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Bizet côté farce

Lausanne
Mézières (Théâtre du Jorat)
06/20/2025 -  et 24* (Ecublens), 25 (Grandson), 28 (Bussigny), 29 (Renens) juin, 1er (Aubonne), 2 (Bex), 4 (Prilly), 5 (Cully), 6, 8 (Lausanne), 9 (Le Brassus), 10 (Riddes) juillet 2025
Georges Bizet : Le Docteur Miracle
Naïma Wanshe (Laurette), Rémi Ortega (Le Podestat de Padoue), Carine Séchaye (Véronique), Jean Miannay (Capitaine Silvio)
Ensemble instrumental de l’Opéra de Lausanne, Anthony Fournier (direction musicale)
Pierre Lebon (mise en scène, décors et costumes), Bertrand Killy (lumières)


(© Carole Parodi)


Après avoir couronné sa saison 2024-2025 avec Carmen, à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de l’ouvrage lyrique le plus joué au monde, l’Opéra de Lausanne surprend avec une production estivale inattendue : Le Docteur Miracle, premier opéra composé par Georges Bizet, en 1857, alors âgé de seulement 19 ans, soit dix‑sept ans avant son chef‑d’œuvre. Cette opérette en un acte a été écrite à la faveur d’un concours organisé par Jacques Offenbach pour faire émerger de jeunes talents dans un genre que ce dernier a mis en valeur dans son théâtre des Bouffes‑Parisiens. Parmi soixante‑dix‑huit concurrents, Bizet et Charles Lecocq, qui composera plus tard La Fille de Madame Angot, s’illustrent tous les deux – sur le même livret ! – et sont déclarés vainqueurs ex æquo.


Après sa création aux Bouffes-Parisiens, Le Docteur Miracle de Bizet disparaît pendant un siècle, puis est redécouvert et réhabilité grâce au Conservatoire de Paris. Bien que très rarement jouée, l’œuvre offre un délicieux aperçu du talent embryonnaire d’un jeune compositeur. Il serait vain de chercher dans cette farce des échos de Carmen ou même des Pêcheurs de perles. Ici, point de passions tragiques ni d’orientalisme suave. Mais l’ouvrage pétille de fraîcheur et d’esprit. La partition, légère, laisse deviner une oreille déjà sûre, un sens du théâtre vivace, et surtout une orchestration étonnamment inventive pour un compositeur si jeune. Si l’on y perçoit l’ombre tutélaire d’Offenbach, tant dans le rythme que dans la malice des motifs, Bizet affirme déjà sa propre voix, affranchie de toute lourdeur.


Pastichant la commedia dell’arte, le livret de Léon Battu et de Ludovic Halévy, futur librettiste d’Offenbach et de Carmen, peut paraître bien mince : le Podestat de Padoue et son épouse Véronique essaient tant bien que mal de détourner leur fille Laurette de son amoureux, le Capitaine Silvio. Pour obtenir la main de celle qu’il aime, Silvio va user de toutes sortes de stratagèmes, allant jusqu’à se faire passer pour un cuisinier puis pour un médecin. L’intrigue permet à Bizet de dépeindre une large palette de situations, allant de grands sentiments amoureux à la colère exagérée, et aussi de donner libre cours à sa veine comique, comme dans le désopilant « Quatuor de l’omelette ».


Pierre Lebon, qui sur les planches incarne l’assistant du Docteur Miracle (rôle parlé), signe également la mise en scène, les décors et les costumes de cette production donnée au Théâtre du Châtelet à Paris ce printemps avant sa tournée en Suisse romande. Le spectacle embrasse pleinement le ton de l’ouvrage : joyeux, burlesque, résolument tourné vers la farce. Gags visuels, jeux de scène bondissants, situations poussées jusqu’à l’absurde : le public rit beaucoup, et à juste titre. Dans un décor de théâtre de tréteaux fait de grandes caisses noires, de trappes et de rideaux, sans oublier un escalier et une échelle, Pierre Lebon tire parti de la légèreté du livret pour construire une mécanique comique parfaitement huilée. On est proche du cirque, avec des personnages vêtus de rouge et maquillés à outrance.


La distribution vocale se distingue par sa cohésion et son entrain. Les quatre chanteurs affichent une excellente diction, une forte présence scénique et une évidente jubilation de se prêter au jeu. Jean Miannay incarne un Silvio plein de verve et à la voix ensorceleuse. Naïma Wanshe, malgré une voix encore un peu verte, est une Laurette espiègle, qui sait exactement ce qu’elle veut. Avec son timbre grave et bien projeté, Carine Séchaye dessine le portrait irrésistible d’une Véronique nymphomane à souhait, alors que Rémi Ortega incarne un Podestat truculent de suffisance et gravement hypocondriaque. Dans la fosse, à la tête d’un ensemble de treize étudiants de la Haute Ecole de Musique de Lausanne, le jeune chef Anthony Fournier dirige Le Docteur Miracle d’une baguette alerte.


Ce Docteur Miracle est présenté à treize reprises dans le cadre de La Route Lyrique, une initiative mise en place en 2010 par Eric Vigié, alors directeur de l’Opéra de Lausanne. Le but est double : aller à la rencontre du public, à Lausanne et dans les environs, en présentant un opéra en un spectacle facilement transportable, mais aussi permettre à de jeunes chanteurs et à des instrumentistes fraîchement diplômés de se frotter à une production lyrique. Claude Cortese, directeur de l’Opéra de Lausanne depuis septembre 2024, a décidé de poursuivre cette initiative, qui a lieu tous les deux ans. Et de belle manière, puisque, on l’a dit, Le Docteur Miracle a répondu à Carmen !



Claudio Poloni

 

 

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