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Toi aussi, Brutus ?

Paris
Opéra National de Paris Garnier
09/16/2002 -  19, 24, 27, 30 septembre, 3, 6, 11, 14 octobre
Georg Friedrich Haendel : Giulio Cesare
David Daniels (Cesare), Danielle de Niese (Cleopatra), Stephanie Blythe (Cornelia), Anne Sofie von Otter / Sarah Connolly (Sesto), Bejun Mehta (Tolomeo), Franck Leguérinel (Achilla), Dominique Visse (Nireno), Kevin Greenlaw (Curio)
Nicholas Hytner (mise en scène), David Fielding (décors et costumes), Davy Cunningham (lumières)
Orchestre et Choeurs Les Musiciens du Louvre - Grenoble, Marc Minkowski (direction)

Les ennemis de César sont partout. Dans les marais du Nil. Sur les marches de la Curie. Et dans les coulisses du Palais Garnier. Ce n'est pas cependant le poignard, mais un magnétophone sournois qui aura troublé en ce soir de Première la paix du plus grand des romains. Quelques minutes après le début de la représentation, artistes et spectateurs entendirent distinctement une voix de soprano qui tournoyait dans les airs, parasitant la musique venue de la fosse et de la scène. Le fantôme de l'Opéra ? Celui de Maria Callas, morte il y a tout juste vingt-cinq ans ce soir là ? Même pas. Barbara Schlick dans le Jules César de René Jacobs, tournant en boucle de surcroît, sur un engin qui ne put être localisé qu'au terme d'une demi-heure d'interruption. Malveillance assurément, et sans doute d'un familier des lieux l'ayant disposé au delà de la couronne du plafond, en une zone difficilement accessible au public. Dirigée contre quel empereur ? Sans préjuger sur les conclusions d'une enquête en cours, on n'ose croire à une guerre des chefs entre baroqueux qui déborderait dans les coulisses (l'attentat, alors, serait clairement venu de la salle). Attaque à l'encontre de l'actuelle équipe dirigeante, ou de ceux pressentis à sa succession ? Si les grèves, les conflits et les annulations sont une constante dans l'histoire de l'Opéra, il n'a jamais été dans la culture de son personnel de saboter un spectacle dès lors qu'il accepte de lever le rideau. Souhaitons plutôt qu'il s'agisse de l'acte isolé d'un irresponsable, même s'il pose la question de la sécurité dans un théâtre pourtant bien surveillé. Et remercions chanteurs et musiciens, qui ont courageusement supporté cette nuisance jusqu'à la fin de la scène 7, et su retrouver par la suite la concentration nécessaire pour assurer une soirée de haute tenue.


Il est vrai que le premier Jules César en France de Marc Minkowski, prélude à un enregistrement pour Archiv Deutsche Gramophon, était fort attendu de tous ceux qui regrettent de ne disposer que d'une seule très bonne version sur instruments anciens, celle choisie justement par le mystérieux pirate des combles. Ni les circonstances, ni l'acoustique du Palais Garnier, peu favorable à ce répertoire, ne permettent un jugement définitif. Comme dans sa récente Platée, le chef déploie en ce lieu des phrases plus amples, une pâte sonore très chaleureuse, noble et dense à défaut d'être finement contrastée. Sur le plan technique, la balance avec les voix est dosée de main de maître et l'orchestre paraît remarquablement préparé ; sur le plan expressif et musical, le discours s'inscrit davantage dans la pertinence de progressions dynamiques très fluides (qu'il s'agisse des grands écarts ou de nuances plus subtiles) et d'un entraînement par le jeu d'un legato puissant, que dans le relief et la variété de la rythmique et des articulations, qui gagneront à se libérer. Il est vrai que le patchwork étant le piège dans lequel tombent ici trop de chef, un souffle continu ne nuit point à Jules César. Loin du cliché dont on l'affuble souvent, Minkowski résiste donc à la tentation de tempos extrêmes (sauf dans " Priva son " où la pulsation disparaît quasiment, mais aussi la chanteuse ne l'habite guère), et trouve au contraire le juste pouls dans les pages transformées par d'autres en récit wagnérien ou en numéros de cirque - les trois derniers airs de Cléopâtre, autrement dit.


