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Un rien trop sage Montpellier Le Corum (Opéra Berlioz) 11/07/2025 - Benjamin Britten : Four Sea Interludes from Peter Grimes, opus 33a
Camille Saint-Saëns : Concerto pour piano n° 2 en sol mineur, opus 22
Thomas Adès : The Exterminating Angel Symphony
Claude Debussy : La Mer Marie-Ange Nguci (piano)
Philharmonique de Radio France, Kirill Karabits (direction)
Annoncée souffrante, Mirga Grazinytė-Tyla renonce finalement à ce concert, dont le programme est incontestablement l’un des plus originaux et stimulants parmi les grandes soirées du Festival Radio France Occitanie Montpellier 2025. Pour la remplacer, on est heureux de retrouver le chef Kirill Karabits (ou Kyrylo Karabyts dans sa version ukrainienne), qui fut chef associé du Philhar’ (2002‑2005), puis du Philharmonique de Strasbourg (2005‑2007). Tout en occupant la direction de l’Orchestre symphonique de Bournemouth entre 2009 et 2024, l’Ukrainien a gardé de bonnes relations avec les formations françaises, en remplaçant au pied levé plusieurs chefs défaillants par le passé (voir notamment à Paris en 2012 ou à Strasbourg en 2022).
C’est donc un chef expérimenté que l’on retrouve à la tête du Philhar’, pour une soirée de musique française et anglaise débutant par les Quatre Interludes marins (1945) de Britten. Les quatre pages tirées de l’opéra Peter Grimes illustrent tout le savoir‑faire du Britannique en matière de virtuosité d’orchestration. Karabits se régale des changements d’atmosphère avec un style toujours probe, en un sens des transitions admirable de fluidité. Dans la troisième pièce (« Clair de lune »), son geste classique et sans ostentation rapproche Britten du style néoclassique de Copland, aux lignes claires et transparentes.
Le contraste n’en est que plus grand avec le Deuxième Concerto pour piano (1868) de Saint‑Saëns, où le compositeur français se tourne vers Beethoven, entre rigueur de la forme et mise en valeur de la mélodie principale. Quelques semaines après avoir entendu Alexandre Kantorow dans le même ouvrage à la Philharmonie de Paris, place cette fois à la pianiste Marie‑Ange Nguci (née en 1997). Née en Albanie mais formée en France, cette interprète s’est manifestement spécialisée dans ce répertoire, puisqu’elle a donné le même concerto l’an passé à Lyon. Disons d’emblée que sa prestation n’a pas comblé toutes les attentes, du fait d’un toucher trop peu imaginatif, qui manque de respiration. Il faut donc avant tout se tourner vers l’aspect technique, admirable de bout en bout, pour apprécier son jeu, que l’on souhaite toutefois voir évoluer vers davantage de profondeur interprétative. En bis, la cadence finale du Concerto pour la main gauche de Ravel séduit davantage par sa vélocité endiablée.
Après l’entracte, le fracas sonore de la Symphonie L’Ange exterminateur (2020) de Thomas Adès (né en 1971), tirée de l’opéra éponyme, vient réveiller la salle de toute son insolence volontairement grotesque. Les effets de masse voulus par le Britannique, entre ruptures incessantes et mélodies hachées, se jouent de tous les contrastes. Parmi les moments les plus réussis figurent le ralentissement progressif des tempi, où le discours narratif semble progressivement se désagréger. Un rien trop sonores, les cuivres impriment leur cadence martiale, face à un chef attentif à la mise en place.
Le meilleur de la soirée est encore à venir, avec La Mer (1905) : le chef‑d’œuvre orchestral de Debussy trouve dans le Philhar’ un interprète pour qui cette musique n’a pas de secret, entre raffinement des textures et mise en valeur des timbres. Karabits empoigne les trois mouvements d’une énergie roborative, en opposant chants et contrechants. Cette lecture exaltante, aux tempi vifs, laisse parfois trop de place aux cuivres, là encore un rien trop sonores. Mais l’ensemble sonne d’une vitalité naturelle et fluide, pour faire vivre cette musique de tout son raffinement rhapsodique.
Florent Coudeyrat
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