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Feu d’artifice vocal dans un écrin déroutant

Pesaro
Auditorium Scavolini
08/10/2025 -  et 13, 16, 19* août 2025
Gioachino Rossini : Zelmira
Anastasia Bartoli (Zelmira), Lawrence Brownlee (Ilo), Enea Scala (Antenore), Marina Viotti (Emma), Marko Mimica (Polidoro), Gianluca Margheri (Leucippo), Paolo Nevi (Eacide), Shi Zhong (Gran Sacerdote)
Coro del Teatro Ventidio Basso, Pasquale Veleno (préparation), Orchestra del Teatro Comunale di Bologna, Giacomo Sagripanti (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène, décors), Barbora Horáková (décors), Ingo Krügler (costumes), Michael Bauer (lumières)


(© Amati Bacciardi)


Pour son édition 2025, le Festival Rossini de Pesaro (Rossini Opera Festival, ROF) a frappé un grand coup en présentant la rarissime Zelmira, le dernier des neuf opéras écrits par le compositeur pour le San Carlo de Naples. Les dernières représentations à Pesaro ayant eu lieu en 2009, avec une distribution réunissant Kate Aldrich, Gregory Kunde et Juan Diego Flórez, c’est dire si cette nouvelle production était attendue avec impatience. Si, musicalement, elle a comblé toutes les attentes, offrant un véritable feu d’artifice vocal, la partie scénique a laissé une impression plus mitigée.


A sa création en 1822, Zelmira a été un immense succès et l’ouvrage a très rapidement été considéré comme l’un des chefs‑d’œuvre de Rossini. Le livret est adapté de la tragédie Zelmire de l’auteur dramatique français Pierre‑Laurent Buirette, dit Dormont de Belloy. L’action de l’opéra se déroule sur l’île de Lesbos, où le roi Polidoro a été détrôné par le tyran Azor. Zelmira, fille de Polidoro, cache son père pour le protéger, faisant croire que c’est elle qui l’a tué, afin de détourner les soupçons. Un second usurpateur, aspirant lui aussi au trône, Antenore, tue Azor et accuse Zelmira à la fois du meurtre d’Azor et de celui de son père. Le prince troyen Ilo, époux de Zelmira, revient de la guerre et se laisse persuader par ses ennemis que sa femme est coupable. Cette dernière continue de garder le silence pour protéger son père. Elle est finalement arrêtée, séparée de son jeune fils et condamnée à mort. Au moment de son exécution, la vérité éclate : Polidoro, vivant, sort de sa cachette et révèle le mensonge des conspirateurs. Antenore est démasqué et puni, alors que Zelmira est réhabilitée. Ilo retrouve confiance en elle et l’opéra s’achève sur une apothéose de triomphe familial et politique. On l’aura compris, le livret est passablement alambiqué et assez peu digeste ; et pourquoi diable l’héroïne s’obstine‑t‑elle jusqu’au bout à ne pas vouloir dissiper les soupçons qui pèsent sur elle ? D’ailleurs, Stendhal n’a‑t‑il pas écrit que « jamais histoire plus stupide et tyran plus imbécile n’étaient montés sur une scène » ? Mais la musique de Rossini parvient à transcender l’intrigue : l’écriture vocale est d’un extrême raffinement et d’une virtuosité époustouflante, avec des airs tout simplement vertigineux. Le rôle‑titre, particulièrement exigeant, a été parmi les derniers composés par Rossini pour la Colbran, qu’il a épousée un mois après la création de l’opéra.


