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Finir pour mieux recommencer Lucerne Centre de la culture et des congrès 08/21/2025 - Gioachino Rossini : Il barbiere di Siviglia Edgardo Rocha (Il Conte d’Almaviva), Peter Kálmán (Don Bartolo), Cecilia Bartoli (Rosina), Nicola Alaimo (Figaro), Michele Pertusi (Don Basilio), Caterina Di Tonno (Berta)
Il Canto di Orfeo, Les Musiciens du Prince - Monaco, Gianluca Capuano (direction)

« Open end », tel est le thème de l’édition 2025 du Festival de Lucerne, qui a débuté le 12 août pour se terminer le 14 septembre. Littéralement : « fin ouverte ». La manifestation fera la part belle aux œuvres inachevées, à l’instar de la Dixième Symphonie de Mahler, exécutée de façon magistrale par le Lucerne Festival Orchestra sous la baguette de son directeur musical, Riccardo Chailly, lors du concert d’ouverture. Le thème fait aussi référence au départ de Michael Haefliger, directeur du Festival, qui a décidé de passer la main à la fin de l’été, au terme d’un mandat de vingt‑six ans, un record dans le milieu artistique. Fils du ténor Ernst Haefliger, Michael Haefliger a pris ses premières leçons de violon et de piano à l’âge de 6 ans. De 1978 à 1983, il a étudié le violon à la Juilliard School avant de poursuivre des études de management en Suisse puis à Harvard. A la tête du Festival de Lucerne, Michael Haefliger peut se targuer d’un bilan très largement positif : sur le plan artistique, il a réussi à transformer Lucerne en plateforme mondiale alliant patrimoine symphonique et création, alors que sur le plan financier il a su consolider un modèle économique rare dans le monde de la musique classique (autofinancement de plus de 90 %).
La plus grande réussite de Michael Haefliger est, sans conteste, d’avoir fait venir à Lucerne Claudio Abbado pour recréer un Orchestre du Festival (comme l’avait fait Toscanini en 1938), une formation emblématique que le célèbre chef a été le seul à diriger pendant les dix années qui ont précédé son décès (2003‑2013), une formation ad hoc constituée d’amis musiciens avec qui le maestro avait plaisir à jouer. Michael Haefliger a aussi réussi à convaincre Pierre Boulez de fonder, en 2004, une Académie qui a, jusqu’à ce jour, formé plus de 1 300 jeunes musiciens de plus de soixante pays aux musiques des XXe et du XXIe siècles. Le vingtième anniversaire de l’Académie, en 2024, a vu la création de pas moins de quinze œuvres. Michael Haefliger s’est en outre fortement engagé pour la musique contemporaine, passant au total quelque 280 commandes et programmant la première mondiale de plus de 400 ouvrages. Il s’est aussi battu pour élargir la base du public en proposant des formats spéciaux et des offres tarifaires pour les familles et les jeunes.
Le revers de la médaille a été l’abandon de deux mini-festivals historiques après 2019 (Festival de Pâques et Festival de piano en novembre) pour concentrer tous les moyens sur l’été. Le repli du périmètre est visible, même s’il a, depuis, été compensé en partie par de nouveaux formats (Festival de printemps et Forward en novembre, axé sur la musique contemporaine). Il convient de mentionner également l’abandon, pour des raisons financières, d’un projet de salle modulable qui aurait permis à Lucerne de programmer des opéras et, ainsi, de faire pratiquement jeu égal avec Salzbourg. L’ADN du Festival de Lucerne est, par ailleurs, très dépendant des têtes d’affiche, avec les risques qui peuvent en découler (désistements et annulations, « bannissement » de Valery Gergiev après l’invasion de l’Ukraine). En outre, des critiques récurrentes dans la presse suisse pointent du doigt le prix des places (350 euros pour la première catégorie). Les médias se font aussi l’écho de dissonances au sommet du Festival, mais sans impact avéré sur la programmation. Quoi qu’il en soit, cette situation est révélatrice d’un contexte sensible autour du mécénat et de l’image du Festival. Malgré ces quelques points négatifs, Michael Haefliger peut être fier d’un bilan assez exceptionnel, il faut bien le dire. A compter du 1er janvier 2026, c’est Sebastian Nordmann, l’actuel responsable du Konzerthaus de Berlin, qui sera aux commandes du Festival de Lucerne ; il a d’ores et déjà annoncé qu’il misera sur la continuité, en gardant à la fois l’Orchestre et l’Académie, laquelle sera confiée à Jörg Widmann dès l’été prochain.
 (© William Wozniak)
Mais, pour l’heure, Lucerne va vivre cinq semaines de festival avec plus de 200 concerts réunissant les orchestres les plus renommés, les baguettes les plus prestigieuses et les solistes les plus réputés. L’opéra a aussi sa place dans la programmation, avec notamment une version concertante du célèbre Barbier de Séville avec Cecilia Bartoli. A près de 60 ans, la diva romaine reste parfaitement crédible dans le rôle de Rosine, s’affichant particulièrement espiègle, pétillante et pimpante ; le temps ne semble pas non plus avoir de prise sur sa voix et sa virtuosité vocale, avec des vocalises toujours parfaitement ciselées et des pianissimi envoûtants. Un exploit, quand on sait que Cecilia Bartoli a chanté son premier Barbier il y a exactement quarante ans à Rome. Seul bémol : la voix, qui n’a jamais été énorme, reste toujours aussi limitée en termes de puissance ; il n’est donc pas sûr que dans une salle aussi vaste que celle de Lucerne, les spectateurs des derniers rangs ont pu apprécier toutes les subtilités de son chant.
Cecilia Bartoli était entourée d’une équipe de chanteurs parfaitement aguerris, dont Edgardo Rocha (Almaviva), styliste impeccable aux aigus lumineux, Michele Pertusi, remplaçant un collègue au pied levé, Don Basilio au chant noble et racé, Peter Kálmán, Bartolo au chant particulièrement expressif, et surtout Nicola Alaimo, Figaro impayable de drôlerie et confondant de présence scénique. La complicité entre les solistes faisait plaisir à voir, tous étaient visiblement ravis d’être là et de contribuer à rendre la soirée joyeuse et festive, grâce notamment à de nombreux gags. A la tête des Musiciens du Prince - Monaco, une formation sur instruments d’époque, Gianluca Capuano n’a pas été en reste pour insuffler, lui aussi, énergie et rythme trépidant à cette représentation, que le public a saluée par une ovation debout.
Le site du Festival de Lucerne
Claudio Poloni
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