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De Salzbourg à Paris

Paris
Opéra Bastille
04/30/2025 -  et 2*, 6, 9, 13, 16, 19, 22, 25, 28 mai 2025
Giacomo Puccini : Il trittico
Misha Kiria (Gianni Schicchi), Asmik Grigorian (Lauretta, Giorgetta, Suor Angelica), Enkelejda Shkosa (Zita, La Frugola, La Suora zelatrice), Alexey Neklyudov (Rinuccio), Dean Power (Gherardo, Un venditore di canzonette, Voce interna), Lavinia Bini (Nella, Una cercatrice), Manel Esteve Madrid (Betto), Scott Wilde (Simone, Il Talpa), Iurii Samoilov (Marco), Theresa Kronthaler (La Ciesca, La Maestra delle novize), Matteo Peirone (Maestro Spinelloccio), Alejandro Balinas Vieites (Amantio di Nicolao), Vartan Gabrielian (Pinellino), Luis‑Felipe Sousa (Guccio), Soliste du Chœur philharmonique d’enfants de Prague (Gherardino), Roman Burdenko (Michele), Joshua Guerrero (Luigi), Andrea Giovannini (Il Tinca), Ilanah Lobel‑Torres (Un amante, Voce interna, Suor Osmina), Karita Mattila (La Zia Principessa), Hanna Schwarz (La Badessa), Margarita Polonskaya (Suor Genovieffa), Lucia Tumminelli (Suor Dolcina), Maria Warenberg (La Suor infermiera), Camille Chopin (Una cercatrice), Lisa Chaïb-Auriol (Una novizia), Silga Tiruma, Sophie Van de Woestyne (Due Converse)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des Chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Carlo Rizzi (direction musicale)
Christof Loy (mise en scène), Etienne Pluss (décors), Barbara Drosihn (costumes), Fabrice Kebour (lumières), Yvonne Gebauer (dramaturgie)


A. Grigorian (© Guergana Damianova/Opéra national de Paris)


Qui a vu ce Triptyque à Salzbourg n’était pas inquiet : c’était une des plus belles productions de l’année 2022, retransmise alors à la télévision, devenue DVD ensuite. On se réjouit donc d’autant plus de la retrouver à l’Opéra de Paris grâce à une coproduction heureuse. Voilà d’ailleurs le spectacle le plus réussi de la saison, qui en relève le niveau.


Des trois opéras Christof Loy fait un cycle. A rebours de la tradition, il commence par Gianni Schicchi, où Puccini renoue avec l’opera buffa, et s’achève par Suor Angelica. Le metteur en scène relit l’ensemble à la lumière de la Divine Comédie : Gianni Schicchi, pour avoir falsifié le testament du défunt Buoso Donati, ira en enfer, comme il le dit lui‑même à la fin, tandis que la religieuse finit au paradis. L’amour, dans Gianni Schicchi, est une promesse. Dans Il tabarro, où l’on pourrait voir un purgatoire, il est détruit par la mort de l’enfant de Giorgetta et du batelier Michele, qui assassine l’amant de sa femme. Fille d’une riche famille, Sœur Angelica est entrée au couvent après avoir mis au monde un fils. Quand sa tante vient lui demander de renoncer à son héritage et lui apprend la mort de son enfant, elle se suicide, mais passe de l’enfer de la douleur à la lumière du ciel : alors qu’elle se croit damnée, la Vierge rédemptrice apparaît, accompagnée d’un petit garçon.


Giorgetta aurait-elle pu, elle aussi, entrer au couvent ? Et si ce Triptyque se lisait comme l’Amour et la Vie d’une femme ? Une seule chanteuse n’y chante‑t‑elle pas les trois rôles ? Tout s’y fait écho, la fin devenant le Liebestod d’une mère qui meurt heureuse, son enfant entre ses bras. Mort et Transfiguration. Christof Loy opte pour une lecture au naturalisme épuré et stylisé, avec un décor réduit à l’essentiel. S’il ouvre des perspectives, il raconte les histoires telles qu’elles sont, fidèle au texte et à la musique. Sa direction d’acteur est superbe, qui va au cœur de tous les personnages, jusqu’aux seconds rôles, très nombreux dans les trois opéras – héritiers rapaces, ouvriers rêvant d’évasion ou religieuses ingénues. Gianni Schicchi est aussi drôle que Suor Angelica est tragique, avec cette scène terrible entre la tante et la nièce, d’une insoutenable tension, d’une horrible cruauté.


A de très menus changements près, la distribution reste heureusement celle de Salzbourg. L’héroïne du triptyque, c’est Asmik Grigorian, incandescente et irradiante. Certes la gentille Lauretta convient peu à cette tragédienne et le célèbre « O mio babbino caro » pourrait être plus enjôleur. Mais elle incarne une Giorgetta d’anthologie, par la beauté du timbre, la longueur homogène de la voix, la maîtrise du souffle et le modelé de la ligne. Puis tout va crescendo : après avoir chanté les élans du désir et les morsures du remords, elle atteint de plus hauts sommets encore en religieuse brisée par la mort de l’enfant, avec des accents puisés au tréfonds de la douleur, sans que le phrasé ne s’abîme dans un poignant « Senza mamma », prodiguant ensuite des aigus lumineux pour les transports de l’extase.


La soprano lituanienne a des partenaires à sa hauteur. Misha Kiria tranche sur les Gianni Schicchi en fin de course : colosse d’une insolente santé vocale, à la fois puissant et stylé, drôle et redoutable. Roman Burdenko, baryton Verdi de haute école, au timbre mordant, dont Bastille applaudit le Rigoletto et le Scarpia, a les blessures et les rancœurs de Michele. Peut‑être encore plus défaite qu’à Salzbourg, Karita Mattila impose de nouveau une incroyable présence – il suffise qu’elle apparaisse, femme d’affaires rigide en tailleur pantalon, pour que la tante soit là, inflexible et glaçante.


Le laborieux Rinuccio d’Alexey Neklyudov peine toujours à passer la rampe, mais le Luigi de Joshua Guerrero, amant éperdu et inquiet, se déploie généreusement. Les seconds rôles, si importants ici, sont parfaitement distribués, les chanteurs passant d’un emploi à l’autre selon l’opéra. Certes usée, Enkeledja Shkosa est ainsi parfaite en Zita cupide, en Frugola nostalgique ou en Sœur Zélatrice intraitable. L’émission haute de Dean Power en fait un excellent Vendeur de chansonnettes du Tabarro, Margarita Polonskaya a la fraîcheur candide de la Sœur Genovieffa.


A Salzbourg, la Philharmonie de Vienne avait ses couleurs. A Paris, l’Orchestre de l’Opéra a les siennes. Carlo Rizzi n’est pas un foudre de théâtre et manque d’humour pour Gianni Schicchi, mais il crée de très beaux climats pour Il tabarro et Suor Angelica, où il ne faut pas moins peindre que raconter.



Didier van Moere

 

 

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