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La première des Prem’s Paris Philharmonie 09/02/2025 - et 24 (Grafenegg), 26 (London), 28 (San Sebastian), 30 (Santander) août, 5, 7 septembre (Leipzig) 2025 Arvo Pärt : Cantus in memoriam Benjamin Britten
Antonín Dvorák : Concerto pour violon en la mineur, opus 53, B. 108
Jean Sibelius : Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 43 Isabelle Faust (violon)
Gewandhausorchester Leipzig, Andris Nelsons (direction)

Berlin a sa Musikfest, Londres a ses Proms, Paris a désormais ses « Prem’s » ! La Philharmonie de Paris, par la voix de son directeur général Olivier Mantei, a en effet décidé de lancer cette manifestation sur quelques jours (du 2 au 11 septembre), le temps d’accueillir successivement l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig pour deux concerts, le Philharmonique de Berlin, l’Orchestre de la Scala de Milan et le premier concert de la saison de l’Orchestre de Paris, joué à deux reprises. Autant dire un mini‑festival de prestige mais dans une configuration originale. En effet, pour l’occasion, l’ensemble des sièges du parterre de la Philharmonie ont été enlevés (soit 477 places) afin de permettre l’accueil de 700 personnes debout, la jauge de la Philharmonie passant ainsi de 2 417 à 2 640 spectateurs. Les places ainsi créées se sont arrachées à des prix défiant toute concurrence : 15 euros pour les adultes, 11 euros pour les jeunes de moins de 27 ans. Et le fait est que le parterre fut rempli à ras bord (en tout cas lors de la première partie du concert, certaines personnes étant parties à l’entracte), en majorité des jeunes qui, sans doute pour un grand nombre d’entre eux, n’avaient jamais assisté à un concert de musique classique et qui avaient là l’opportunité d’entendre un des meilleurs orchestres du monde en étant tout au bord de la scène, les orchestres participant à l’opération ayant bien entendu été contactés à l’avance et ayant tous donné leur accord pour cette expérience inédite. Soulignons à cette occasion la qualité d’écoute du public parisien en ce premier concert, absolument irréprochable. Espérons que cette première édition, appelée sans doute à être un beau succès, se renouvellera à l’avenir, permettant ainsi d’offrir au plus grand nombre des concerts de la plus haute tenue. Et tel fut le cas en ce premier soir où l’on accueillait donc le vénérable Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, sous la baguette de son actuel directeur musical, le Letton Andris Nelsons.
Le programme était à la fois « classique » dans sa structure (une œuvre brève pouvant faire office d’ouverture, un concerto puis une symphonie) et original dans ses choix, ce programme ayant déjà été donné à Grafenegg le 24 août, à Londres le 26, à San Sebastian le 28 et à Santander le 30. Le Cantus in memoriam Benjamin Britten (1977) d’Arvo Pärt a donné le ton d’emblée : des cordes impressionnantes de cohésion, répondant au tintinnabulement d’une grosse cloche, Andris Nelsons imposant une clarté de tout premier ordre dans cette polyphonie où le pupitre de contrebasses fut extrêmement sollicité, notamment dans un long passage où il fut mis en vedette alors que toutes les autres cordes de l’orchestre jouaient à l’unisson.
 A. Nelsons, I. Faust
Moins fréquemment joué que bien d’autres concertos du répertoire, le Concerto pour violon (1879-1882) de Dvorák est évidemment un pur chef‑d’œuvre : après une brève introduction orchestrale des plus puissantes, le lyrisme du violon s’impose durant tout le premier mouvement avant de se fondre dans un climat extrêmement contemplatif (Adagio ma non troppo), le dernier mouvement mettant en avant les accents du folklore de Bohème que Dvorák aimait tant et que l’on retrouve notamment dans ses symphonies et dans ses danses slaves. Initialement, nous devions entendre Hilary Hahn mais la musicienne américaine a révélé avoir des problèmes de santé qui vont la tenir éloignée des salles de concert jusqu’en novembre : espérons donc qu’on la reverra très vite ! En remplaçante de luxe, Isabelle Faust fut une fois de plus souveraine. On a déjà écrit dans ces colonnes combien on admirait cette violoniste qui saute avec la même réussite des concertos de Berg ou de Ligeti (en attendant ceux de Philippe Manoury ou Vito Suraj, en cours de composition) aux pièces de Bach ou de Telemann, auquel elle vient de consacrer plusieurs disques dont la parution est attendue à la fin du mois de septembre.