Pour ses débuts à Pesaro, Calixto Bieito a imaginé un dispositif immersif à 360 degrés, exploitant entièrement le plateau et les tribunes de l’Auditorium Scavolini, une salle omnisports dévolue normalement aux matchs de basket. Les musiciens sont placés au centre de ce dispositif, entourés d’une scène vitrifiée surélevée, dont les chanteurs font constamment le tour. Cette spatialisation s’étend jusqu’aux gradins, desquels entrent et sortent les choristes et les solistes. Cette vision, qui peut sembler captivante et dynamique au premier abord, du fait de la position des chanteurs tout autour du public, se révèle en fin de compte problématique pour les solistes et les choristes, qui tournent souvent le dos au chef d’orchestre, mais aussi aux spectateurs, lesquels ne peuvent donc pas toujours profiter pleinement des vocalises de la partition. L’absence de surtitres décontenance aussi une partie de l’auditoire car, on l’a dit, l’intrigue n’est pas des plus faciles à suivre, et surtout Calixto Bieito prend un malin plaisir à l’interpréter à sa manière. Ainsi, Ilo, qui est censé rentrer de la guerre en vainqueur, devient un soldat ployant sous la fatigue, au regard absent. A la fin de l’ouvrage, il reste d’ailleurs affalé sur son fauteuil, alors qu’il devrait célébrer le bonheur retrouvé avec Zelmira. Eacide, le confident d’Ilo, est représenté en ange avec dans son dos deux ailes immenses, sans qu’on comprenne pourquoi. Antenore est vu comme un homme déséquilibré et immature qui joue avec son ours doudou et se réfugie dans les bras de son amant Leucippo bodybuildé. Zelmira et sa servante Emma échangent de longs baisers langoureux. Le spectacle fourmille par ailleurs de symboles qui compliquent encore davantage la compréhension de l’œuvre : un revenant omniprésent muni d’un olivier, des morts descendant des cintres, des ballons, un magnétophone dont la bande est sortie de sa piste et on en passe. Bref, le pari n’a été réussi qu’à moitié par Calixto Bieito.


La partie musicale du spectacle est, pour sa part, une réussite sur toute la ligne. La distribution réunie par le ROF est tout simplement superlative, offrant au public une succession de vocalises les unes plus éblouissantes que les autres, un festival de pyrotechnie vocale. Ténor rossinien par excellence, Lawrence Brownlee obtient, dans le rôle d’Ilo, l’ovation la plus enthousiaste et la plus longue de cette soirée qui n’en a pourtant pas manqué, avec son air « Terra amica » puis avec la cabalette « Cara! deh attendimi! », qui ont atteint la perfection, véritable leçon de style, avec un phrasé d’une noblesse absolue. En Zelmira, Anastasia Bartoli éblouit tout à la fois par la puissance de son timbre, la souplesse infinie de sa voix et l’éclat de ses aigus, lancés comme des poignards, un vrai tour de force vocal ; qui plus est, elle fait fi avec un aplomb ahurissant des nombreuses difficultés de l’air « Riedi al soglio », périlleux s’il en est. Baryténor à la puissance et à la projection impressionnantes, Enea Scala incarne un Antenore héroïque et viril mais de plus en plus fragile et névrosé à mesure que la soirée avance ; il va jusqu’à interpréter l’air « M’entre qual fiera ingorda » la tête en bas, un exploit. Marina Viotti dessine une Emma douce et émouvante, avec sa voix chaude et corsée et son chant tout en subtilité et en finesse. Son « Ciel pietoso », d’une grande élégance et d’une parfaite sobriété, a été l’un des moments forts de cette soirée enthousiasmante, suivi d’une cabalette extrêmement bien maîtrisée. On signalera aussi le magnifique duo entre Zelmira et Emma (« Perché mi guardi e piangi »), d’une douceur incroyable, avec l’intervention de la harpe et du cor anglais ; les voix des deux chanteuses se marient à merveille. Parmi les rôles secondaires, il convient de relever le Polidoro de Marko Mimica, absolument royal en souverain déchu et dont l’air « Ah! già trascorse il dì » fait forte impression, ainsi que le Leucippo de Gianluca Margheri, confondant non seulement de muscles mais aussi de présence scénique. On n’oubliera pas non plus les interventions marquantes du Chœur du Théâtre Ventidio Basso. A la tête de l’Orchestre du Teatro Comunale de Bologne, Giacomo Sagripanti a l’immense mérite d’assurer des transitions parfaitement fluides entre les différentes scènes de l’ouvrage et de coordonner avec maestria musiciens, solistes et choristes dans cet immense espace. Une Zelmira qui restera, à n’en pas douter, dans les annales du ROF.


Le site du ROF



Claudio Poloni

 

 

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