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Une leçon d’orchestre

Paris
Philharmonie
05/21/2025 -  et 22* mai 2025
Franz Berwald : Symphonie n° 2 en ré majeur « Sinfonie capricieuse »
Johannes Brahms : Symphonie n° 1 en ut mineur, opus 68

Orchestre de Paris, Herbert Blomstedt (direction)


H. Blomstedt (© Maxime Guthfreund)


La recette d’un bon concert est simple : prenez un bon chef, un bon orchestre qui s’entende bien avec lui, un public attentif et vous aurez, sans doute un bon concert. Mais quand le chef s’appelle Herbert Blomstedt, qu’il dirige l’Orchestre de Paris (qui le connaît depuis des années et qui l’adule), que les compositeurs au programme s’appellent Berwald et Brahms, et que le public s’attend, expérience aidant, à un grand concert, tous les ingrédients sont alors réunis pour que l’on assiste à un superbe concert. Et tel fut le cas ce soir – évidemment pourrait‑on ajouter.


Dans un peu moins de deux mois, Herbert Blomstedt fêtera ses 98 printemps. Alors, évidemment, c’est d’un pas fragile, au bras de Sarah Nemtanu (venue de l’Orchestre national de France pour officier comme violon solo de l’Orchestre de Paris ce soir) que le vieux chef, un rien voûté, entre sur scène, acclamé comme un empereur romain tant par le public que par les musiciens, mais l’homme reste vif. Sous ses sourcils broussailleux, on devine le regard espiègle, l’esprit facétieux, qui ne doivent pas faire oublier l’immense chef extrêmement professionnel qu’il est.


Suédois d’origine bien que naturalisé américain, Herbert Blomstedt a toujours eu de profondes affinités avec les compositeurs d’Europe du Nord. Il faut dire qu’ayant commencé ses études musicales à Stockholm avant d’avoir été successivement chef de l’Orchestre de Norrköping (Suède), de l’Orchestre philharmonique d’Oslo (Norvège), de l’Orchestre symphonique de la Radio danoise puis de l’Orchestre de la Radio suédoise, il ne pouvait qu’être familier des classiques Nielsen, Sibelius, Grieg, Gade et Stenhammar, ou des contemporains Hilding Rosenberg, Ingvar Lidholm ou Per Nørgård. Parmi ces compositeurs, Herbert Blomstedt a toujours eu un faible pour le Suédois Franz Berwald (1796‑1868). Ayant par exemple fait découvrir sa Troisième Symphonie, dite « Singulière », à l’Orchestre philharmonique de Berlin lors d’un concert en février 2016 (qu’il a également dirigée, par exemple, à la tête du Philharmonique de Vienne et qu’il a enregistrée en 1979 avec l’Orchestre de la Radio suédoise pour l’éditeur SR Records), ayant dirigé l’Orchestre de la Radio suédoise dans sa Deuxième Symphonie en mai 2023 puis dans sa Quatrième Symphonie pas plus tard que le 25 avril dernier (œuvre qu’il a également enregistrée pour Decca à la tête de l’Orchestre symphonique de San Francisco dans un disque où figure aussi la Première Symphonie), Blomstedt est assurément un familier de Berwald.


