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Quand Samiel parle trop

Baden-Baden
Festspielhaus
05/03/2025 -  et 28 avril (Potsdam), 30 avril (Paris), 5 mai (Berlin) 2025
Carl Maria von Weber : Der Freischütz, opus 77, J. 277
Charles Castronovo (Max), Golda Schultz (Agathe), Kyle Ketelsen (Kaspar, Samiel), Nikola Hillebrand (Annchen), Jongmin Park (Kuno, L’ermite), Milan Siljanov (Kilian), Levente Páll (Ottokar), Johanna Wokalek (Samiel [rôle parlé])
RIAS Kammerchor, Kammerakademie Potsdam, Antonello Manacorda (direction)


(© Manolo Press/Michael Bode)


Pourquoi les Allemands nourrissent-ils un tel complexe à l’égard des textes parlés de leurs opéras nationaux ? Probablement parce qu’ils trouvent ces dialogues trop conventionnels, voire ridicules, et cherchent donc désespérément des solutions pour les moderniser, les alléger, les annihiler... avec en première ligne trois victimes principales à dépouiller de toute naïveté Biedermeier propre au genre du Singspiel : L’Enlèvement au sérail, Fidelio et Der Freischütz. A la scène surtout, mais aussi au disque, avec dans ce dernier cas trois grandes catégories d’altérations recensées : suppression totale des dialogues, doublage des chanteurs par des comédiens (souvent malencontreux : acoustiques de prise de son divergentes, timbres non compatibles...), voire remplacement par des textes de liaison lus par un récitant.


Ceci posé, puisque l’on sait depuis bien longtemps maintenant que rien de tout cela ne fonctionne, pourquoi ne pas laisser simplement les chanteurs se dépêtrer de ces textes, quitte à y faire valoir leurs accents étrangers voire leur fâcheuse tendance à jouer faux ? Au moins, cela leur laisserait une petite chance de construire leurs personnages, même maladroitement.


Ce soir, en version de concert, c’est l’option « récitant·e » qui a été choisie, avec des textes du dramaturge allemand Steffen Kopetzky. Ces interpolations datent de 2001, écrites pour une version de concert dirigée par Bruno Weil (captée et publiée chez Deutsche Harmonia Mundi). Il ne s’agit pas d’un résumé de l’action, mais d’incessants monologues attribués au démoniaque Samiel, qui prétend incarner le surmoi des personnages et tirer toutes les ficelles de l’action. En 2001, Markus John avait assumé cette corvée verbeuse plutôt efficacement. En 2015, à Hambourg et Paris, Thomas Hengelbrock reprenait le procédé, confiant ces textes à l’acteur marthalérien Graham Valentine, dont la présence ambiguë – entre inquiétant et clownesque, façon Joker – faisait illusion.


Mais aujourd’hui, les mêmes textes ressurgissent dans la bouche de Johanna Wokalek (Mme Hengelbrock à la ville...), avec une absence déplorable d’investissement dramatique, même déclamés en allemand. Et là, vraiment, plus rien ne fonctionne. L’alternance trop serrée entre chanté et parlé dissuade les applaudissements – il faut souvent prendre l’initiative d’applaudir pour qu’un silence glacial n’accueille pas certains airs – et étouffe surtout l’émotion vocale. Car l’intimité des émois entre Max, jeune chasseur, et Agathe, fille du garde forestier, tire aussi son moteur dramatique de la candeur des dialogues originaux. Ici, le carcan d’une dramaturgie aussi rigide qu’inexistante réduit Der Freischütz à un magnifique catalogue d’airs, d’ensembles et de chœurs – ce qu’il n’est en aucun cas.


Dommage, car l’exécution musicale est, elle, de référence. On peut certes regretter la présence d’un Charles Castronovo en Max hors style, mal à l’aise techniquement, avec quelques notes de passage curieusement graillonnantes. Mais tout le reste de la distribution est exemplaire, même quand, du fait de la suppression des dialogues parlés, certains rôles n’existent plus qu’à l’état d’ombre, à commencer par celui du garde forestier Kuno, confié à l’impressionnant Jongmin Park, considérable voix en dépit de voyelles curieusement nasonnées, auquel on attribue aussi le rôle de l’Ermite pour l’occuper davantage. Autre luxe : le Kilian de Milan Siljanov, pour chanter superbement presque rien. Kyle Ketelsen est un excellent Kaspar, du moins avec ce qu’il lui reste d’espace pour mettre en valeur la noirceur de son timbre. Mais c’est surtout côté dames que la soirée s’élève : la délicieuse et aérienne Agathe de Golda Schultz, et la non moins captivante Annchen de Nikola Hillebrand, deux incarnations lumineuses qui mériteraient vraiment d’être immortalisées par un enregistrement.


Impeccable prestation chorale du Chœur de chambre de la RIAS, avec un chœur des chasseurs aux appogiatures prestement avalées, comme par peur de paraître trop « plouc » (encore ce complexe allemand évoqué plus haut ?). Et puis, il y a aussi la stimulante dramaturgie orchestrale imposée par Antonello Manacorda, à la tête d’un orchestre allégé en textures, dont les cuivres à l’ancienne ne détonnent pas. Transparences, silences stratégiquement étirés pour mieux ménager d’irrésistibles contrastes : une direction très préméditée, qui relance inlassablement l’élan de la soirée, avant que la prochaine intervention de la récitante ne la fasse retomber à plat.



Laurent Barthel

 

 

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