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Le magicien des clairs-obscurs

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
06/04/2025 -  et 13 juin 2025 (Parçay-Meslay)
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 28, opus 101
Johannes Brahms : Klavierstücke, opus 118
Serge Rachmaninov : Préludes, opus 23
Adolf Schulz-Evler : Arabesques sur des thèmes de la valse « Le Beau Danube bleu » de Johann Strauss, opus 12

Nelson Goerner (piano)


N. Goerner (© Edouard Brane)


Il suffit d’écouter les premières mesures de l’Opus 101 beethovénien : par la profondeur du toucher, par l’éventail des couleurs, Nelson Goerner crée aussitôt un monde. L’imagination n’abdique aucun de ses droits alors que la forme reste suprêmement maîtrisée. Beethoven est bien là, avec toute la richesse de sa polyphonie, mais l’Etwas lebhaft initial prend des allures de vagabondage à la Schubert, avant que le Lebhaft, d’une irrésistible énergie rythmique, n’anticipe Schumann. L’équilibre entre les deux mains est magnifique, la main gauche étonne par l’alliance de la puissance et de la souplesse. Mais elles ne fascinent pas moins dans le chant alterné du Langsam und sehnsuchtsvoll, qui précède un Geschwind jubilatoire.


On savait donc ce que l’on pouvait attendre des Klavierstücke opus 118 de Brahms. On savait que le Hambourgeois serait là, entre élans conquérants, essors brisés et rêveries automnales. On se doutait que l’Intermezzo en la majeur suspendrait le temps, que celui en si bémol mineur ouvrirait sur l’infini. Que la Ballade déploierait son héroïsme, alors que sa partie médiane se nimberait de nostalgie. Si beaucoup peut‑être jouent aussi bien ces six pièces, combien peu percent ainsi le secret de ses clairs‑obscurs, en font non plus un recueil, mais le journal intime d’un homme s’acheminant vers le terme de sa création. L’Argentin construit cet Opus 118 comme un cycle, où chaque pièce semble appeler la suivante – et où il ne faut donc pas piocher.


C’est ainsi qu’il conçoit les dix Préludes opus 23 de Rachmaninov. Celui‑ci n’est pas au crépuscule de sa vie, il est à l’apogée de sa maturité. Il n’empêche : comme chez Brahms, voici moins des morceaux de concert que des moments d’une conscience, qui font alterner transports passionnés et moments d’introversion – pas vraiment de clairs‑obscurs ici, mais une opposition entre l’ombre et la lumière. La vision – il s’agit bien de cela – unitaire de Nelson Goerner est fascinante, magique. Il transcende la virtuosité du Deuxième ou du Dixième Prélude, réinvente l’hispanisant et célébrissime Sixième, déploie des trésors de poésie dans le premier et le dernier. « Sorcellerie évocatoire », aurait dit Baudelaire.


Les Arabesques sur des thèmes du « Beau Danube bleu » du Polonais Adolf Schulz‑Evler auraient pu être une concession à la brillance démonstrative. Jouées ainsi, elles ne déparent pas le récital. Deux bis somptueux, enfin : le Nocturne en do dièse mineur opus posthume (en réalité un Largo con gran espressione de 1830) de Chopin, où le piano semble chanter du Bellini, puis la transcription des « Lilas », la cinquième des Douze Romances opus 21 de Rachmaninov, aux parfums capiteux.



Didier van Moere

 

 

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