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Hommage à Brendel Vienna Konzerthaus 06/17/2025 - Johann Sebastian Bach : Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo, BWV 992 – Variations Goldberg, BWV 988
Wolfgang Amadeus Mozart : Rondo en la mineur, K. 511
Joseph Haydn : Variations en fa mineur « Un piccolo divertimento », Hob. XVII:6
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 30, opus 109 András Schiff (piano)
 A. Schiff (© Marcel Giger)
Suivant son habitude, András Schiff avait gardé le programme de son récital secret, préférant l’annoncer au microphone, directement au public, l’assortissant de commentaires ponctués de touches d’humour discrètes, éclairant la logique interne et ses choix interprétatifs. Le corpus d’œuvres n’étonnera probablement pas le lecteur attentif de ConcertoNet (présentant de fortes similitudes avec les récitals chroniqués à Monte‑Carlo ou New York). La nouvelle du décès d’Alfred Brendel, survenu quelques heures plus tôt, transforma le récital en un hommage au grand pianiste : « La première partie de ce récital pourrait être un programme Brendel », confie András Schiff, « la seconde, absolument pas ! » – introduisant une touche de légèreté dans ce grave moment.
La manière dont il confronte la musique de Mozart avec celle de Haydn est fascinante, révélant, chez le premier, le drame qui se trame derrière l’innocence de l’écriture, alors qu’au contraire, chez le second, un matériau musical fondamentalement tragique (malgré la dénomination Un piccolo divertimento) laisse soudainement place à des ruptures ludiques, dans des volte‑face en parfaite adéquation avec l’humour pince‑sans‑rire du pianiste. La Trentième Sonate de Beethoven se distingue par présence sonore plus affirmée et des contrastes plus amples, sans que cela nuise à la distinction, la subtilité et le sens de la mesure qui caractérisent le jeu de l’interprète.
Venons-en à Bach : en ouverture de programme, une pièce de jeunesse du compositeur régulièrement défendue et récemment enregistrée au clavecin par András Schiff ; puis en seconde partie, les Variations Goldberg (une des grandes œuvres qu’Alfred Brendel évitait, explique András Schiff), jouées avec toutes les reprises afin « que le public puisse en saisir toute la complexité, et que le pianiste ait une seconde chance de les jouer sans erreur ». Schiff s’empare de cette musique avec un dévouement personnel, soulignant les éléments de danse, n’hésitant pas à jouer sur la flexibilité du tempo, et nourrissant le dialogue entre les voix intérieures, sans véritablement en privilégier une, comme s’il laissait à l’auditeur le soin de choisir lui-même la ligne à suivre. De manière inattendue, une légère fébrilité, frôlant la brusquerie, est perceptible dans certains phrasés, un peu comme si la main gauche poussait la main droite vers les conclusions – une impression inhabituelle chez ce pianiste, mais qui se dissipe au fil de l’œuvre, comme si la paix intérieure était peu à peu retrouvée.
Evoquons aussi le piano personnel du pianiste, un magnifique Bösendorfer 280VC aux teintes acajous et marbrures impressionnantes, offrant un contrepoint visuel aux éléments floraux qui surplombent la scène du Konzerthaus ; l’instrument déploie des registres de tessitures très différenciés, avec des graves qui sonnent comme un pupitre de contrebasses, et un velouté de toucher qui autorise les extinctions de notes les plus subtiles.
Enfin, en bis, peut‑être la véritable surprise du récital de près de trois heures : la Quatrième des Mazurkas opus 17 de Chopin, révélant une richesse polyphonique inattendue, et confirmant ce que confiait András Schiff durant un entretien : « Pour moi, une mazurka de Chopin qui dure trois minutes n’est pas moins importante qu’une symphonie de Beethoven ; [ ...] Chopin est un compositeur très polyphonique. Le problème, c’est que sa musique a surtout été jouée par des pianistes qui ne comprennent pas Bach et Mozart. » Voilà qui donne envie de découvrir András Schiff dans ce répertoire.
Dimitri Finker
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