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Le singspiel sauvé par la musique Paris Théâtre des Champs-Elysées 04/30/2025 - et 28 avril (Potsdam), 3 (Baden‑Baden), 5 (Berlin) mai 2025 Carl Maria von Weber : Der Freischütz, opus 77, J. 277 Charles Castronovo (Max), Golda Schultz (Agathe), Kyle Ketelsen (Kaspar, Samiel), Nikola Hillebrand (Annchen), Jongmin Park (Kuno, L’ermite), Milan Siljanov (Kilian), Levente Páll (Ottokar), Johanna Wokalek (Samiel [rôle parlé])
RIAS Kammerchor, Kammerakademie Potsdam, Antonello Manacorda (direction)
 G. Schultz (© Dario Acosta)
Comme L’Enlèvement au sérail ou La Flûte enchantée, Le Freischütz est un singspiel, où les numéros chantés alternent avec des dialogues rythmant l’action. Aux Champs‑Elysées, on les a remplacés par un texte destiné à Samiel, le démon. Mauvaise idée, à plus d’un titre. Le singspiel ne relève plus du théâtre mais d’une suite de numéros séparés par un texte de liaison, dans une trahison de l’esprit du genre. La filandreuse prose de l’écrivain Steffen Kopetzky, de surcroît, ne présente pas le moindre intérêt et nuit à la tension dramatique. D’autant plus qu’elle est ânonnée par la comédienne Johanna Wokalek, qui parfois trébuche sur les mots français.
La musique, heureusement, réserve des plaisirs. Golda Schultz, timbre opulent, tessiture homogène avec un grave nourri et des aigus de lumière, rayonne en Agathe, dont elle habite les notes et les mots, rien moins qu’héroïne romantique lunaire. Nikola Hillebrand incarne une Annchen plus mûre que de coutume, presque sœur jumelle – elle a d’ailleurs été Agathe à Bregenz l’été dernier. Elle aussi se distingue par la cohésion des registres et la beauté du phrasé, tout en sachant préserver la légèreté juvénile de la jeune fille.
Les dames l’emportent. Charles Castronovo confirme l’évolution assez inquiétante de sa voix – plus sombre et plus centrée, l’émission devient très instable et la ligne en pâtit. Kyle Ketelsen, en revanche, tient impeccablement son Kaspar ténébreux, même si l’on souhaiterait plus de noirceur chez ce fils de l’Enfer. Les seconds rôles assurent, avec l’Ottokar solide de Levente Páll, mais le Kuno et l’Ermite de Jongmin Park impressionnent plus par la voix elle‑même que par sa conduite.
Antonello Manacorda passe de la pénombre de la forêt d’Allemonde (voir ici) à la noirceur des gouffres de la Gorge‑aux‑Loups, où se fondent les balles fatales. Dès l’Ouverture, on sent que cette direction va jusqu’au tréfonds de la partition, attentive au moindre détail, privilégie les couleurs crues et les angles vifs. Le tableau infernal, à instrumentation audacieuse et prophétique, suscite l’effroi, alors que le chef sait restituer l’opposition entre l’ombre et la lumière qui est au cœur de l’œuvre. Son Académie de chambre de Potsdam le suit magnifiquement, le Chœur de chambre de la RIAS aussi – passons sur les aigus approximatifs des sopranos dans le Volkslied de l’acte III.
Didier van Moere
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