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Prandi fait vivre l’imagination délurée de Scarlatti Ambronay Abbatiale 09/12/2025 - Alessandro Scarlatti : Il Vespro di Santa Cecilia : « Magnificat », « Cantantibus organis » & « Lauda Jerusalem » – Messa di Santa Cecilia – Te Deum Maria Grazia Schiavo, Carlotta Colombo (soprano), Margherita Maria Sala (alto), Raffaele Giordani (ténor), Alessandro Ravasio (basse)
Coro e Orchestra Ghislieri, Giulio Prandi (direction)

Parmi les compositeurs les plus renommés de son temps, Alessandro Scarlatti (1660‑1725) reste aujourd’hui injustement méconnu, malgré une production considérable dans tous les domaines, particulièrement dédiée à l’opéra (une centaine de titres) et à la musique religieuse. Malgré les efforts de René Jacobs ces dernières années, ornés notamment d’une prestigieuse création scénique à l’Opéra de Paris (avec l’oratorio Il Primo Omicidio), la figure de ce génie reste dans l’ombre de son fils Domenico, dont les sonates pour clavier figurent toujours au répertoire.
On ne peut donc que se féliciter de l’initiative du Festival d’Ambronay de célébrer en grande pompe les trois cents ans de la mort de ce compositeur emblématique de l’école napolitaine, capable de créer un pont entre rigueur contrapuntique et lyrisme opératique (y compris dans ses œuvres religieuses). Le tout premier concert du festival est ainsi entièrement consacré à sa musique, avec les forces bien connues à Ambronay des Ghislieri : en s’adressant au public, son fondateur Giulio Prandi rappelle d’ailleurs que le Centre culturel de rencontre les a très tôt soutenu, en accueillant leur premier concert en dehors d’Italie dès 2012, avant de les inviter régulièrement ensuite (voir notamment en 2014 et 2015). Depuis, le chef italien a fait des débuts attendus à la Scala de Milan, toujours accompagné de son ensemble sur instruments d’époque et de son chœur, démontrant ainsi toute la confiance accumulée avec les années, au concert comme au disque.
 (© Bertrand Pichène)
Giulio Prandi a choisi de centrer ce concert sur la dernière période créative de Scarlatti, celle des années 1720, dont sont issues toutes les œuvres présentées. Plusieurs extraits des Vêpres de sainte Cécile sont ainsi donnés pour chauffer les troupes et entrer immédiatement dans le style virtuose des mouvements d’apparat dont Scarlatti se fait le chantre, en contraste avec des parties plus intimistes. L’une des originalités de la soirée est de fréquemment entendre Scarlatti recourir à l’ensemble des solistes réunis en quintette, offrant des couleurs aussi expressives que soutenues. L’autre particularité de son dernier style est de recourir à une alternance de motifs très courts pour irriguer les morceaux, tous enchaînés sans temps mort. Même si elle n’évite pas quelques banalités par endroits, l’imagination débordante de Scarlatti réjouit tout du long, en ce qu’elle pétille et fourmille d’idées.
La majestueuse et globalement enjouée Messe de sainte Cécile montre d’emblée toute la science de Scarlatti pour l’entremêlement des différentes forces réunies, avec le chœur très sollicité au côté des solistes. Les vocalises omniprésentes dans les verticalités mettent parfois à mal dans le haut niveau de virtuosité requis, à l’instar de la soprano Maria Grazia Schiavo, qui n’évite pas quelques sorties de piste au niveau de la justesse. En dehors de ces imperfections techniques, elle fait valoir un timbre superbe sur toute la tessiture, de même que Margherita Maria Sala, aux graves bien projetés. Si Carlotta Colombo et Raffaele Giordani assurent quant à eux l’essentiel, on aime plus encore la basse incarnée d’Alessandro Ravasio, à l’émission aussi noble que parfaitement articulée. Assurément le chanteur le plus convaincant de la soirée, que l’on espère réentendre très vite.
Si l’orchestre, particulièrement les bois, se montre à la hauteur de l’événement, on note des cordes aiguës un rien timides (à moins que l’acoustique ne soit en cause ?), là où les graves apparaissent plus engagés en comparaison. Mais c’est surtout l’incomparable Chœur Ghislieri qui fait tout le prix de la soirée, avec un niveau d’homogénéité impressionnant de maîtrise, autour de sopranos aussi souples qu’aériennes. On aime ainsi la capacité du chœur à s’envoler dans les virtuosités requises par la partition, tout particulièrement la dernière partie très réussie du Credo. Chacune des interventions expressives est un moment de grâce particulièrement rendu par la direction toute d’équilibre et de précision de Prandi, très attentif aux nuances – notamment la construction étagée du tendre et hypnotique Agnus Dei, rythmé par d’énigmatiques pauses.
La soirée se conclut avec la création mondiale du Te Deum, récemment retrouvé dans les archives italiennes, qui poursuit sur les mêmes cimes d’inspiration, avant que la reprise du Magnificat initial, en bis, ne vienne apporter un dernier moment d’éclat à ce concert très réussi.
Le site du Festival d’Ambronay
Florent Coudeyrat
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