Entre la Symphonie « Sérieuse » et la Symphonie « Singulière » (et en attendant la Quatrième Symphonie dite « Naïve ») figure donc la Deuxième, surnommée « Sinfonie capricieuse », qui était au programme ce soir, faisant ainsi son entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris. Composée en 1842, son manuscrit fut perdu puis redécouvert, ce qui explique qu’elle ne fut créée, après sa reconstitution, que le 9 janvier 1914. Dès l’entrée des cordes dans l’Allegro initial, on est impressionné par la cohésion de l’orchestre, par la fluidité du trait, par cette section centrale où bois et pizzicati des cordes alternent avec une belle vélocité, nous faisant souvent penser à quelque passage du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn. Si les premiers violons accusent parfois une légère raideur, on l’oublie bien vite tant tout cela chante (quels violoncelles !), Herbert Blomstedt conduisant notamment les crescendi avec un naturel confondant que rien ne semble pouvoir perturber. L’Andante met ensuite en valeur de magnifiques alliances entre les bois (flûtes et hautbois notamment) et les cordes, la douce mélancolie initiale laissant place à des passages plus tragiques que le chef ne gomme en rien, donnant de fait tout son sens à ce qui est pour nous la plus belle page de la symphonie. Car il faut bien dire que le Finale : Allegro assai qui, tout en évoquant la fugue conclusive du dernier mouvement de la Quatrième Symphonie de Schumann (composée en 1841, elle est parfaitement contemporaine de la Deuxième de Berwald) ou la musique de Mendelssohn encore une fois, s’avère quelque peu en panne d’inspiration. Ce véritable perpetuum mobile où les cordes ne cessent de tricoter à qui mieux mieux ne connaît guère de développement significatif ; pour autant, Blomstedt y lance l’Orchestre de Paris avec une énergie jamais prise en défaut, qui tout à coup se fait pleinement chambriste : chapeau !


Après le rare, voici venu le temps du « classique » avec la Première Symphonie de Brahms qui, à titre personnel, nous a offert un des plus beaux concerts auxquels nous ayons jamais assistés lorsque Herbert Blomstedt la dirigea à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin il y a quelques années. De chambriste, l’Orchestre de Paris se métamorphose tout d’un coup en une phalange d’une puissance incroyable (huit contrebasses tout de même) sans pour autant se départir d’une grande transparence dans le jeu, d’une clarté des pupitres, qui différencient cet orchestre de tout autre grand orchestre allemand que l’on pourrait avoir en tête. Blomstedt est impérial dans le premier mouvement : la masse orchestrale est totalement maîtrisée, l’ensemble est conduit avec allant, sans aucune lourdeur mais avec grandeur, les violons sont à se pâmer (comme quoi le duo entre la bondissante Sarah Nemtanu et le toujours réservé Eiichi Chijiiwa à ses côtés à la tête du pupitre des premiers violons fonctionne à merveille, alors qu’on aurait pu légitimement douter de ce mariage entre le feu et la glace). Mais le héros de ce mouvement restera sans doute le hautboïste Alexandre Gattet, dont les entrées furent absolument sublimes : jamais on n’avait entendu son si fondu, poésie plus subtile ! Autant dire qu’il a largement éclipsé le reste de la petite harmonie, où l’on aura pu regretter quelques attaques un peu dures de la première flûte (surtout en comparaison des instruments à anche) et un jeu de Philippe Berrod à la clarinette un rien affecté. Alexandre Gattet doit de nouveau être salué dans l’Andante sostenuto, Sarah Nemtanu s’acquittant de son solo avec une grande musicalité ; là encore, Blomstedt, bien qu’assis et moins mobile qu’il n’a pu l’être, sait parfaitement relancer l’orchestre si nécessaire par un vaste balancement des bras, un léger mouvement du poignet suffisant à réfréner le timbalier ou les contrebasses. Après un Poco allegretto e grazioso tout en poésie, Blomstedt attaqua le mouvement conclusif avec une indicible grandeur, les solos de cor (Benoît de Barsony et Bernard Schirrer, impériaux) sonnant magnifiquement, dialoguant avec les bois dans un parfait équilibre où le chef veilla (comme tout au long de l’œuvre d’ailleurs) à faire entendre quelques détails de la partition (ici un pizzicato des violons qu’il laisse résonner une seconde, là un contrechant des violoncelles, là encore une intervention du basson...) sans jamais sacrifier à la structure d’ensemble.


Ovationné par une Philharmonie debout, Herbert Blomstedt revint sur scène à trois reprises pour des rappels amplement mérités. De tels moments sont indéniablement précieux : vivons‑les comme tels ! Et pour ceux qui seraient de véritables aficionados, sachez que Blomstedt dirigera l’Orchestre de la NDR à l’Elbphilharmonie de Hambourg le 15 juin prochain pour un concert associant Bach (Cantate BWV 51 « Jauchzet Gott in allen Landen ») et Beethoven (Deuxième Symphonie). Il aura alors passé le cap des 97 ans et 11 mois...



Sébastien Gauthier

 

 

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