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A la russe ? Hautes-Alpes Montmaur (Château) 08/13/2025 - Robert Schumann : Arabesque, opus 18 – Humoresque, opus 20
Modeste Moussorgski : Tableaux d’une exposition Boris Petrushansky (piano)
 (© Valentine Franssen)
Le sort s’acharnerait-il sur cette édition de Musique au cœur des Baronnies ? Après avoir subi les aléas du plein air la veille, il s’avère qu’on ne peut jamais être à l’abri d’une surprise, même dans le cadre plus sûr et plus au sec dont bénéficie cette fois‑ci le Yamaha, le château de Montmaur (XIVe‑XVIIIe), haut lieu de la Résistance et propriété depuis 2006 du département des Hautes‑Alpes, qui y organise notamment une saison culturelle. En effet, il semble qu’une panne électrique ait suscité de fortes craintes pour le concert de la deuxième soirée de la manifestation.
Heureusement, ce récital a finalement lieu comme prévu, dans la salle des Festins, qui est dotée d’une excellente acoustique sous plus de 5 mètres de plafond et dont la décoration est tout à fait représentative des périodes successives de l’histoire du château : une frise murale Renaissance de 44 mètres de longueur, présentant des scénettes et des maximes philosophiques, mais aussi une plaque en marbre rendant hommage au réseau de résistance La Chaîne, créé par Antoine Mauduit (1902‑1945), mort en déportation après avoir accueilli des juifs persécutés ainsi que des réfractaires au STO et fondé l’un des premiers maquis.
Vivant en Italie depuis une trentaine d’années, Boris Petrushansky (né en 1949), qui fut l’un des maîtres de Fanny Azzuro, directrice artistique du festival, reste peu connu, c’est le moins qu’on puisse dire, du public français. Il consacre la première partie de son programme à Schumann, avec deux œuvres datées de la riche année 1839. D’emblée, l’Arabesque questionne fortement : sa merveilleuse fluidité, son flux limpide sont hachés par une frappe sèche, voire dure, un incessant stop and go et une manière aussi systématique qu’horripilante de ralentir légèrement avant la dernière note d’une phrase. On peine vraiment à comprendre ces hésitations de même que certains effets malheureux dont on ne peut pas davantage penser qu’ils ne soient pas délibérés.
Bonne et courageuse idée que d’avoir choisi ensuite la trop rare Humoresque, moins célèbre et moins « payante » que Carnaval et Kreisleriana, et où l’on retrouve dans les dernières pages un écho de l’Arabesque. Hélas, les mêmes tendances se confirment dans les passages au tempo lent ou modéré de cette Humoresque, qu’on qualifiera donc ici, selon le point de vue qu’on voudra bien adopter, de fantasque ou décousue, même s’il est vrai que Schumann passe très vite d’un climat à l’autre. Quant aux sections rapides, elles ne manquent assurément pas de brillant et de brio, toutefois un peu sèches et volontiers orchestrales, dans ce Schumann pourtant plutôt intimiste qui ne devrait donc entretenir aucun lien de parenté avec Rachmaninov. Il est difficile de savoir ce que ce jeu entend exprimer, quelles émotions il souhaite communiquer : bien que la soirée soit intitulée «« Tableaux d’âmes : Schumann et Moussorgski », on cherche en vain de la rondeur et du charme, sans même parler d’âme, de poésie ou même de musique.
En seconde partie, ce sont effectivement les Tableaux d’une exposition (1874), dans lesquels on attendait beaucoup de la part de Petrushansky, élève, comme Richter, Gilels et Lupu, du légendaire Heinrich Neuhaus (1888‑1964) l’année même de sa disparition : dans une partition éminemment russe et disposant des moyens techniques requis, il semblait avoir tout pour réussir. Cependant, dès la première « Promenade », au phrasé désarticulé et aux accords tapageurs, la déconvenue apparaît totale. La suite se révèle hélas à l’avenant : « Gnomus » défiguré par une succession d’effets d’un goût douteux ; « Il vecchio castello » plus terne et raide que mystérieux ou chantant ; tempo faisant le yo‑yo dans « Tuileries » ; « Bydlo » certes cahotant à souhait, mais brutal et bruyant ; volatiles bien dodus dans le « Ballet des poussins dans leurs coques ». En revanche, le contraste entre les deux personnages de « Samuel Goldenberg et Schmuyle » est bien rendu, malgré un usage assez déroutant de la pédale, tandis que « Limoges. Le Marché. La Grande Nouvelle », avec son staccato de mitraillette, ressemble à la Toccata de Prokofiev. Ce n’est que dans « Catacombæ (Sepulcrum romanum) » puis « Cum mortuis in lingua mortua » que le piano trouve enfin des couleurs, avant que « La Cabane sur des pattes de poule (Baba Yaga) » ne vienne tout gâcher dans un capharnaüm sonore au demeurant pas très assuré et « enrichi » de détails, tels des glissandi, ne figurant pas dans la partition. Enfin, « La Grande Porte de Kiev », dans un vacarme assourdissant d’artillerie lourde, illustre une caricature de « piano russe » qu’on croyait révolue.
« Piano russe » ? Voilà qui évoque sans doute un haltérophile dévoreur d’ivoire comme Matsuev, mais n’a rien à voir avec l’inspiration et la liberté d’un Richter ou bien d’une Brigitte Engerer, qui a été formée en Russie durant neuf ans, notamment par Stanislav Neuhaus, et dont les enregistrements réalisés pour Harmonia mundi viennent d’être réédités, notamment de magnifiques Tableaux, exemplaires en sonorité comme en inventivité.
Petrushansky offre trois bis – une générosité également typique des pianistes russes. Le premier est particulièrement bien choisi, car la virtuosité et la robustesse de la « Danse russe », premier des Trois Mouvements de Pétrouchka (1921) de Stravinski, lui conviennent idéalement. Quant à l’arrangement de concert du « Largo al factotum » du Barbier de Séville de Rossini publié en 1953 par le pianiste Grigory Ginzburg (1904‑1961), il est, sans surprise, spectaculaire à souhait, même si ce Figaro paraît plus vindicatif que séducteur. Enfin, avec la quatrième des six Romances sans paroles de l’Opus 67 (1845) de Mendelssohn, on en revient à l’incompréhension : où est passée la grâce mendelssohnienne, alors qu’on a le sentiment d’avoir entendu non pas « La Fileuse » mais « Le Vol du bourdon » ?
Le site de Boris Petrushansky
Le site du château de Montmaur
Simon Corley
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