Même revissée aux entournures et élaguée dans le sens de plus de sobriété, la production de Nicholas Hytner, mieux inspiré dans son légendaire Serse à l'English National Opera, demeure rigolote et gentiment tarte, plus proche du film de Gabriel Pascal en 1945 (délire carton pâte sur le texte de George Bernard Shaw, avec Vivien Leigh et Claude Rains, à découvrir d'urgence) que du chef d'œuvre authentiquement rococo de Mankiewicz. Un cast de carpes et de lapins (Dominique Visse reprend son inusable nireno, Franck Leguérinel débute dans un bel Achilla) y trouve ses marques avec des bonheurs divers. Stephanie Blythe est un malentendu : difficile de comprendre que la belle veuve qui donne bien malgré elle des frissons à tous les mâles de l'histoire, César excepté (et Dieu sait que la malheureuse Cléopâtre ne ménage pas ses efforts), déploie une voix plus tonitruante et virile qu'eux tous réunis, et exhibe une présence de matrone ! Le couple des enfants terribles d'Alexandrie est en revanche une éclatante réussite. Veule, lascif, à la fois juvénile et menaçant, Bejun Mehta est peut être le meilleur Tolomeo jamais vu, et l'émission vigoureuse, les couleurs crues, les phrases tranchantes en font un adversaire redoutable pour César. Tant par son physique que par son talent d'actrice, Danielle De Niese est la Cléopâtre idéale, chaton qui fait ses griffes, fine mouche de comédie au charme irrésistible trouvant au fil des scènes une véritable étoffe tragique. Paradoxalement, son soprano léger - le rôle appelle une voix intermédiaire proche du mezzo - manque surtout de corps dans les airs galants ou virtuoses : peu de sensualité (cruel, pour " V'adoro, pupille "), guère de nuances, trilles et ornements réduits au minimum syndical, même si le timbre reste toujours séduisant. Dans " Se pietà " et " Piangero ", une diction percutante et un investissement expressif farouche font oublier ces limites.


On attendait, bien sûr, le Sesto luxueux d'Anne Sofie von Otter (mais il ne faudra pas manquer non plus la merveilleuse Sarah Connolly, les 27 septembre, 6 et 14 octobre). Dommage que cette haendélienne rêvée se voit toujours contrainte par les mises en scène à faire des choses totalement idiotes dès qu'elle monte sur le plateau de Garnier pour un ouvrage du Cher Saxon, les serpents et crocodiles de Mister Hytner ne valant pas mieux que le cheval du Señor Lavelli ! Les vocalises du rôle, exigeant plus de force que de raffinement, ne prodiguent pas les mêmes délices que celles d'Ariodante. Mais " Cara speme " est ce qu'on avait imaginé : miracle d'ombres et de lumière, de tenue instrumentale héroïque aux limites du néant. Dommage pour le duo tout aussi sublime où sa partenaire claironne, et vivement la rencontre avec Charlotte Hellekant pour le disque.


Quelques huées ont accueillies David Daniels au milieu des vivats. Que voulait-on ? La vraie tessiture d'alto ? Les décibels ? Le détaché précis et vigoureux des vocalises ? Il ne les a pas, on le savait en entrant. Mais le velours unique, la ligne merveilleusement portée, où les trouver ailleurs ? D'abord indécis dramatiquement dans le contexte de cette représentation difficile, il acquiert en cours de route une vraie présence scénique, jeune, enthousiaste, frémissante. Et " Aure, per piétà " est le sommet de la soirée, souffle infini au modelé parfait où s'épanouit sans s'étaler la fioriture, nostalgie et tendresse délicate de la couleur et des mots que nul n'avait obtenu encore - pas même lui. Les lauriers, fianlement, reviendront à… César. C'est justice, mais ce n'est pas coutume.



Vincent Agrech

 

 

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