un peu plus son temps dans sa battue, dans la sculpture des phrasés et dans la construction de la matière sonore. Néanmoins, le lyrisme est toujours court de souffle ; le grain sonore manque de définition, le discours est toujours un peu précipité et ne parvient pas à galvaniser cette « mort d’amour », où l’humanité et la chaleur de la voix d’Isolde font cruellement défaut dans cette version instrumentale. Ce n’est pas la première fois que l’on observe cette difficulté à entrer dans ses concerts de l’ONL, qui manifestement, en cette soirée de reprise, a besoin d’un « tour de chauffe ».
Bien frêle à côté du colosse Szeps-Znaider, mais marchant à pas vifs en portant son magnifique violoncelle Amati, Jian Wang impressionne par son charisme paisible et sa concentration dès son entrée en scène. A peine s’assoit‑il sur sa chaise qu’il semble habité par la musique à venir ; et en effet, dès les premières notes du Lento moderato introductif de la « rhapsodie hébraïque »
Schelomo, on est frappé par la profondeur de sa sonorité (particulièrement dans le registre grave, d’emblée très sollicité), la précision et la célérité de la main gauche et la longueur de son archet. La superbe plainte initiale, qui évoque puissamment le vanitas vanitatum biblique, est bientôt suivie par une première cadence électrisante, d’une virtuosité et d’un engagement superlatifs du violoncelliste chinois. Galvanisé, l’orchestre oublie tout à fait ses hésitations initiales pour se lancer, à la suite d’une Clarisse Moreau encore une fois parfaite, dans l’Allegro aux thèmes inspirés par des airs populaires juifs. On retrouve de même avec plaisir le soin que Szeps‑Znaider met à accompagner ses solistes et à les faire briller. La fièvre du violoncelle se communique sans peine à l’ensemble de l’orchestre, au fil des épisodes tour à tour incantatoires et mélancoliques de la rhapsodie de Bloch, où l’on admire toute l’ingéniosité que met le compositeur à mettre en valeur la partie soliste. En se jouant avec une maîtrise très sûre de toutes les difficultés de la partition, dans ses dialogues avec les vents (mention particulière aux bassons), en fondant enfin son archet dans ceux des premiers violons à l’approche de la conclusion de l’œuvre, Jian Wang réalise pour sa part un véritable tour de force.
Discret et élégant sous les applaudissements de la salle, il impressionne encore au moment du bis : la Courante de la Première Suite de Bach est un choix on ne peut plus traditionnel, mais elle sonne sous cet archet avec une grâce et une précision extraordinaires. Faisant choix d’un tempo particulièrement vif, l’agogique de Jian Wang résout la quadrature du cercle, en trouvant un équilibre parfait entre vigueur « baroqueuse » et lyrisme « romantique ».
Faut-il y voir la fin de l’« échauffement », l’heureux effet du contact avec un soliste aussi enthousiasmant ou celui de l’affinité du chef et de l’orchestre avec ce répertoire ? Toujours est‑il que les problèmes rencontrés dans l’interprétation de Wagner ont totalement disparu dans celle du Roméo et Juliette de Tchaïkovski, compositeur très prisé par Nikolaj Szeps‑Znaider depuis sa prise de fonctions à Lyon. Dès l’introduction, on entend ainsi que tout va mieux, que les cordes sont de nouveau à la fois homogènes et bien différenciées, et que le chef a retrouvé ce mélange d’énergie et de précision qui peut faire songer, dans ce répertoire, à la figure tutélaire d’Igor Markevitch. La dimension narrative de la célèbre « ouverture‑fantaisie » est ici rondement menée et finement caractérisée, avec des effets certes parfois un peu faciles, comme souvent chez Tchaïkovski, mais ici mis en valeur avec tant de relief et de conviction qu’on se laisse aisément convaincre. De l’agitation des cordes évoquant la haine des deux familles à la culmination de la coda funèbre, en passant par les ondoiements du thème amoureux, on ne boude pas son plaisir et l’on se dit que la saison est cette fois bien lancée !
François Anselmini
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