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Un Falstaff abouti et réjouissant Bruxelles La Monnaie 09/21/2025 - et 24, 26, 28, 30 septembre, 2, 4, 7, 9 octobre 2025 Giuseppe Verdi : Falstaff Simon Keenlyside (Falstaff), Lionel Lhote (Ford), Bogdan Volkov (Fenton), John Graham‑Hall (Cajus), Mikeldi Atxalandabaso (Bardolfo), Patrick Bolleire (Pistola), Sally Matthews (Alice), Benedetta Torre (Nannetta), Marvic Monreal (Meg Page), Daniela Barcellona (Mrs. Quickly)
Chœurs de la Monnaie, Emmanuel Trenque (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu*/Ouri Bronchti (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Barbara de Limburg (décors), Joël Adam (lumières)
 (© Clärchen Baus)
La saison commence bien, à la Monnaie, la première de la nouvelle directrice, Christina Scheppelmann, avec cette production de Falstaff (1893), créée à Madrid en 2019, dans une distribution, à quelques exceptions près, différente : un opéra quasiment impossible à détester, un metteur en scène unanimement, ou presque, apprécié et, dans la fosse, comme sur la scène, des valeurs sûres, des musiciens compétents et, pour la plupart, bien connus de la maison. Sans la pandémie, ce spectacle aurait figuré à l’affiche plus tôt, et, d’ailleurs, la Monnaie reprendra, cette saison, deux productions montées, durant cette terrible période, devant un nombre réduit de spectateurs, Norma, du 9 au 31 décembre, et Tosca, du 17 juin au 1er juillet.
Laurent Pelly, qui vient mettre en scène à la Monnaie pour la sixième fois, n’indique pas dans ses notes, reproduites dans le programme, le lieu et l’époque de la transposition, mais la scénographie suggère clairement l’Angleterre, il y a quelques décennies. Nous pensons même à ces anciennes séries humoristiques anglaises, aux couleurs délavées. Le metteur en scène distingue en toute lisibilité le milieu, populaire, de Falstaff et ses comparses, et celui, bourgeois, de Ford et des commères. Le troisième acte attire l’attention par son absence de surnaturel, mais aussi par la manière poétique avec laquelle Barbara de Limburg représente le ciel étoilé – des fenêtres de petites tailles, illuminées. Tout ce beau monde s’anime grâce à une direction d’acteur de haut vol, le metteur en scène dosant l’humour avec goût et finesse. La chute de Falstaff du panier à linge, du haut d’un escalier, ne manque pas de faire sourire.
Voilà en somme une mise en scène de belle facture, sans réelle audace ni grande surprise, mais limpide et cohérente, typique, sur le fond comme sur la forme, de Laurent Pelly, jamais pris en défaut de sens, de beauté et de théâtre. Un bémol, tout de même : les interruptions de plusieurs minutes entre les scènes, pour changer de décor, ce qui brise un peu l’élan, heureusement vite rétabli grâce au savoir‑faire du chef.
La distribution respecte l’esprit de troupe, indispensable dans cet opéra qui ne fonctionne réellement qui si chacun s’insère dans une équipe sans chercher à briller au détriment des autres. Elle comporte une prise de rôle importante, celle de Simon Keenlyside en Falstaff. Le baryton, méconnaissable, grâce à son postiche, sa perruque et ses maquillages, campe assez aisément un personnage convaincant, pas le Falstaff le plus énorme et truculent qui soit, mais un Falstaff drôle, maladroit, humain, sympathique, admirablement chanté, de surcroît. Le chanteur a déjà eu l’occasion d’incarner Ford, un rôle distribué ici à l’excellent Lionel Lhote, une fois de plus merveilleux, de justesse, de maîtrise vocale, la beauté du timbre rehaussant encore le niveau de cette prestation qui n’a pas été, selon nous, suffisamment applaudie lors des saluts.
Nous apprécions aussi le Cajus de John Graham‑Hall, le Bardolfo de Mikeldi Atxalandabaso et le Pistola de Patrick Bolleire, tous les trois au point vocalement, et caractérisant au mieux leur personnage. Bodgan Volkov, ténor raffiné parfaitement dimensionné pour Fenton, et Benedetta Torre, idéale de charme et de finesse pour Nannetta, forment un couple de jeunes amoureux plein de fraicheur et de spontanéité, bien qu’un peu trop discret.
Les commères se démarquent, quant à elles, par leur verve et leur complémentarité, vocale et théâtrale. Comme d’habitude, Sally Matthews se montre compétente et crédible en Alice Ford, elle qui interprète depuis des années des rôles à la Monnaie invariablement de la même façon, ou presque : sans réellement décevoir, sans susciter de grand enthousiasme. Nous retenons plutôt la Meg Page de Marvic Monreal et la Quickly de Daniela Barcellona.
La prestation de haut niveau de l’orchestre, sous la direction impeccable d’Alain Altinoglu, procure de grandes satisfactions, malgré, durant un assez bref moment, au troisième acte, un passage, joué majoritairement aux cordes, qui ne nous a pas paru aussi parfait, lors de la première. Le chef obtient, pour commencer, de belles sonorités, savoureuses, gourmandes, même, mais sachant aussi se montrer acérées. Le jeu d’ensemble se distingue par sa cohésion et sa précision, tandis que les interventions individuelles se démarquent par leur finesse et leur expressivité, et le maestro a l’art, décidément, de mettre vraiment bien en exergue les détails des opéras qu’il dirige. L’orchestre n’accompagne pas seulement, il joue un rôle, acteur de la comédie à part entière. Quant à l’accompagnement des voix, à l’instar de la maîtrise infaillible de l’impulsion et des tempi, ils ne souffrent d’aucun reproche.
Sous cette direction, cette musique s’offre à nous dans toute son originalité et sa nouveauté, bien qu’elle date de largement plus d’un siècle. Et il nous plairait vraiment de voir Alain Altinoglu, à la Monnaie, diriger Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, un opéra qui lui conviendrait certainement à merveille, en regard de cette exécution jubilatoire et de celle, inoubliable, de L’Anneau du Nibelung, les deux saisons précédentes. Saluons enfin les choristes, qui répondent avec vitalité et rigueur à l’orchestre et aux solistes.
Le site de la Monnaie
Sébastien Foucart
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