Et de nouveau, ce soir, on baisse les armes devant une telle intelligence et une telle musicalité : arrivant d’un pas léger et rapide sur scène (comme toujours), Isabelle Faust nous aura gratifié d’une interprétation superlative du Concerto de Dvorák. L’Allegro ma non troppo introductif allia avec maestria des couleurs typiques d’Europe de l’Est avec des accents plus romantiques tout droit venus d’Allemagne (que d’échos au Concerto de Brahms...), Isabelle Faust jouant sa partition de manière extrêmement volontaire mais sans jamais aucune once de brutalité, les aigus et même suraigus s’avérant d’une limpidité stupéfiante. Soutenue par un magnifique orchestre (quelle petite harmonie !) dirigé avec attention par Andris Nelsons (on aura remarqué les nombreux regards complices qu’Isabelle Faust lui aura jetés au long du concerto, témoignant d’une parfaite entente artistique), elle soigna tout particulièrement la transition avec le superbe mouvement lent. Adoptant le même lyrisme que les flûte et hautbois solos, Isabelle Faust aura particulièrement bien mis en relief la variété de cet Adagio ma non troppo où la simplicité de la ligne mélodique laisse parfois place à des accords d’une étonnante modernité, à la limite de la dissonance. Le Finale. Allegro giocoso, ma non troppo aura peut‑être été plus marqué par l’élégance que par la joie proprement dite mais, là encore, quelle facilité dans le jeu, quelle souplesse dans ce mouvement on ne peut plus dansant, quelles couleurs ! Triomphe pour la violoniste qui nous gratifia d’un bis on ne peut plus original ; compte tenu de son actualité discographique, nous avions pensé à Telemann mais ce fut en vérité une transposition pour violon d’un Adagio pour viole de gambe de Karl Friedrich Abel (1723‑1787), Isabelle Faust témoignant une nouvelle fois de sa capacité à sortir des sentiers battus.
La seconde partie du concert était tout entière dédiée à la Deuxième Symphonie (1902) de Sibelius, œuvre protéiforme de plus de cinquante minutes dont la conduite nécessite un orchestre virtuose et un chef qui sait où il va. En effet, comme le rappelait le musicologue William Mann, « Sibelius définit ainsi sa façon d’aborder la composition symphonique : Dieu, depuis le ciel, envoie sur terre les morceaux d’une mosaïque céleste, d’un puzzle, qu’il s’agit d’assembler sans fautes ». N’y allons pas par quatre chemins : l’interprétation de ce soir aura été vraiment exceptionnelle. Même si cette symphonie est née dans l’esprit de Sibelius alors qu’il voyageait en Italie et qu’elle ne possède donc pas forcément ses accents diaphanes propres au froid finlandais, le premier mouvement nous aura un peu décontenancé : la grande masse des cordes, des nuances globalement assez fortes (était‑ce dû à la configuration de la salle et aux centaines de sièges enlevés qui créaient tout à coup une sorte d’espace que le son ne demandait qu’à meubler ?), une direction précise mais parfois très directive ont de temps à autre gommé les contrastes de cet Allegretto. Pour autant, comment ne pas succomber à un tel orchestre, digne ce soir de figurer comme le meilleur du monde ? Bénéficiant d’individualités exceptionnelles (Cornelia Grohmann à la flûte ou Javier Ayala-Romero au hautbois), l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig nous aura surtout offert des cordes d’une puissance et d’un volontarisme incroyables sous la double houlette du Konzertmeister Andreas Buschatz et d’Andris Nelsons. Le chef letton prouve une fois encore qu’il est une des très grandes baguettes d’aujourd’hui : modelant l’orchestre comme il le souhaite, alternant avec bonheur une sorte de lâcher prise, il fait ressortir mille détails de cette partition sans jamais sacrifier la ligne générale. Abordant le deuxième mouvement (Tempo andante ma rubato) avec une indicible grandeur (les pizzicati introductifs des contrebasses puis des violoncelles avant que n’entrent en scène les deux bassons puis les cors furent menés avec une délicatesse et une tension que nous n’avions jamais entendues en concert), Andris Nelsons lança les cordes dans des élans majestueux (un pupitre d’altos à se damner), les couleurs sombres du mouvement étant éclairées de temps à autre par les bois ou un choral de cuivres souverain avant de se conclure de façon implacable par deux pizzicati des contrebasses, lancés avec une rage folle. Après un Vivacissimo oscillant avec justesse entre inquiétude et espièglerie, vint le dernier mouvement avec ce thème lancinant qui ne cesse de monter, l’orchestre gagnant peu à peu en puissance avant de conclure de façon triomphale grâce aux cuivres de nouveau. Là encore, la direction exceptionnelle d’Andris Nelsons mit un terme à cette soirée de la plus brillante des façons, saluée par un public enthousiaste et admiratif à la fois. A la sortie du concert, une question s’imposait : depuis combien de temps n’avions‑nous pas été à ce point bluffé par un orchestre et son chef ?
Le site d’Andris Nelsons
Le site de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig
Sébastien Gauthier
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